PNL n’est pas qu’une machine (à buzz, à streams, à morceaux générationnels) capable d’inciter d’autres artistes à décaler la sortie de leurs propres albums. C’est aussi et surtout un mythe, bien réel et façonné méticuleusement depuis cinq ans.
Tout, chez PNL, laisse à penser que leur musique intéresse moins que l’image qu’elle véhicule : les chiffres (rappelons qu’Au DD est le premier morceau de rap français à intégrer le top 30 mondial des morceaux les plus streamés sur Spotify), la résonance médiatique (en Angleterre, en Allemagne, en Suède où même au Japon, le duo fascine), la stratégie de communication (digne de Daft Punk, en quelque sorte), le concert donné sur les Champs-Élysées… C’est bête, mais on aurait presque l’impression de faire face à un duo abandonné à la démesure, habitué aux excès.
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À première vue, le clip d’Au DD entretient cette ambition, cette quête de succès : on y voit les frères Andrieu au sommet de la Tour Eiffel, ce monument qu’ils observaient depuis une terrasse dans le clip de DA il y a trois ans, ce symbole de la France que l’on pouvait apercevoir d’encore plus loin dans le clip de J’comprends pas il y a quatre ans. Pourtant, dès les premières secondes d’Au DD, le message est clair : “Bats les couilles d’l’Himalaya/ Bats les couilles, j’vise plus l’sommet”. Plutôt que des rappeurs superstars, Ademo et N.O.S restent donc bien deux MC du coin de la rue, des artistes “au détail”, obsédés par l’idée d’être “les rois du hall” et persuadés que le succès n’efface pas l’amertume.
Logiquement, les frangins de Corbeil-Essonnes opèrent ainsi un retour vers l’intime avec leur quatrième album, Deux frères – ce que la vidéo diffusée en direct sur YouTube le 22 mars dernier confirmait, avec cette caméra qui partait de l’espace pour se recentrer sur eux. “Je remplace centimes par sentiments”, rappe d’ailleurs Ademo dans À l’ammoniaque, premier extrait balancé l’été dernier. “Maintenant que je remplis les salles, ma vie me manque”, semble lui répondre N.O.S sur Cœurs.
“Que la mif, rien n’a changé”
PNL n’en délaisse pas pour autant les aspects les plus immédiatement charmeurs de sa musique : les voix sont toujours subtilement autotunées, le flow extrêmement précis, la production fascinante d’élégance (entendre pour cela les ad-libs sur Shenmue) et les morceaux qui, en dépit de quelques tentatives un peu plus festives (91’s, Hasta la vista…), s’écoutent le pouls ralenti (Autre monde). Et documentent encore et toujours la désillusion et les faiblesses de deux hommes plus vulnérables que leurs corps athlétiques ne pourraient le laisser penser… “J’pense trop aux autres/ C’est peut-être c’qui me tue.”
Surtout, les dix-huit morceaux réunis ici font coup double. Non seulement, ils emmènent le duo dans des contrées jusqu’ici inexplorées (cf. les distorsions de voix sur Déconnectés, les élans de variété sur À l’ammoniaque et le riff de guitare d’Au DD qui, à tort ou à raison, nous rappelle celui de Karlito et Manu Key sur Chienne de vie), mais ils entretiennent également la mythologie des frères Andrieu, occupés ces dernières années à faire ce que tout bon artiste devrait faire en ces temps hyper concurrentiels : créer leur propre univers, sans aucun concession à qui ou à quoi que ce soit.
Ainsi, ce n’est pas une simple punchline égocentrique que balance N.O.S lorsqu’il dit : “Que la famille/Personne nous inquiète jusqu’au dernier gramme”. C’est une façon pour lui de faire référence dans un même souffle au nom du premier album de PNL (QLF) et au titre d’un des morceaux emblématiques de Dans la légende (Jusqu’au dernier gramme, donc).
Dans le clip, c’est pareil : l’homme masqué dans l’ascenseur rappelle la pochette de Le Monde chico, la borne d’arcade n’est autre que celle utilisée par N.O.S et Ademo lors de leur dernière tournée et le tag « Le monde ou rien » est bien évidemment un clin d’œil à leur single de 2015. C’est un peu comme si PNL façonnait depuis un peu plus de cinq ans un monde à la fois singulier et générationnel – sinon, comment expliquer les références récurrentes dans les textes à Mowgli, à Simba, à Dragon Ball Z ou à d’autres symboles de la pop culture (Star Wars, Rasta Rockett, Street Fighter et même… Julie Lescaut) ?
“J’marche comme Link dans l’monde des Gorons”
Tout laisse ainsi à penser que PNL a créé ces dernières années un univers parallèle qui s’autoalimente d’album en album, créant des points de repères, des codes grammaticaux (“N‘DA” pour in da hood, par exemple) et des éléments sonores qui reviennent sans cesse de morceau en morceau. Il faut ainsi accepter de s’abandonner dans les mots, pleins, massifs et vulnérables de deux rappeurs perchés “dans les abîmes, un peu comme Anakin”, “tristes comme d’hab’”, hors-sol (“J’suis ni d’chez moi, ni d’chez vous”), et qui savent pertinemment qu’à part “le nombre de cicatrices, rien ne va changer”.
Et c’est vrai que, fondamentalement, rien ne change : PNL continue de raconter les banlieues sales, la bicrave, l’intimité d’une enfance passée à deux, la peur d’être corrompu par le bif (c’est d’ailleurs le sujet de Chang), ce monde que le duo contemple avec mépris et l’aigreur d’une génération avec les mêmes métaphores (celles de la salle du temps, des singes et de la jungle, entre autres), mais avec une émotion toujours renouvelée. Car, même s’ils prétendent vouloir devenir les “princes de la ville”, Ademo et N.O.S ne bombent jamais le torse. Bien conscients que “les années passent comme la galère” et que le succès est un piège (“Viens, on s’casse, mon frère, avant qu’on s’perde”), ils restent une fois de plus au plus proche du réel, entourés des leurs, à façonner leur mythe. Histoire d’entrer définitivement dans la légende ?
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