Piochant dans la vaste production antillaise seventies, une compilation rend justice à tout un pan méconnu du continent musical caraïbe. Polluée depuis des lustres par une série de clichés gentiment paternalistes, voire franchement postcoloniaux (ah, les facéties “bananiesques” désopilantes de Salvador en doudou acariâtre ; les douceâtres et niaises comptines de la Compagnie Créole sucrées […]
Piochant dans la vaste production antillaise seventies, une compilation rend justice à tout un pan méconnu du continent musical caraïbe.
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Polluée depuis des lustres par une série de clichés gentiment paternalistes, voire franchement postcoloniaux (ah, les facéties « bananiesques » désopilantes de Salvador en doudou acariâtre ; les douceâtres et niaises comptines de la Compagnie Créole sucrées comme des tourments d’amour ; les grivoiseries exotiques et bon enfant de l’inénarrable Francky Vincent…), la musique antillaise d’expression francophone s’est insensiblement trouvée reléguée, dans l’imaginaire métropolitain, au grand bazar des « musiques de genre », tout juste bonne à épicer les fins de soirées des banquets de famille…
Certes, le zouk inventé par Kassav au début des années 80 avait en partie laissé entendre une autre réalité musicale, plus sophistiquée et authentique, imposant à base de petits arrangements de cuivres rutilants, tirés au cordeau sur des rythmiques synthétiques et chaloupées, un autre son, un nouveau souffle. Pourtant, même si Miles Davis en personne avait dressé l’oreille à ces enregistrements joyeusement endiablés, la musique antillaise n’avait pas su transformer l’essai, et le zouk à son tour, plombé de mauvais goût au fil de productions de plus en plus stéréotypées, allait sombrer dans la variété la plus éculée. Seules, perdues dans un archipel caribéen d’une richesse musicale exceptionnelle, Guadeloupe et Martinique semblaient donc condamnées, frappées par quelque improbable malédiction, à souffrir jusqu’à la fin des temps de cette détestable réputation de dernier de la classe. C’était méconnaître une réalité culturelle bien plus complexe et contrastée que celle imposée par le joli chromo exotique, et faire notamment l’impasse sur l’extraordinaire foisonnement musical qui tout au long des années 70 a incendié les paillotes où la jeunesse aimait alors s’encanailler en bals sulfureux.
C’est cet âge d’or, en grande partie oublié voire totalement inconnu en dehors de la communauté, que nous révèle cette magnifique compilation de raretés, issues le plus souvent de 45t, produits en petite quantité par d’obscurs labels locaux disparus sitôt créés. Qui aurait pu soupçonner l’audace des expérimentations du percussionniste Henri Guédon, transmuant le gwo’ka ancestral en transes psychédéliques ? Comment résister à la fraîcheur d’inspiration de groupes comme Les Vickings, Les Rapaces ou La Perfecta, petites formations de danse à la fois ancrées dans leur terroir (la biguine) et irrésistiblement ouvertes aux influences alentour (du son cubain au ska jamaïcain, du compas haïtien au merengue portoricain), pulsant des mélodies minimales hypnotiques de boucles répétitives et petites séquences de cuivres délicieusement mal léchées ?
A l’arrivée, des personnalités aussi obscures que Martin Cultier ou Dolor Et Ses Etoiles, à l’écoute de ces petits chefs-d’œuvre miraculeusement exhumés, se révèlent les dignes contemporains de Compay Segundo ou du collectif haïtien Shleu Shleu et c’est toute la musique antillaise française qui d’un coup reprend place dans le grand concert des nations caraïbes. Espérons que la jeunesse antillaise sache capter le message.
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