Que ce soit dans leurs textes ou dans leur imagerie, de nombreux poids lourds du rap ont revendiqué l’influence de Stan Lee, décédé lundi. De Ghostface Killah a Lil Wayne, de MF Doom à Kendrick Lamar, retour sur la manière dont l’oeuvre de l’auteur de comics a durablement imprégné l’histoire hip-hop, américain en premier lieu.
Le rap est une éponge à toutes les cultures qui l’entourent, et ce depuis sa naissance. Lorsque Stan Lee, co-créateur d’une large partie de l’univers de Marvel, est décédé ce lundi à l’âge de 95 ans, on s’est surpris à se souvenir du logo du Wu-Tang Clan, du clip de Without Me d’Eminem, ou des freestyles de The Last Emperor. Autant de liens tissés entre l’imagerie de Stan Lee, de ses super-héros, et le rap, toutes générations confondues, réaffirmés par les nombreux hommages du milieu. Car l’influence de « Stan The Man » sur le hip-hop transpire partout, des textes aux blases, des clips aux coups marketing.
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La BO de Black Panther, forcément
L’un des points culminants de ces liens longuement tissés serait très certainement la bande originale du blockbuster Black Panther, sortie en février 2018, produite par Kendrick Lamar, et rassemblant SZA, Jorja Smith, Schoolboy Q, Vince Staples et autres Future, Jay Rock et Travis Scott. Un mastodonte cinématographique qui rencontre les poids lourds de l’urbain, sorte d’achèvement de quarante années d’influences mutuelles. Car avant cela, il y a eu bien des choses.
Dès les prémices de la culture hip-hop, le sentiment de mouvement collectif, d’action et d’engagement (un bien grand mot) qui habitait une large partie de ses activistes, pourrait, en bien des points, se rapprocher de l’univers des comics. Les poses des membres de la Zulu Nation, l’identité visuelle de Grandmaster Flash, l’aspect disciplinaire de ses fondements… Comment ne pas voir en Afrika Bambaataa une possible création de Stan Lee, un super deejay qui rendrait la justice dans sa ville ? Tiré par les cheveux ? Pas tant que ça.
Mais délaissons les interprétations au profit des faits : s’il fallait retenir quatre rappeurs dont l’œuvre est imprégnée de celle de Stan Lee, se serait sans aucun doute Eminem, MF Doom, Lil Wayne et Ghostface Killah. Pour ce qui est des grands noms en tout cas. « J’ai toujours été dans ce délire de comics, racontait Eminem sur le site Rap Genius. Spiderman, Hulk, les vieux Batman, Superman… Surtout les Marvel vintages, ceux d’avant que je naisse. Le simple fait de posséder ces pièces historiques, c’est un truc de fou. Je ne voudrais pas me confronter à un expert des comics, mais j’en connais déjà un bon rayon. »
Les textes imprégnés de l’univers Marvel
Il est sans nul doute celui qui cite le plus régulièrement les noms de Hulk, de Thor ou de Spiderman (tous des créations de Stan Lee) dans ses textes. « Clothes ripped like The Incredible Hulk » dans My Name Is en 1999, « My spider sense is telling me Spiderman is nearby / And my plan is to get him next » sur Rain Man en 2004, « And this is real talk, I feel like The Incredible Hulk / My back has been broke and I can still walk » sur Careful What You Wish For en 2009, « Flows tighter, hot-headed as Ghost Rider / Cold-hearted as Spiderman throwing a spider in the snow » sur On Fire en 2010… Même sur Rap God en 2013 : « So you’ll be Thor, I’ll be Odin« , semblant expliquer que même si un autre rappeur pense être un dieu (comme Thor), Eminem sera toujours le dieu des dieux (comme Odin). Même chez les potes de Slim Shady, comme Proof du groupe D12, les références à Hulk et compagnie sont légion.
Un amour jamais caché qui vaudra même à Marvel de renvoyer la pareille au rappeur de Detroit : en 2009, il est l’un des personnages du Marvel Limited Series : Eminem/Punisher. Allié au super-héro avec qui il partage l’affiche de ce comic, il part traquer le vilain Barracuda. Une sombre histoire de fusillade, de tronçonneuse et de requins…
« La façon dont les comics sont écrits fait voir la dualité de la réalité, de telle manière que le méchant n’en est plus vraiment un quand on considère les choses de son point de vue, déroule le rappeur masqué MF Doom dans une interview au magazine Wired, retranscrite par The Backpackerz. En découvrant cette écriture, je me suis dit que je pouvais l’adapter au hip-hop, quelque chose que personne n’avait jamais fait. C’est à ce moment là que j’ai créé ce personnage et que j’ai commencé à embrouiller tous ces éléments – la naissance du Vilain. » Il tire son nom et son masque d’une création de Stan Lee, le Docteur Fatalis, ou Doctor Doom en anglais.
Et forcément, dans ses textes, cela se ressent. D’ailleurs, il aime à s’imaginer se frotter aux autres héros, comme sur Raid en 2004 sur l’album classique Madvillainy sorti en collaboration avec Madlib : « Even with the arms of the Hulk, you couldn’t hold me / From getting mines, stogies be rolled« . Il poussera même la référence jusqu’à incorporer, à la toute fin de son titre Guinesses, en 2016, la voix de Spiderman tirée de la série de dessins animés produite par Marvel à la fin des années 1980.
#Donald4Spiderman
En 2010, certains fans de Spiderman se sont mis à espérer une chose : que ce soit l’acteur Donald Glover, aussi connu sous le nom de Childish Gambino lorsqu’il s’adonne (avec brio) à la musique, qui incarne le héro dans la prochaine série de films. Mais une autre partie des fans, bien plus grande celle-ci, s’y est très vivement opposée. Résultat, le hashtag #Donald4Spiderman a fait son bonhomme de chemin, forçant l’intéressé à répondre dans ses productions musicales. Un an plus tard, il disait sur Not Going Back : « Couldn’t see me as Spiderman, but now I’m spittin’ venom / Now you’re payin’ attention, pick your fucking face up / When I wanna be a superhero, I just wake up« . Idem sur Do Ya Like la même année : « Yes, I bring the heat, girl, fire for fireman / Baby, I’m your hero, Donald for Spiderman« .
La polémique a même fait réagir d’autres rappeurs, comme Logic, qui en 2017 sortait le très explicite titre Black Spiderman. Dans une interview, il expliquait : « Spiderman devrait être noir. James Bond devrait être gay s’il en a envie. […] Ce que je veux faire transparaître dans cette chanson, c’est le combat contre les stéréotypes. Je suis habitué à voir un nerd blanc de New York jouer Spiderman car c’est comme cela que Stan Lee l’a créé, mais je veux dire que Internet ne devrait pas exploser dès que l’on suggère Donald Glover en tant que Spiderman. C’est débile et ça ne devrait pas arriver« .
Jay Z, Lauryn Hill, Beastie Boys… et surtout Ghostface Killah
Alors oui, Chuck D, du groupe Public Enemy, s’est maintes fois comparé à Thor (comme sur le titre Raise The Roof). Oui, Lauryn Hill a cité Dr. Strange dans son couplet de How Many Mics des Fugees (en 1996). Oui, Jay Z rappait sur Kingdom Come en 2006 « Flash Gordon when recording, spark the light in the dark / Peter Park, Spiderman, all I do is climb the charts« … Oui les Beastie Boys empruntaient à Human Torch des Quatre Fantastiques sa phrase fétiche dans Body Movin, « Flame on, I’m Gone / I’m so sweet like a nice bon bon« … Mais peu ont autant référencé leur musique à grand coup de Marvel comme a pu le faire Ghostface Killah.
Le emcee du Wu-Tang Clan avait d’ailleurs l’habitude de se faire surnommer Ironman, ou Tony Starks (avec un « s » à la fin). Ça n’est pas anodin. Consécration pour le bonhomme, il est appelé à rapper sur la bande originale du premier film Iron Man en 2008 sur le titre Slept With Tony, lui qui dès 1996 appelait son nouvel album… Ironman. Un fan, on vous dit. Sur The Champ (sorti en 2005), entre bien d’autres exemples, il rappait : « The haters, they earl, run to the toilet and vomit / Back East, I’m a MC king since Cuban / Pretty Tone, Iron Man, Bulletproof and Supreme« . Tout un programme. Même son pote Method Man, issu du même Wu-Tang, viendra rendre hommage à Marvel en chantant sur la bande originale de la série Luke Cage (Netflix + Marvel) avec le titre Bulletproof Love, référence à un autre superhéro, en featuring avec Ali Shaheed Muhammad et Adrian Younge. D’ailleurs, la scène de la rencontre entre Method Man et Luke Cage dans une épicerie de Harlem vaut le détour…
http://www.youtube.com/watch?v=c3rmdKzLyco
On a tout de même un gros faible pour The Last Emperor. Dans son freestyle Secret Wars, un classique rap underground, il mettait en scène nombre de rappeurs de premier plan, et les faisait se battre contre des superhéros de Marvel, notamment, dont une volée enfantée par Stan Lee. Le Professeur Xavier entrait dans l’esprit de KRS-One, Reggie Noble se transformait en Redman pour terrasser Hulk, Ras Kass mettait la misère à Magneto… Un bon story-telling des familles hyper visuel. Et hyper référencé.
Le fan Lil Wayne
Tout cet amour de la part du rap, Marvel ne l’a pas oublié, et l’a rendu de nombreuses fois. Notamment en 2015, lorsque plusieurs dessinateurs de la société se sont mis à revisiter de grandes pochettes de rap à la sauce superhéro. Ainsi Captain America et Le Faucon prenaient-ils la place de Big Boi et André 3000 sur la pochette de l’album Stankonia d’Outkast, ainsi Spiderman prenait-il la place de Lil Wayne sur celle de Tha Carter IV. Lil Wayne justement, qui a tant rappé son amour pour l’œuvre de Stan Lee.
Sur Street Chains en 2015, il assure : « Guns in my hands, I ain’t prayin’ / Fireman / Spittin’ venom, Spiderman« . De même récemment sur Hittas, tiré de son dernier album sorti cette année : « Tell ’em get they iron right before Iron Man come / Tell ‘em bring my car around, tell ‘em bitches lap up« . Il laisse même venir un autre fan faire des références à Hulk sur un de ses titres, Drop The World, en 2010 : Eminem lui-même. Entre geeks de Marvel, on se comprend, visiblement.
http://www.youtube.com/watch?v=1sybe2OPkKE
Inspectah Deck, Dr. Dre, Chief Keef, The Game, et même les Français Jul, KillASon et 7 Jaws (sans parler des X-Men)… Tous ont évoqué la patte de Stan Lee dans leurs textes. Mais c’est surtout dans l’imagerie hip-hop, dans les codes et les identités visuelles que l’impact est le plus fort. Tant mieux, c’est aussi là qu’il est le plus marquant, et pour plus longtemps.
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