Deux ans après La Passagère, l’ex-Feeling of Love immortalise l’énergie de ses concerts sur un nouvel EP. Entre l’enregistrement de nouvelles démos et une série de dates avec l’Extragroupe de La Souterraine, le chanteur raconte son expérience live jusqu’à révéler quelques détails sur son prochain album.
Voilà plus de dix ans qu’il avale les kilomètres et enchaîne les scènes. S’il la joue aujourd’hui solo après s’être affirmé avec A.H.Kraken, Plastobeton et The Feeling of Love, Guillaume Marietta n’a pas ralenti le rythme pour autant. Après plusieurs mois passés sur la route pour défendre La Passagère (2017), son excellent deuxième album publié sous son patronyme et coproduit par Chris Cohen, le Messin décide de prolonger l’expérience le temps d’un maxi. En trois morceaux (dont l’inédit Pristine), le tout enregistré dans les conditions du live, Marietta et ses différents musiciens réussissent à capter toute l’intensité de leurs concerts. Alors qu’il peaufine les maquettes de son prochain album, le chanteur nous a reçus au milieu de ses instruments pour revenir sur sa démarche.
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Ça fait maintenant quelques années que tu tournes sous ton propre nom. Sortir un EP live, en piochant dans tes deux premiers albums, c’était une manière d’offrir une synthèse de ce que tu as pu faire sur scène jusqu’ici avec Marietta ?
Guillaume Marietta – Ouais, je pense que c’est ça. C’est plutôt cool de composer et de faire des albums tout seul, mais quand tu joues tes morceaux en concert, ils prennent forcément une autre tournure. Ça me tenait à cœur de garder une trace de tout ça. Logiquement, les maxis annoncent quelque chose à venir, ils donnent un aperçu du prochain album. Ici, ce n’est pas du tout le cas. C’est plutôt un EP sur ce qui a eu lieu précédemment, comme une manière de tourner la page.
Cream Team est le nom trouvé par Henri Adam, le premier bassiste de Marietta, pour nommer le groupe scénique qui te suit en tournée. Pour cet EP, vous vous êtes donc tous retrouvés en studio dans les conditions du live pour essayer de capter l’énergie de vos concerts ?
J’ai fait la liste et je crois qu’il y a eu quatorze musiciens différents au sein du groupe. Ça fait beaucoup ! Je ne sais plus trop comment est venue l’idée, mais j’ai écrit aux mecs et ils étaient partants. Il fallait que ça joue ensemble, que ça vive un peu comme en concert. On a fait une première session pour The NBA Conspiracy et L’Insecte dans ma bouche avec les musiciens qui sont restés le plus longtemps avec moi : Henri Adam à la basse, Paul Rannaud à la guitare et Paul Ramon à la batterie. Ensuite, il y a eu une deuxième session pour Pristine, le morceau inédit, avec certains des derniers membres qui m’ont suivi, c’est-à-dire Carol Teillard à la batterie, Joel Crocco à la basse et Ben Youcef à la guitare. On a fait plusieurs prises histoire de se chauffer et on a gardé la meilleure. On voulait retrouver cette énergie.
Il y a toujours eu une sorte de décalage entre tes albums studios et tes live, où les morceaux sont beaucoup plus directs et énergiques justement. Est-ce que c’est une attitude qui te reste de tes premiers groupes ? J’ai le souvenir des concerts complètement fous d’A.H.Kraken…
Sur scène, si j’ai une guitare électrique et des effets, je garde ce truc que j’ai depuis que je suis ado, quand j’ai découvert le rock via Sonic Youth et Nirvana, qui était de jouer fort et de s’amuser pas mal avec les feedbacks. Ça, je l’ai toujours gardé. Alors effectivement, les albums de Marietta paraissent beaucoup plus sages à côté de Feeling of Love ou d’A.H.Kraken, mais pas en concert. Je pense qu’il y a la même énergie que sur Feeling of Love. A.H.Kraken, c’était encore différent. On jouait plus sur le côté bancal et on assumait vachement notre amateurisme. On avait du matos de merde et ça sonnait vraiment pourri. Nos accordages étaient bizarres… On n’était jamais accordés en fait. (rires)
Tu as composé et enregistré en solo les démos des albums de Marietta sur un multi-pistes. Comment s’est effectué ce passage de la chambre à la scène avec la Cream Team ?
Basement Dreams Are the Bedroom Cream, le premier album, était composé de chansons où il n’y avait pas de basse, ni de batterie… C’était beaucoup de collages très lo-fi. On a donc presque tout repris de A à Z. Il a fallu réadapter l’ensemble, ce qui a pris un petit peu de temps. La formule en groupe était plus rock classique. On perdait le côté bricolé de l’album mais on gagnait en efficacité et en puissance. Pour La Passagère, comme le disque avait été enregistré avec les mêmes instruments que j’utilisais en concert, il a suffi que les musiciens rejouent les parties studios. Grosso modo, on jouait l’album presque à l’identique mais de manière plus énergique. La Passagère est assez midtempo, mais on a accéléré le rythme avec le groupe. En live, c’est vachement plus énervé.
Si The NBA Conspiracy est l’un des classiques de ta setlist, qu’est-ce qui a motivé ton choix de reprendre L’Insecte dans ma bouche pour cet EP ?
J’aurais pu choisir des morceaux plus pop comme La Carte, mais je cherchais un titre qui sonnait relativement différent de sa version disque. En live, L’Insecte dans ma bouche est plus minimal, avec cette batterie un peu krautrock, un peu épurée que Paul avait trouvée. Je me disais que ça pouvait être pas mal de choisir ce morceau, que ça ferait une nouvelle version. Et il restait aussi dans ce côté un peu répétitif et lancinant qu’a The NBA Conspiracy. Les deux titres fonctionnaient bien ensemble.
Ce sont surtout des titres qui te permettent d’improviser sur scène et de les faire évoluer. Sur le premier album, The NBA Conspiracy tourne autour de cinq minutes alors qu’en live vous pouvez le pousser pendant plus d’un quart d’heure.
A force de le jouer, le morceau a muté et la dernière partie a commencé à se structurer. Au début, les jams étaient plus courts, mais on n’essayait pas trop d’établir un truc figé. A chaque fois que l’on a tenté, ça marchait moins bien. Il fallait vraiment se laisser porter par le truc, essayer d’être dans l’instant. Il y a eu cette tournée en Suisse, qui était assez particulière, un peu émouvante puisque c’était la dernière fois que les deux Paul jouaient dans Marietta. The NBA Conspiracy a ce côté vraiment jubilatoire et défouloir alors on s’était dit qu’on allait se faire plaisir et le pousser jusqu’à ne jamais s’arrêter. Au final, il devait faire presque vingt-cinq minutes.
On avait déjà pu entendre le morceau inédit Pristine lors de tes concerts.
Je sentais qu’il manquait quelque chose pour boucler ce maxi. Il lui fallait un truc en plus, un titre que les gens n’avaient pas entendu ou très peu. Je venais d’écrire ce morceau qu’on avait déjà répété avec le dernier groupe et comme on l’avait déjà fait un peu tourner en concert, il était assez solide. Au départ, je crois avoir demandé à Paul de l’enregistrer pour en faire une démo, que j’aurais ensuite mis sur le prochain album. Mais la prise de son était tellement bonne que j’ai préféré le garder tel quel. Au final, il est bien comme ça et je pense qu’il ne sera pas sur le prochain album.
Tu continues à chanter en français sur ce morceau. Tu as donc définitivement adopté la langue de Molière ?
Eh bien non ! Ça ne veut rien dire, c’est un faux teaser. Quand j’ai écrit Pristine, il fallait que j’utilise le français mais j’ai recommencé à écrire en anglais. Il y aura un peu des deux sur le prochain album. J’ai des choses à dire avec la langue française.
À l’époque, est-ce que ce passage au français sur La Passagère a eu des conséquences sur ta manière d’écrire ou de composer ?
Je ne pense pas. Je me rends compte que les nouvelles chansons que je suis en train d’écrire, celles qui sont en français, ne ressemblent pas à celles de La Passagère. Je pense que l’esthétique musicale particulière de cet album est davantage liée à ce que j’étais à ce moment-là et ce que j’avais envie de faire. Il y avait un côté premier jet, un peu brouillon et maladroit dans le chant, dans le rythme des phrases. Ce disque était de toute façon tellement pop et chiadé que je trouvais ça cool d’y coller un chant un peu bancal, presque « punk ». Je pense que c’est aussi pour ça que l’album est un peu bâtard et qu’il a pu déstabiliser pas mal de gens, pour ce côté très pop et en même temps mal foutu par-dessus.
Tu as senti que les gens étaient déstabilisés par rapport à ça ?
Oui, par rapport à la production et le fait que je chante en français. J’ai fait exprès de ne pas me cacher, de ne pas planquer ma voix derrière plein d’effets ou de la sous-mixer comme certains groupes de rock psyché français peuvent faire, ce qui donne une voix un peu planante. Là, il y a ce truc frontal, ça peut être moche mais tant pis. Je ne voulais pas faire semblant. Et puis tu comprends de quoi il s’agit directement. Après, ça ne veut pas dire que quand j’écris en anglais, je ne me fais pas chier à faire un texte qui ait du sens. Le prochain album sera moins lo-fi que mon premier disque alors on saisira peut-être mieux les textes en anglais.
Ces derniers temps, on t’a surtout vu faire des DJ-sets et des concerts en solo. Tu es même allé jouer en Grèce…
C’est plus simple de tourner en solo, beaucoup plus abordable financièrement. J’ai commencé à faire des concerts guitare/voix, comme Kevin Morby ou Kurt Vile quand ils jouent seuls, avec ce côté vraiment folk. Puis j’ai essayé de remettre un peu d’électricité, des pédales d’effets et une boîte à rythmes, mais je trouvais que ce n’était pas encore ça. A la maison, j’ai toujours enregistré sur des quatre ou huit-pistes à cassettes, mais maintenant je me suis mis à bosser sur ordinateur. Ça me permet de sampler toutes mes pistes en live et d’avoir des sets en solo un peu plus énergiques.
Ta musique a toujours été en évolution. Pour ton prochain album, on peut donc s’attendre à ce qu’il y ait une rupture avec le précédent ?
Je ne sais pas trop comment va sonner ce nouveau disque au final. Ce sera peut-être un mélange des deux premiers albums. Je pense qu’il y aura un côté plus débile que sur La Passagère, moins mélancolique. Tout ce que je sais, c’est que j’ai envie de faire un truc assez ludique. C’est bizarre de sortir des disques, que ce soit en ton nom propre ou à celui d’un groupe. Les gens s’attendent toujours à ce qu’il y ait une certaine cohésion esthétique. Il faut que cette esthétique soit marquée, franche et que tu la gardes même si tu la fais évoluer. Tu dois sortir le même album qu’avant mais il faut qu’il soit meilleur. C’est une espèce de quête sans fin, qui me rend cinglé à l’avance. Ce nouveau disque ne sera donc pas radicalement différent mais ce sera différent. J’ai déjà un studio en tête pour l’enregistrer. A priori, on pourrait faire ça en septembre.
Cream Team EP (Born Bad Records)
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