Corrida en noir et gris par la compagnie La La La Human Steps, chorégraphie de Edouard Lock, une nouvelle chorégraphie schizophrène de La La La Human Steps. Musique de Gavin Bryars.
Avec un nom pareil, on en a déjà la danse à la bouche. Si l’on ajoute Iggy Pop, My Bloody Valentine et Gavin Bryars pour certaines musiques, plus une collaboration avec David Byrne, il devient urgent d’être curieux. Bien vous en prendra. Voilà une danse qui ne prend pas de gants, ne cache rien mais n’impose rien, vous offre tout, mais en libre-service. Les danseurs font plus dans la corrida en noir et gris que dans les approches pastel- lisées. A commencer par l’égérie du groupe, Louise Lecavallier, qui défie purement et simplement les lois de la pesanteur. Non qu’elle ait particulièrement le gabarit papillon, mais simplement parce que la puissance de son corps l’amène à risquer son énergie à des figures que l’on imagine seulement en images virtuelles. En plus, non contente de se produire dans l’aérien, elle assure avec la même maîtrise un ancrage dans le sol lui permettant aussi de porter les charges les plus lourdes comme l’approche séductrice d’un homme à fleurs, pétales rouges volant sur pantalon noir. Ce spectacle ne serait qu’un aimable flamenco stylisé en 78 tours (pour ceux qui savent encore ce que c’est !) si le chorégraphe canadien Edouard Lock n’avait pas le génie de troubler toutes vos perceptions. Là où vous auriez tout naturellement accompagné votre danse par un tempo techno le plus débridé, il vous impose deux clavecins de 1950 qui sonnent comme des guitares électriques de la même époque et viennent vous conter fleurette sur une musique baroque du xvième siècle. La chose étant encore trop peu déroutante, il a demandé à Gavin Bryars de créer, en appui, des structures musicales contemporaines secondaires. Ça, c’était pour les oreilles, mais la surprise des images vous menace également d’un strabisme schizophrénique plus que troublant. La scène est « filtrée » par des écrans, formant une géométrie végétale sculptée, dont deux en forme d’écran de cinéma renversé, sur lesquels des films en noir et blanc sont projetés. On peut y voir l’image de Louise Lecavallier vieillie (près de 95 ans), qui mange, dort, a des actions simples à la rencontre de son vivant. C’est de ce type de dualités que la pièce tire son titre. Edouard Lock explique que la réalité de la perception est complexe, »j’ai pas vraiment envie de la simplifier ». Vouloir à tout prix mettre en relation la danse, la musique, le rythme et les images lui paraît assez incongru. « L’unification, c’est peut-être une illusion, l’esprit n’aime pas le chaos, il crée donc des relations (…) la chorégraphie a son rythme propre. » Lock travaille par sédimentation et ajouts. Il découvre la bande-son après avoir fini sa chorégraphie. De ce millefeuille naissent des forces organiques sensibles et charnelles où chaque spectateur tente de résoudre l’énigme qui lui est propre. Mais Edouard Lock n’oublie pas le coeur de son travail parce que « simplement, pour se faire entendre, la danse doit parfois crier plus fort ».
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Pierre Hivernat
{"type":"Banniere-Basse"}