Les premières mesures de Cuckooland, où quelques coulures de cornet glissent sur une nappe de synthé bon marché, ramènent l’auditeur en terrain familier, une manière de dire que, six ans après Shleep, Robert Wyatt a choisi comme toujours de changer dans la continuité. Mais le terrain est si fertile, si prodigue de beautés et d’inventions, […]
Les premières mesures de Cuckooland, où quelques coulures de cornet glissent sur une nappe de synthé bon marché, ramènent l’auditeur en terrain familier, une manière de dire que, six ans après Shleep, Robert Wyatt a choisi comme toujours de changer dans la continuité. Mais le terrain est si fertile, si prodigue de beautés et d’inventions, qu’on se laisse une fois de plus surprendre. Il y a d’abord la classe phénoménale d’un musicien qui réussit à enchaîner les figures harmoniques, mélodiques et rythmiques les plus acrobatiques sans jamais donner l’impression de s’adonner à de pénibles tours de force. Il y a cette voix à la fois neuve et ancestrale qui unifie cette improbable mosaïque, cette voix d’enfant centenaire qui n’est pas n’en déplaise à Ryuichi Sakamoto ? « la plus triste du monde » : simplement la plus littérale et la plus musicale du monde.
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Il y a aussi l’extraordinaire fond de jeu d’une équipe d’instrumentistes qui, de Karen Mantler à David Gilmour, du clarinettiste israélien Gilad Atzmon à la tromboniste Annie Whitehead, donne à chaque trait mélodique la couleur et la vibration requises. Il y a enfin cette place nouvelle accordée au jazz, qui n’apparaît plus seulement en filigrane, mais de manière très explicite, comme sur ces véritables airs à swinguer que sont Old Europe ou Trickle Down. Cet hommage à la musique qui l’a éveillé n’est pas le seul moment fort d’un disque extrêmement dense : toutes les chansons, ici, peuvent facilement faire l’objet de plusieurs niveaux de lecture (musical, poétique, politique, sentimental’), sans que la limpidité ni la légèreté de l’ensemble en soient pour autant altérées. Comment Wyatt réussit-il à créer une musique aussi chargée et aussi aérienne ? Face à une telle question, l’Anglais répond qu’il n’est pas psychologue pour un sou et qu’il n’est pas doué pour l’introspection.
S’il est un musicien hors compétition, l’Anglais n’a pas renoncé pour autant à son amour du jeu. Et c’est bien ça qu’on entend de bout en bout dans Cuckooland, comme dans une épatante compilation d’inédits qui vient de sortir, Solar Flares Burn for You (1972-2003). C’est peut-être là l’enseignement délivré par l’œuvre de Robert Wyatt : l’amour de la musique, quand il est porté par une telle fraîcheur d’intention et d’expression, rend beau, intelligent, heureux et sensible. Une vérité qu’on est en droit d’estimer naïve, voire mièvre, mais qui trouve pourtant dans Cuckooland sa plus indiscutable transcription.
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