[À l’occasion des deux ans de la séparation du duo, nous ressortons cette interview accordée en 2013] Seulement quatre albums en seize ans mais, à chaque fois, une nouvelle redéfinition de la dance-music. Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo sortent le très impressionnant “Random Access Memories”. Entretien avec deux génies (1/3).
L’équilibre entre mélancolie et euphorie est votre marque de fabrique depuis le début. Vous parvenez même à l’appliquer au funk…
Thomas – (perplexe) Ah bon ? C’est vrai que les morceaux les plus fêtards sont un peu minés… Cet équilibre, ce contraste, c’est sans doute la définition de l’émotion. Dans notre musique, il y a accélération et décélération d’un état à l’autre : un morceau seulement triste ne serait pas satisfaisant. Mon idole, c’est Charlie Chaplin. Lui aussi crée ce relief dans l’émotion. Son personnage est en permanence hilarant et bouleversant… C’est intéressant dans une perspective robotique, encore plus en ce moment : l’émotion est de plus en plus compliquée à créer avec l’informatique. Du coup, le paysage musical electro est plus dans l’énergie, dans la dynamique. Il y a beaucoup d’intensité, de simulation physique, mais peu de ressenti. Ce trop-plein devient rage et agressivité.
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Votre musique a toujours rendu des hommages. Cette fois-ci, on pense aux Cars, à Steely Dan…
Thomas – Ça arrive même sans qu’on s’en rende compte… Ces références nous permettent de connecter notre univers à d’autres, de montrer une facette différente de nous. On peut ainsi faire un morceau avec Paul Williams (un des acteurs du Phantom of the Paradise de Brian De Palma – ndlr), qui s’est révélé très important dans l’élaboration de notre univers. Nous sommes très heureux de cette interaction générationnelle mais nous ne nous considérons pas comme des passeurs. Nous pensons seulement aux enfants que nous avons été, nous avons des petits personnages dans les mains et nous jouons avec…
Vous aimeriez parfois enregistrer anonymement, pour tester d’autres sons ?
Guy-Manuel – Si on avait envie de faire un disque de hard-rock bien gras, on le ferait sous le nom de Daft Punk. On n’a pas de limites. Depuis le début, on a touché à tout, il y avait un côté radical, presque punk, dans Human After All ; Tron était symphonique…
Thomas – Sur une commande comme Tron, comme on ne s’engage jamais à moitié, on avait peur de perdre la précision, la rigueur, l’intégrité qu’on entretient depuis des années. Finalement, on a sauté dans le vide. Etre “au service de”, ça rend vraiment humble. On était employés, avec des horaires de studio. Ce détachement donne un rapport intéressant à la musique et on en avait bien besoin à cette époque. Cette expérience a été fondamentale pour Random Access Memories… Aujourd’hui, la musique électronique est partout, de la pop au hip-hop, mais elle subit un énorme formatage qui vient parfois directement de nos idées d’il y a dix ou quinze ans : il était fondamental de se différencier. Beaucoup trop d’albums évoquent les formes de Discovery, Homework ou même Human After All. On est à la fois flattés de ces hommages à répétition, mais la seule façon d’avancer artistiquement, c’était de totalement se réinventer. On avait nos maquettes et c’est pendant Tron que l’idée a mûri : tenter une superproduction musicale. On a passé le test à Londres, en faisant jouer nos partitions de Tron à cent musiciens. Ça nous a mis en confiance. Aller plus loin nous remettait en danger : qu’est-ce qu’on n’a pas encore fait ?
Il y a un côté très austère, solennel sur Tron. Le nouvel album, lui, est très expansif, sexuel même…
Thomas – Le côté solennel de la BO de Tron était basé sur les premières images qu’on a vues du film, très chorégraphiées. On ne pouvait pas prendre le contre-pied : on a attendu le nouvel album pour ça. Là, on a développé l’idée de la danse, un côté séduisant, nuancé et élégant en même temps.
“Human after all”, comme vous chantiez ?
Thomas – Oui, en échappant à l’aspect pilotage automatique de la musique actuelle : on est plus dans l’érotisme que dans la pornographie mécanique.
Quelles sont les premières réactions à l’album ?
Guy-Manuel – On a connu l’échec critique à chaque album. Homework, Discovery, Human After All : les premières chroniques ont toujours été désastreuses. Là, les journalistes ont l’air d’aimer : c’est louche… Ça ne va pas marcher (rires).
Thomas – On se rend compte que tous les groupes qui ont notre longévité ont perdu de leur pertinence. On était très conscients de ça : comment ne pas se répéter après vingt ans de carrière ? On a commencé à 18 ans, on en a presque 40. On n’a plus les mêmes aspirations… Acceptation ou rejet : les deux réactions m’intéressent.
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Si je vous avais croisés à 14 ans, traînant chez les disquaires, et que je vous avais dit que vous alliez un jour travailler avec Giorgio Moroder, des musiciens de Chic ou de Michael Jackson, vous auriez réagi comment ?
Thomas – Déjà, nous aurions été trois : Laurent Brancowitz aurait été avec nous. Et si tu nous avais dit : “Un jour, vous aurez un groupe qui s’appellera Phoenix, un autre qui s’appellera Daft Punk et, dans vingt ans, vous sortirez à un mois d’intervalle vos quatrième et cinquième albums respectifs”, là, effectivement, je ne t’aurais pas cru. C’est encore plus surprenant et improbable.
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