Vous pouvez toujours vous procurer des places mais il faudra débourser entre 140 et 166 euros.
Vendredi 17 septembre, 10h. Les places pour le concert de Nicolas Jaar au Trianon (Paris, 18e) sont mises en vente sur Digitick par son tourneur Super! Mon Amour. 10h10, La totalité des billets est écoulée. 10h20. Les premiers déferlements de haine mêlés d’une tristesse larmoyante jaillissent sur la page Facebook de l’événement. Dans le même temps (à quelques minutes près), des places pour le concert émergent sur le site de reventes de billets Viagogo. Les prix oscillent entre 140 et 166 euros l’unité. A l’origine, le billet était vendu 33 euros.
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Viagogo ne lésine pas sur la pression : trois jours plus tard, un bandeau annonce qu’il reste « moins de 3% des billets pour cet événement« . Un autre, plus gros, plus gras, en rouge sur fond rose, martèle que « les billets se vendent très rapidement! » et qu’il s’agit donc d' »achetez vos billets avant qu’il ne soit trop tard ! » Tandis que s’ouvrent des pop-ups alertant sur le fait que « 276 autres personnes regardent cet événement« . Sous-entendu : s’apprêtent à vous piquer vos places. Pourtant, sur un laps de temps de quatre heures, le nombre ne varie jamais, restant figé pour l’éternité à « 276 ». Ce qui est bien entendu impossible.
Sur la page de l’événement Facebook (qui compte plus de 3000 participants et 1500 intéressés), la colère gronde. Aux timides « cherche 2 places svp » s’ajoutent de dramatiques « Faire de l’argent sur le dos des passionnés, j’ai mal a ma France » ou encore « Merci et bravo aux personnes qui ont pris des places en masse pour se faire de l’argent sans penser une seule seconde à celles qui attendaient ce concert depuis longtemps. VOMI. » Beaucoup nomment explicitement l’ennemi à abattre -Viagogo- et/ou rivalisent d’ironie :
« Me reste 15 places à revendre. – Contact en MP. S’abstenir des offres < 150€."
L’achat était limité à quatre places par personne
Contacté par nos soins, Julien Catala, directeur de l’agence de booking Super! Mon Amour, semble aussi surpris que nous.
« L’achat était limité à quatre billets par personne, justement pour prévenir ce type de dérapage. Nous avons vérifié le profil des acheteurs avec l’équipe de Digitick et il ne s’agit que de particuliers, pas de robots. »
Car certains « bots » (un logiciel qui interagit avec un site comme un humain) permettent de passer les tests des Captcha (censé vérifier votre « humanité ») et d’acheter en masse des places depuis différents ordinateurs (dits « zombies ») afin de les revendre en ligne à prix fort. Si aucun « bot » n’a été utilisé dans le cas de Nicolas Jaar, un même revendeur a pu utilisé des « petites mains », des acheteurs chargés d’acquérir chacun les quatre places réglementaires à 10h tapantes vendredi matin contre une commission.
Une pratique illégale en France, où une loi de 1919 interdit de revendre des billets pour un événement culturel bénéficiant de subventions publiques à un prix supérieur à sa valeur faciale. A laquelle est venu s’ajouter en 2012 un amendement punissant de 15 000 euros d’amende le fait de vendre, d’offrir à la vente ou d’exposer en vue de la vente ou de la cession des titres d’accès à une manifestation sportive, culturelle ou commerciale, sans l’autorisation du producteur, de l’organisateur ou du propriétaire des droits d’exploitation de cette manifestation.
Résultat : en 2011, Viagogo était condamné par le tribunal de grande instance de Brest à retirer toutes les annonces de vente de places pour le festival des Vieilles Charrues dont le « prix ne serait pas indiqué » ou serait « supérieur à sa valeur faciale« . En juillet dernier, c’est l’UEFA qui annonçait avoir l’intention d’assigner le site en justice pour revente illégale durant l’EURO 2016.
Silence radio du côté de Viagogo, qui nous invite à leur envoyer nos questions, mais préfère, tout compte fait, nous envoyer une déclaration sans grand rapport avec l’affaire nous concernant:
« Viagogo est la plus grande source de billets pour des événements sportifs, musicaux et de divertissement. Nous avons près de 5 millions de billets disponibles en permanence sur notre réseau qui s’étend sur 60 sites. Des clients de 160 pays ont eu recours à nos services afin d’acheter des billets en utilisant la langue, la monnaie et la devise de leur choix. »
Du stade aux indés
La pratique, qui concernait à l’origine les gros concerts de type « stade » (Beyoncé, Lady Gaga, Muse et compagnie), s’étend désormais aux artistes plus indés. « Nicolas Jaar a une grosse fanbase, tourne peu, et a décidé de jouer dans une petite salle [1200 places] » souligne Julien Catala, « le même jour nous avons mis en vente les places pour Bon Iver [22 janvier 2017 au Zénith] et elles se sont également écoulées très rapidement« . Face à une telle inflation des prix, le bookeur est-il tenté de s’aligner ? « Pas du tout. On fixe les prix avec le manager et l’artiste. Nicolas Jaar ne va pas jouer pour 100 euros la place… » assure Julien Catala. Pour lui, la lutte contre cette pratique repose surtout sur les consommateurs :
« Il faut que les gens cessent d’acheter sur ces sites. D’autant plus que personne ne peut être sûr d’acheter un vrai billet ou que son billet soit unique. Quelqu’un peut très bien acheté un seul ticket puis le vendre à différents endroits sur Internet. L’acheteur s’en apercevra au moment de le scanner à l’entrée du Trianon… »
Pour lui, Viagogo devrait être « interdit au même titre que les sites de téléchargement, qui sont régulièrement fermés ». D’ici là, Julien Catala envisage de monter un collectif de bookers pour pousser un coup de gueule, et rassure les fans: Nicolas Jaar devrait repasser par Paris en 2017, et certainement dans une plus grande salle…
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