Tous fichés : une exposition à Paris retrace l’histoire policière de la photographie. Ou comment l’image s’est mise dès 1830 au service de la justice.
Plans serrés sur les corps inertes des macchabées de la Commune, stigmates de la douleur encore visibles sur des visages fermés, corps dézingués par on ne sait quel coup de folie ou encore mutilation en règle : dans l’hôtel de Sully, le dévoilement de la grosse machine de l’identification judiciaire, mise en place dans les années 1830, côtoie l’émotion assez brutale de la découverte des corps altérés. Car il ne s’agit pas ici de photographie artistique mais des premiers pas de la photographie au service de la justice, de sa mise en place jusqu’aux années 30, où le système est à peu près le même qu’aujourd’hui. Pas question d’esthétique donc, il faut plutôt endosser le pardessus décoloré du commissaire de police, avoir l’oeil averti du médecin légiste ou de l’historien pour s’immiscer dans le monde particulier de la criminalité : les 150 photos rassemblées dressent un petit bilan de tout ce qui constitue une affaire criminelle, des portraits de suspects à des effigies de coupables en passant par les lieux du crime ou, pire encore, les reconstitutions d’affaires de moeurs. Loin de l’univers glacé de la mort clinique, on pénètre à pas feutrés dans celui, beaucoup plus glauque, du crime crapuleux, morceau de choix qui génère le plus de mystères et d’interrogations. Tout y est, des débuts de Léon Renault, qui petit à petit organise le service photographique à la Préfecture de police de Paris, jusqu’à Bertillon, grand ordonnateur de la photographie policière, mettant au point la technique des empreintes digitales, mesurant à grands coups de centimètres le pied ou l’oreille des contrevenants, répertoriant une typologie de faciès que l’on découvre photographiés en tranches et empilés façon boîte à sardines. Si la photographie constitue, dès le début du siècle, un moyen efficace de répertorier le malfrat, il faut attendre le milieu du siècle pour qu’apparaisse le fameux portrait « carte de visite », face/profil, l’ancêtre de notre bonne vieille carte d’identité. Les premiers fichés sont évidemment les plus louches : prostituées, étrangers, homosexuels (« pédérastes » à l’époque) et même… ouvriers ! La méthode se systématise, tout individu appréhendé est shooté et répertorié suivant des critères qui s’affinent car Bertillon y ajoute l’indication des caractères anthropométriques et les signes particuliers.
L’exposition commence sur le mode léger avec des portraits d’hommes tatoués exhibant avec fierté des visages de femmes sur leur poitrine qui nous rappellent d’ailleurs qu’au xixème siècle seule la crapule est tatouée, signe de reconnaissance loin de l’esthétique tendance d’aujourd’hui. On croise donc de tout, et d’abord les hautes figures du crime, Landru en tête, des anonymes, de l’auteur de petits larcins au criminel psychopathe, des aventurières ayant mal tourné, des groupes d’activistes : c’est l’époque des gangs de voitures dont Bonnot reste sans doute le plus médiatique, des virées meurtrières jusqu’au petit meurtre crasseux du boulanger du coin ou encore les « affaires », celles qui ont marqué le siècle et défrayé la chronique comme l’affaire Troppman, celles qu’on ne comprend pas toujours. L’affaire Romand figurerait sûrement en bonne place aujourd’hui. Corps et décors du crime, effectivement, c’est un vrai festival : les corps tronçonnés et les visages défigurés nous entraînent à travers une petite visite guidée des alcôves bourgeoises ou des bouges les plus crapoteux du début du siècle, un détour par les intérieurs sordides des appartements parisiens où la mort se fait théâtrale, mise en scène comme dans le plus glacé des thrillers, sauf qu’on est plus proche de Gaston Leroux ou de l’inspecteur Maigret. On nage dans le monde minutieux de l’enquête et de la reconstitution.
De la confidentialité des services de police, la photographie judiciaire est vite relayée par la presse qui s’empare des affaires et qui joue son rôle à plein dans la diffusion de ces portraits de criminels. Elle publie des tirages argentiques du meilleur effet, vrai feuilleton populaire suivi et relaté par des journaux se fichant comme d’une guigne de la présomption d’innocence. Le Petit Parisien et Détective, déjà sur le coup, se délectent à retravailler les tirages à la gouache pour un rendu qui n’a rien à envier aux plus mauvais torchons d’aujourd’hui.
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