Uzeste de folie. Polyinstrumentiste surdoué, Bernard Lubat revient au piano, en solitaire, pour un disque épique et intimiste. Lubat est un phénomène, un musicien comme il y en a peu, outrageusement doué, riche d’un univers unique, déroutant, naïf et sophistiqué, populaire et savant, définitivement poétique… Seulement voilà : depuis plus de vingt ans maintenant sa […]
Uzeste de folie. Polyinstrumentiste surdoué, Bernard Lubat revient au piano, en solitaire, pour un disque épique et intimiste.
Lubat est un phénomène, un musicien comme il y en a peu, outrageusement doué, riche d’un univers unique, déroutant, naïf et sophistiqué, populaire et savant, définitivement poétique… Seulement voilà : depuis plus de vingt ans maintenant sa grande affaire dans la vie c’est Uzeste, son village natal, infime territoire familial métamorphosé par sa folie douce et subversive en improbable laboratoire politique et poétique. Alors évidemment occupé de la sorte à réinventer, au jour le jour et en miniature, l’art périlleux de vivre ensemble, le Gascon Lubat, démiurge faussement désinvolte, n’a guère le temps de s’occuper des gens de la capitale. Parfois quelques bribes de musique libre nous parviennent encore, miraculeusement. Et puis chaque été, l’espace d’une quinzaine d’utopie festive, Uzeste se transforme en festival et vacille gaiement en déflagrations lyriques et collectives. Ensuite la vie reprend son cours. Simplement. Le temps là-bas a ses quartiers.
Tout ça pour dire que dans ce contexte bien particulier, un nouveau disque de Lubat prend immanquablement des allures d’événement. Et celui-ci peut-être plus qu’un autre, qui semble s’inscrire, par sa formule solitaire, dans la tradition toute romantique de l’exercice d’introspection, de la confession impudique. Du moins apparemment. Car Conversatoire, on le comprend vite, est tout sauf un disque de piano solo de plus. Avec une certaine rudesse dans la forme et une infinie délicatesse dans le ton, Lubat nous projette d’un coup dans une autre dimension : au-delà de l’instrument et de ses idiomatismes, au-delà de la technique et de son exhibition, au-delà des styles établis, au-delà d’une quelconque idée d’esthétique même de plain-pied dans la musique, c’est-à-dire dans la poésie. De la poésie humaine, épaisse dans ce qu’elle brasse de matière brute et d’affects, de mémoire partagée et de fantasmes personnels à la fois épique et intimiste dans le même geste. Car il y a toujours ces deux dimensions curieusement entremêlées dans l’art brut de Lubat, comme si au plus profond de son expression individuelle gisait une sorte de voix anonyme qui disait l’universalité d’être quelqu’un de quelque part, ancré quoi qu’on en dise dans un lieu, un temps, relié aux autres dans la longue procession des générations. Alors dans cette oeuvre pensée, méditée, et bricolée quand même, parce que c’est comme ça qu’il crée, dans ce va-et-vient incessant entre l’art, ses formes et ses contraintes, et la vie, ses flux et ses hasards, Lubat arpente ses territoires, converse avec ses fantômes : on entend Ravel, celui de Gaspard de la nuit, avec cette même poésie nocturne, hantée en même temps que Monk ou Bud Powell, soudain, dans l’articulation rythmique ; une biguine créole héritée d’Eddy Louiss devient sous ses doigts magiques une longue et passionnante méditation lyrique sur la familière étrangeté de l’autre… Lubat est tous ces autres.
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