Rescapés de pas mal de tempêtes, les élégants corsaires de Cousteau ont enfin trouvé, avec leur premier album Cousteau, le rafiot nécessaire à leur odyssée dans les terres les plus luxuriantes de la pop. Enfin disponible en France, ce joyau devrait définitivement faire du bonnet rouge l’ultime accessoire chic. Au début de l’année, nous couvrions […]
Rescapés de pas mal de tempêtes, les élégants corsaires de Cousteau ont enfin trouvé, avec leur premier album Cousteau, le rafiot nécessaire à leur odyssée dans les terres les plus luxuriantes de la pop. Enfin disponible en France, ce joyau devrait définitivement faire du bonnet rouge l’ultime accessoire chic.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Au début de l’année, nous couvrions d’éloges le premier album autoproduit de Cousteau, alors disponible en quantité tellement réduite qu’il disparut aussitôt des étalages. Approché par plusieurs maisons de disques, le groupe avait alors préféré rentrer à quai et se mettre au sec, le temps d’apporter quelques retouches à son embarcation et de reprendre le large une fois l’horizon dégagé devant lui et sa survie matérielle assurée. Car l’équipage de Cousteau, constitué de cinq têtes plus ou moins dures, n’est pas né de la dernière marée. Ses membres ont tous derrière eux un petit paquetage de misère et de gloire avortée, un sacré paquet de n’uds au compteur et à l’estomac, trop de temps perdu à se perdre et pas assez à se poser pour réfléchir. Pour la première fois de leur vie, ils touchaient enfin à un but (leur album, même enregistré avec les moyens du bord, faisait chavirer la chronique en Angleterre), pas question donc de s’y abîmer dans la précipitation et de risquer l’avarie fatale.
Cousteau s’est donc retiré à l’ombre quelque temps et voilà que refait surface son premier album ravalé (avec des pincettes, un peu plus de coffre et de souffle), sous un emballage neuf une élégante photo du groupe a avantageusement remplacé l’image de hublot et de coquillages façon « cadeau de fête des mères à Douarnenez » de la première version , enfin disponible sous toutes les latitudes. Tout le monde, désormais, peut juger sur pièces ce que l’on avançait à l’époque, à savoir que Cousteau est l’un des nouveaux groupes en complet-veston les plus impressionnants à avoir émergé d’Angleterre depuis les trop isolés Tindersticks. Mais comme les Bad Seeds de Nick Cave, auxquels on est également tentés de les mesurer, Cousteau est un conglomérat de nationalités et de trajectoires diverses et tordues. L’homme qui compose, Davey Ray Moor, est un Australien de Canberra né à Beyrouth et qui a fait, à une époque, partie de The Church comme clavier avant de rejoindre Londres et de gagner sa vie (en compagnie du guitariste Robin Brown) dans l’écriture de musiques de films ou de spots publicitaires. L’homme qui chante, Liam McKahey, est un Irlandais de Cork, il a usé sa jeunesse dans d’infernales formations de psychobilly, bourlingué dans pas mal de marges et en conserve d’ailleurs les peintures de guerre : des tatouages qui rappellent plutôt Popeye que le commandant Cousteau. A priori, rien ne devait rapprocher ces deux têtes en tous points dissemblables, l’une frisée et frêle, l’autre massive et taillée en brosse. C’est le miracle du creuset londonien qui fera une nouvelle fois basculer les barrières. Davey : « Quand j’habitais en Australie, le fait même de composer avec un piano était considéré comme une activité suspecte. Avec les chansons que j’écris, j’étais forcément une cible pour les autres, qui considéraient ça comme une occupation de fillette. J’ai donc passé presque toute ma jeunesse enfermé chez moi, à rêver que je deviendrais un jour un grand compositeur adulé des foules comme Burt Bacharach ou Jim Webb. Le plus drôle, c’est que j’écris maintenant des chansons pour Liam, qui est tout aussi viril et robuste que les types qui se foutaient de moi à l’école. Je considère ça comme une douce revanche. »
Davey rencontre Liam un soir dans une fête et l’invite à rejoindre le groupe qu’il essaie de bâtir avec quelques égarés de l’Est londonien. A l’origine, Liam est embauché pour faire des chœurs sur des chansons que Davey a taillées pour lui-même et dont il ne souhaite pas se déposséder. Mais la voix spectaculaire de Liam, gorge profonde d’où remonte l’écho de Scott Walker, Johnny Rivers et autres crooners lunaires, pique vite la vedette au gosier autrement plus aigu et fluet de Davey. Sur l’album, les rôles seront donc partagés, Davey le sage restant bien calé dans son registre post-Bowie (les vaporeux Mesmer et (Shades of) Ruinous blue), Liam l’intrépide s’emparant des scènes de cascades et des montées d’adrénaline dramatique (Your day will come, Wish you were her).
Sans moyens, avec pour seule richesse un vocabulaire musical sophistiqué hérité des grands maîtres de la théâtralisation orchestrale des années 50-60 (Nelson Riddle, Don Costa, Jim Webb), Cousteau se lance à l’abordage de chansons aux idéaux démesurés, parvient contre vents et marées à donner corps à ses ambitions, monte son expédition avec des bouts de ficelle cousus d’or dans d’innommables studios crasseux dont ils parviennent pourtant à tirer des miracles. « Parce que nous portons des costumes et que nous avons un piano, les gens ont cru que nous étions riches, que nous faisions de la musique pour passer le temps et non pour gagner notre vie. Personne ne peut imaginer les conditions minables dans lesquelles nous avons enregistré la première mouture de l’album. Faire de la musique en Angleterre vous soumet immédiatement à des jugements complètement faux, basés sur des clichés. Nous portons des vestes, OK, mais elles viennent de fripes. Quand l’album est sorti, Liam gagnait sa vie en lavant des carreaux. Un jour, un de nos morceaux est passé sur la radio qu’il écoutait avec ses collègues en lavant les vitres, personne n’a voulu le croire quand il leur a dit que c’était lui qui chantait. »
Pour l’entourage proche de Liam, le choc est encore plus spectaculaire. Lui que tout le monde, en Irlande, a connu en petite gouape psychobilly s’est transformé en chanteur de charme (« Avant, quand je faisais écouter ma musique à ma famille, ils étaient embarrassés. Depuis Cousteau, ils me supplient pour que je leur laisse la cassette »). Lui qui a passé autrefois quelques nuits au violon s’offre aujourd’hui le luxe de roucouler en leur compagnie. « J’ai toujours voulu devenir un crooner, mais les groupes dans lesquels j’ai joué jusqu’ici m’obligeaient à hurler au lieu de poser ma voix. Depuis tout gamin, comme mon père possédait une fantastique collection de disques, j’ai été bercé par les grandes voix type Sinatra et par les chanteurs country. J’adorais notamment Glenn Campbell, qui était à la fois countryman et crooner, j’étais également fasciné quand je voyais Andy Williams à la télé. Mon père a quitté la maison très tôt, peut-être que ma vocation est née d’un traumatisme psychologique. Je me suis rendu compte assez vite de mes possibilités vocales. Quand je chantais seul, je prenais toujours du plaisir à creuser ma voix comme un crooner, simplement il me manquait le véhicule pour la transporter. »
En fait de véhicule, c’est sur un bateau ivre que Liam pose un pied, une de ces embarcations divagantes qui aiment en dépit des périls se soumettre à la fureur des houles et à l’intranquillité du grand large. Sous son allure un peu vieillotte d’orchestre de bal de la marine (la contrebasse, le violoncelle, tous ces instruments encombrants), Cousteau cache en réalité une âme tourmentée de corsaire, un goût pour la rapine et les dégazages sauvages. Ainsi cette intro de leur nouveau single, The Last Good Day of the year, qui n’hésite pas à plagier Bacharach, ou encore cette ambiance titubante et grisée dont ils se sont imbibés à l’écoute attentive de Tom Waits, qu’ils doivent aussi à une admiration sans bornes pour Gainsbourg. Dans un monde pop de plus en plus aux mains des marins d’eau douce, Cousteau s’extrait avantageusement du lot en ouvrant une route solitaire, loin des côtes agitées, et fonce droit vers un destin où l’attendent pêcheurs de perles rares et autres flibustiers des tropiques qui, de Robert Wyatt à Brel, encombrent leur imaginaire et dirigent leur gouvernail. Davey : « On a longtemps cherché un nom qui devait exprimer notre goût pour l’aventure et aussi l’aspect profondément aquatique de notre musique. Le choix s’est porté sur Cousteau parce que nous avons tous passé, dans les années 70, des après-midi à admirer les exploits du commandant et de son équipage. Tous les membres du groupe, qu’ils aient grandi en Irlande ou en Australie, ont rêvé de faire partie de l’équipe de la Calypso. Ils avaient l’air de bien manger, d’avoir des discussions passionnantes et de vivre des choses hors du commun. Et en plus, ils avaient de super-chouettes bonnets rouges. »
{"type":"Banniere-Basse"}