Toujours pas remis de la claque Da funk un synthé pourri en travers de nos certitudes , on attendait le premier album des Parisiens Daft Punk avec fébrilité mais suspicion : un tel foin médiatique ne sert généralement qu’à nourrir les ânes. Alors que le pourtant décevant, monomaniaque et trop vert Homework s’apprête à réaliser la plus grosse campagne française depuis Napoléon, retour sur une invasion qui commence par Manchester et finit par la Terre.
Que sait-on exactement de Daft Punk à quelques jours de la sortie de son premier album, Homework le 20 janvier ? Que ce duo est effrontément jeune. Qu’il est français mais émoustille l’étranger (Angleterre, Etats-Unis) comme peu d’autres avant lui. Que ses membres gardent chacun leur label indépendant tout en ayant signé avec la multinationale Virgin pour leur projet commun. Que l’un des deux membres du groupe a un illustre papa producteur de disco. Que ces garçons donnent dans la techno, en studio comme en live, mais s’appuient sur un (léger) passé rock. En somme, suffisamment d’éléments pour offrir au groupe l’une des premières hypes musicales françaises comparable à celles que mijote régulièrement le milieu discographique anglais, champion dans cet exercice. Un « buzz » monstrueux où l’on oubliera (comme toujours ?) d’écouter la musique, à l’exception d’un single énorme, Da funk, paru en 95. « Que les gens écoutent vraiment l’album et arrêtent d’imaginer n’importe quoi sur nous », répondra Thomas Bangalter (le fils du papa disco), désireux de calmer les ardeurs. A quelques jours de la sortie d’Homework, Daft Punk joue gros. Pourtant, dans l’entretien à suivre, ses auteurs s’appliquent à présenter avant tout le visage serein d’un groupe qui souhaite ramener le débat à l’essentiel : la musique, véritable carburant de leur parcours doré. Et même si on pourra s’avouer entre nous que le résultat de leur minutieux travail est parfois un peu jeune, voire bâclé, que certains morceaux supportent mal la réécoute acharnée, on ne pourra que se réjouir de tenir enfin un groupe d’ici capable de se construire un statut international. A travers Daft Punk, c’est toute une nation qui s’apprête à célébrer la santé éclatante de la house, toute une organisation parallèle ultra-motivée, grossissant un peu plus chaque année sous les effets pénétrants d’un souffle parti de Chicago il y a dix ans. On serait tentés de rappeler aux plus obtus que leur refus de célébrer Daft Punk (et tout un pan de la house à travers eux) relève surtout d’un problème de génération, que ceux qui n’ont jamais rythmé leur vie sur le dance-floor d’une rave ne pourront pas saisir l’importance du phénomène, mais pour désamorcer le débat, on se contentera de rappeler que ce duo parisien brille surtout par sa fraîcheur, sa jeunesse et son refus de se laisser enfermer dans un moule commercial. Non, il ne s’agit pas d’un de ces groupes crossover à alibi, mêlant le rock à la techno (ou l’inverse). Pas ici de relents new-wave façon Underworld, de concepts à la Future Sound Of London ou Leftfield, pas même de comparaison possible avec les Chemical Brothers. Il s’agit ici, avant tout, de club culture et de house nation, de boucles répétitives et hypnotiques, de structures minimales et d’émotions limpides, de Paradise Garage et de Rex Club, de Lil Louis et de Jeff Mills. En somme, la vérité d’une époque. Ou l’idée que s’en font de plus en plus de convertis d’ici.
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Thomas Bangalter A la maison, il y avait un piano et des guitares, mais pour écrire des chansons, mon père allait en studio et toute cette partie de son travail, je ne la voyais pas. Ecrire et jouer de la musique me semblait normal, pas du tout extraordinaire. Mais pour autant, ce n’est pas cette proximité qui m’a donné l’envie de m’y mettre. Plus jeune, j’étais surtout passionné de cinéma. La musique, c’est venu à 12 ou 13 ans. Avant de rencontrer Guy Manuel, c’était surtout pour la rigolade.
Guy Manuel de Homem-Christo On s’est rencontrés en classe de quatrième et à cette époque, je fréquentais un autre pote, plus vieux, qui m’a fait écouter pour la première fois Hendrix, les Doors, le Velvet, Suicide et tout ça en l’espace de quinze jours. A partir de là, j’ai commencé à chercher dans la musique les groupes cachés, les génies musicaux.
Thomas On passait notre temps à écouter des disques et à traîner dans Paris. Surtout à Saint-Michel, vers les boutiques New Rose ou Gibert. On tournait en rond tout le temps.
Guy Manuel Génération de glandeurs.
Qu’avez-vous retenu des grandes tendances musicales des années 80 ?
Thomas Je détestais la new-wave, Cure, Indochine, Depeche Mode et tous ces trucs de mecs de 16 ans. Cela dit, je détestais Madonna aussi et j’avais tort.
Guy Manuel Vers 90-91, on avait 14 ans et on s’est acheté des instruments chacun de son côté, on a fait des petites répets, le processus normal. En 92, on a enregistré une demo sous le nom de Darlin’, on l’a présentée à Stereolab et ils ont aimé.
Comment êtes-vous passés du rock à la dance ?
Thomas Au début de la house, en 86-87, on était vraiment jeunots. On aimait bien S’Express parce que c’était dans les charts, pas parce que c’était la nouvelle tendance. La vraie découverte s’est faite lorsqu’on a commencé à sortir.
Guy Manuel Le déclic, c’est Manchester. Inutile de chercher plus loin.
Thomas Avec Darlin’, on a commencé à aller dans les clubs. Et en quatre mois, on a compris et dévié de style musical. Contrairement aux soirées rock, les gens allaient dans ces fêtes pour découvrir une musique et des morceaux qu’ils ne connaissaient pas. Le public y était forcément plus ouvert et curieux. Lors de nos premiers concerts, c’était déjà satisfaisant de faire danser les gens. Après c’est devenu notre principal objectif. Avec Darlin’, on se retrouvait dans des concerts de rock où l’ambiance était de plus en plus glauque avec ces types tout raides qui dodelinent vaguement de la tête.
Guy Manuel Génération Inrocks ! (rires)…
Première rave ?
Thomas Une soirée Soma au sommet de Beaubourg en novembre 92. Avec Weatherall en DJ.
Guy Manuel Les premières raves, c’était de l’hallucination. Toutes les personnes qui, aujourd’hui, ne connaissent pas encore cette culture club et qui vont entrer dedans, par différents moyens, grâce à nous peut-être, vont ressentir ce choc. Découvrir qu’il y a autre chose que l’aliénation musicale quotidienne, toute la merde qu’on a réussi à nous servir depuis des années, qu’il existe une forme de musique aussi différente… Ça va leur filer une claque. Les premières soirées de ma vie, elles m’ont marqué à jamais. Quand tu arrives devant l’entrée, tu restes dehors dans le froid et tu entends les vibrations rythmiques, le boom-boom qui sort de la salle, c’est le plus grand des frissons. Pendant les deux premiers mois où on a commencé à sortir, ce boom-boom, c’était un autre monde.
Thomas C’était l’explosion. On écoutait radio FG et il y avait dix soirées par nuit.
A quel moment est-ce que vous intégrez les machines ?
Thomas Dès le dernier concert de Darlin’. Pour mes 18 ans, on m’a offert un sampler et une table de mixage. On a démarré en faisant des trucs un peu pourris, juste des bases, pas des morceaux. Le premier titre qu’on a vraiment achevé, c’était New wave. Deux jours après, grâce à un pote, on a filé la cassette à Soma, le label de techno écossais. C’était en septembre 92, on avait 18 ans.
Y avait-il déjà l’idée de faire carrière ?
Thomas Les quantités de disques pressés étaient tellement limitées qu’on faisait forcément ça à part. Ce n’est devenu sérieux que récemment, depuis Da funk. Et encore… C’était du sérieux précaire, on tenait grâce au live.
Guy Manuel Entre le premier single et Da funk, ça a été un an de prise de tête, on n’avançait pas.
Comment est venu Da funk, votre hymne ?
Thomas A l’époque, on écoutait plein de trucs de G funk californien, un peu FM, lent. On nous a dit après coup que le son du morceau était électro, mais nous, on n’est pas du tout des spécialistes du genre. On nous sortait des comparaisons avec des tonnes de trucs. Surtout avec la BO de Midnight express de Moroder.
Guy Manuel Moi, je ne trouvais pas que la mélodie sonnait Moroder, je trouvais qu’elle sonnait débile. Moins maintenant. D’habitude, on se lasse de ses morceaux mais celui-ci, c’est le contraire. Je trouvais la mélodie franchement simpliste c’est exactement ce que l’on a voulu faire. La meilleure musique est toujours sur le fil du rasoir. Il faut qu’il y ait de l’ambiguïté, à la limite du stupide.
Vous revendiquez-vous de l’underground house ?
Thomas L’underground, c’est un mot con. Si tu veux faire de la musique et que tu veux en vivre, tu ne cherches pas l’underground. Etre underground, c’est être inconnu. Le simple fait de vendre cinq mille disques dans le monde, ça suffit à sortir de l’underground. La vraie différence se fait entre ce qui est authentique et ce qui est calibré.
Vous gardez un œil sur le Top 50 ou vous êtes des puristes des vinyles house ?
Thomas Il existe une telle concurrence entre les grosses machines commerciales américaines qu’à terme, c’est souvent très bien. Les mecs se sont trop battus pour arriver là. Il y a plein de trucs new-jack qui me plaisent : je trouve que le single de Toni Braxton You makin’ me high est le meilleur disque de 96. A l’époque de Da funk, on écoutait le Regulate de Warren G tout le temps. Ce n’est vraiment pas une question d’underground. George Michael, par exemple. C’est un gros con, mais à côté de ça, il reste un bon chanteur, un superbe songwriter. Il suffit juste de faire la part des choses entre son ridicule et la qualité de ses disques. Les puristes de l’underground croient que le Top 50, c’est fatalement pourri. Mais mon producteur préféré, aujourd’hui, c’est probablement Baby Face. Et il a travaillé sur des disques qui se sont vendus au total à plus de soixante millions d’exemplaires ! C’est autre chose qu’Oasis.
Vous reste-t-il du temps pour le rock ?
Thomas Le rock, c’est tellement devenu cliché que les bons groupes sont ceux qui jouent autour de cette idée de clichés, comme Ween et leur disque de country ou Urge Overkill. Le rock aujourd’hui se situe autour du 8e degré. C’est des blagues. Faut arrêter de se la jouer. Le mec d’Oasis qui déclare : « Pour qui il se prend Michael Jackson. Pour moi ? », c’est minable.
Vous retouchez systématiquement vos photos via la structure Daft Art : le contrôle de votre image est-il une obsession ?
Guy Manuel Quand on assiste au ridicule du star-system en Angleterre, on est bien obligés de se protéger. Récemment, on est allés à Los Angeles pour des questions de business et les mecs là-bas, ils ne sont pas normaux, mais pas normaux du tout. C’est comme à la télé, pas moyen d’avoir une discussion sérieuse avec eux. Il faut dire que les choses arrivent pour nous de manière incroyable, un vrai délire autour de seulement deux chansons… Nous, on n’avait rien fait d’autre. Le public se disait « On va voir la suite », mais nous aussi… On a fait des maquettes de trucs assez pénibles. Mais vu les techniques d’enregistrement qu’il y a aujourd’hui, il faut encourager chaque personne à se lancer dans la musique. Tout le monde peut en faire, il y a des gens qui passent leur temps à en parler ou à en écouter et qui regretteront d’en avoir jamais fait. L’entreprise individuelle de la musique, au sens noble, c’est important. Il y a des gens en province que je rencontre, un pote en particulier qui se démolissait le moral à envoyer des K7 à F Communication et à être toujours refusé. Il se mettait à déprimer, mais pas besoin d’envoyer des K7 : tu montes ton truc et tu peux avoir des résultats incroyables. Il suffit d’un disque. Regarde, pour nous.
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