Entre Tron, premier film à utiliser l’image informatique au cinéma, et le duo parisien qui décida un jour de se métamorphoser en robots, la rencontre paraissait inévitable. Retour sur deux circuits faits pour s’intégrer l’un à l’autre.
En 2005, six ans après sa robotisation, Daft Punk revient avec un troisième album qui pousse le curseur encore plus loin. Il s’appelle Human After All, et le premier single s’intitule Robot Rock. Toujours sous leurs casques, Thomas Bangalter et Guy- Manuel de Homem-Christo radicalisent encore leur démarche.
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Le monde numérisé sublimé
Ils déboulent avec un album métallique et compressé qui affiche toute sa foi dans la machine, et ce dès le morceau d’introduction Human After All, qui semble être généré par un ordinateur foutraque. On est saisi par l’étouffant Steam Machine, la sublime complainte numérique Make Love, mais aussi et surtout par l’épatant Technologic, qui semble annoncer l’arrivée phénoménale des smartphones et la plongée des masses dans un monde numérisé.
Human After All est reçu avec une certaine angoisse par les critiques qui n’ont pas encore cerné les envies futuristes de Daft Punk. Certains voient ce disque comme l’oeuvre d’un groupe démissionnaire : il est au contraire celui d’un duo visionnaire qui a vu la machine comme le prolongement inéluctable de l’homme.
Si Daft Punk ne dit rien sur son disque, c’est que celui-ci parle de lui-même : il évoque presque à chaque titre la prise de pouvoir imminente des ordinateurs, il est la bande originale transitionnelle de ce furieux mouvement de “l’humanité”. Ce que certains reprochent à Daft Punk, c’est de ne pas s’opposer à ce mouvement mais au contraire de l’accompagner, de l’embrasser avec une confiance sereine.
Comme les héros de Tron qui évoluent entre muscle et digit, Daft Punk se cale dans la roue de la technologie, épouse les trajectoires rectilignes de cette épopée numérique et négocie les virages à 90 degrés avec une grâce déconcertante. Human After All n’est pas un grand succès commercial, mais il est le disque sans concession d’un groupe qui construit son culte avec une détermination et une intransigeance rares.
Définitivement devenu robot, le duo décide pourtant de revenir parmi les hommes au milieu de l’année 2006. Le groupe l’annonce en janvier, il sera en juin au festival de Coachella en Californie pour un concert qui annoncera une grande tournée mondiale. Daft Punk n’est plus apparu sur scène depuis 1997, dix ans déjà.
Coachella, un retour flamboyant
A l’époque, Bangalter et de Homem-Christo n’avaient pas encore annoncé leur digitalisation. Ils se contentaient de mixer et de jouer avec les boutons un peu dans le noir. Qu’en sera-t-il en 2006 ? A Coachella, le groupe déboule avec un Barnum 2.0 flambant neuf. Daft Punk joue dans une pyramide fluorescente. C’est lumineux, géométrique, stroboscopique et digital – bref, d’une fascinante beauté.
La musique de Daft Punk se fond dans cet écrin moderne avec une grâce inouïe – Daft Punk, c’est déjà demain. Pour un mix de près de deux heures, le groupe a exploré ses trois premiers albums avec une incroyable minutie. Le tout se fond avec une aisance folle et, placés au coeur du dispositif, casqués bien entendus, les Daft casqués s’en donnent à coeur joie. One More Time grimpe sur les genoux d’Around the World qui chatouille lui même Technologic.
Enfouis dans leurs armures modernes, ils dirigent ce fantastique vaisseau à danser loin du monde. Mais Bangalter et de Homem- Christo sont-ils vraiment sous les casques ? Mixent-ils “pour de vrai” ? Des questions terriblement humaines se posent devant ce show futuriste, ce triomphe de la machine et de la technologie.
Pour sa tournée mondiale, le Daft Punk qui a viré robot fait pourtant preuve d’une générosité farouche. Les salles du monde entier dansent et transpirent sur ce son produit par deux créatures électroniques fascinées par le futur. Le 14 juin 2007, à Paris – où le groupe n’a pas joué depuis dix ans –, le duo reçoit en fin de concert une ovation inédite et absolument splendide.
On lit ceci dans les Inrocks de la semaine : “Alors qu’on s’attend aux gros “wouh ohoho” bourrins qui servent généralement à rabouler les artistes, Bercy invente pour Daft Punk une toute autre cérémonie : des milliers de téléphones portables s’illuminent pour former une multitude de miettes lumineuses, et demander, dans un moment très émouvant, le retour de Thomas Bangalter et de Guy- Manuel de Homem-Christo. Qui reviennent dans des combinaisons phosphorescentes rouges (un peu comme dans Tron)”.
“Un peu comme dans Tron”, c’est écrit noir sur blanc dans le journal de l’époque. En juin 2007, alors qu’il n’a pas encore révélé son intention de réaliser la BO du film revisité, le duo parisien évoque déjà le film : il y a les combinaisons bien sûr, les couleurs franches et fluo, les casques bien entendu, mais il y a aussi cette épure, cette ligne claire et luminescente qu’on retrouve au coeur de la production des studios Walt Disney.
Une chose est sûre, avant de remonter sur scène, Daft Punk s’est très certainement inspiré du film de Lisberger, de son atmosphère à la fois simple et terriblement électrique.
Les négociations étaient déjà peut-être entamées, la transition peut-être ouvertement téléphonée, mais l’évolution du groupe depuis 1999, et son intégration parfaite au projet Tron (à moins que ce soit Tron qui ne se soit au final intégré à Daft Punk) peut ,c’est certain, laisser entrevoir une fusion phénoménale entre les deux parties, en 3D et sur écran géant, dès février prochain.
Avec une BO sur laquelle les deux Daft Punk, robots avant tout, semblent bel et bien plancher depuis maintenant plus de dix ans. La boucle est bouclée, et le circuit forcément électronique.
Pierre Siankowski
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