Porté par un live féroce et explosif, le duo canadien Crystal Castles crée une musique violente, rêche et excitante.
La meilleure façon de prendre la mesure du phénomène Crystal Castles, ce duo canadien formé par Alice Glass, une post adolescente de 20 ans à la beauté siouxiesque, et Ethan Kath, 28 ans, petit brun patibulaire et renfrogné, c’est d’aller voir le groupe sur scène. Là, en quelques secondes, toutes les réticences que peut susciter le duo, méfiant et tête de lard en interview, et toutes les réserves appliquées à son premier album, inégal même si extrêment attachant, s’envolent instantanément.
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Féroce, hallucinée, jusqu’au-boutiste, leur performance est une des plus réjouissantes explosion de sauvagerie à laquelle on ait pu assister sur une scène rock depuis des lustres. Et le public de kids rassemblé ce soir là à l’occasion du Camden Crawl, un festival itinérant organisé mi-avril dans les pubs de Camden à Londres, reçoit le message cinq sur cinq. Dès les premiers beats 8 bits saturés balancés par Ethan Kath, planqué dans la pénombre du fond de la scène, dont seules quelques mèches brunes dépassent de son sweat à capuche, la salle se lance dans un pogo, qui durera jusqu’à la fin du concert. Portée par une volée de stroboscopes, Alice Glass, les yeux bleus (immenses) rehaussés de khôl, entre sur scène et entame Untrust Us, un des mini-tubes du duo. Une mise en scène très théâtrale et années 80 qui pourrait agacer si elle n’était pas transcendée par la présence, à proprement bouleversante de la jeune femme. Dans un total oubli d’elle même, le regard halluciné, Alice Glass, en apesanteur, parait presque virtuelle. Semblant évoluer dans un espace-temps parallèle, elle se meut d’un bout à l’autre de la scène en hurlant de paroles incompréhensibles et vocodés.
Depuis six mois, ce duo originaire de Toronto est porté par une hype incessante sur la blogosphère. Peut être parce que leurs productions rèches et atmosphériques, croisement des expérimentations de Brian Eno, de beats de jeux vidéos d’arcade et de vocaux criards importé du punk et du hardcore, tranchent radicalement avec les canons esthétiques de 2008 – on pense aux basses pimpées et saturées façon Ed Banger.
Alice Glass et Ethan Kath se rencontrent à Toronto en 2004 en accomplissant un travail d’intêret général dans une association. “On faisait de la lecture aux non-voyants. Tous les autres bénévoles étaient assez âgés, on était les deux seuls “jeunes”. On a très vite découvert qu’on adorait les mêmes groupes punks obscurs”, explique Kath. A l’époque Kath, qui a envie de prendre une direction plus électronique vient de se quitter son groupe de heavy metal ; Alice, lycéenne de 16 ans chante elle dans un groupe de punk-noise. “Je suis allée la voir sur scène et ça a été une révélation, poursuit Kath, le plus loquace. J’ai réalisé qu’elle était vraiment l’élément qui manquait à la chanson que j’étais en train de composer.”
Ils forment illico un groupe, qu’ils appellent Crystal Castles en référence au château de She-Ra, personnage d’un dessin animé dans les années 80, et sorte de Musclor au féminin. “Nous jouions jusqu’alors dans des genres très calibrées, définis, heavy metal, noise, et en avions assez.. Nous avons cherché des sons peu utilisés par les groupes de notre époque. J’ai commencé à enregistrer des sons provenant d’instruments endommagés, de vieux claviers un peu pétés, d’un Atari ST. Pas question de prendre des sons préprogrammés que tout le monde utilise.” Quelques semaines plus tard, ils louent un studio pour la journée à Toronto. “Nous voulions enregistrer les cinq chansons que nous avions produites. C’était très lo-fi. Pendant qu’on testait les niveaux et les voix, l’ingénieur du son nous enregistrait. Le lendemain, il nous a donné un CD sur lequel figurait six chansons. Il m’a dit : “pour la dernière, j’ai enregistré des trucs pendant vos essais”.”
C’est ce morceau imprévu, nommé Alice Pratice (“les répétitions d’Alice”), qui va tout déclencher. Kath poste le titre sur le net pour “prouver aux gens de Toronto que je n’étais pas mort”. Le label londonien Merok (qui vient de sortir The Klaxons) tombe sur cette tuerie punk-digitale et contacte immédiatement le duo. Le single, qui sort à Londres, est écoulé en moins de trois jours. Le buzz démarre en trombe sur le net. Quelques maxis et remixes (pour les Klaxons ou Bloc Party) suivent. Au volant de son van, “un vieux modèle des années 60 aux vitres blindées et inviolable”, le duo commence à écumer les salles d’Amérique du Nord et d’Angleterre, gagne sa réputation de monstre scénique.
Les Canadiens sortent aujourd’hui leur premier album, Crystal Castles, compilation de maxis épuisés, et de quelques nouvelles chansons piochées dans les deux-cent que le duo a enregistré lors de ses tournées. Un disque imparfait, brut, accidenté, décontenançant au premier abord, tant il parait traîner en longueur, diluer le propos. A côtés des tubesques et parfaites Unstrust Us, Alice Practice ou Crimewave, le disque renferme en effet une dizaine de titres qui s’apparentent davantage à des démos, des brouillons, débuts de mélodies fragmentées. Pourtant au fil des écoutes, ce sont bien ces morceaux (Magic Spell, Tell Me What to Swallow…), avec ce qu’ils ont d’inachevé, de fragile et de cristallin, qui se révèlent les plus obsédants et émotionnels du disque.
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