Adapté de son travail chez “Les Jours”, le journaliste Sophian Fanen s’associe au réalisateur Benoît Pergent pour un documentaire qui ausculte les révolutions successives ayant conduit à l’avènement des plateformes de streaming musical.
Dès la première image de Comment le streaming a mangé la musique, trône en arrière-plan un vinyle du dernier album en date de Rosalía, Motomami (2022). Une coquetterie de la part du journaliste et spécialiste du streaming Sophian Fanen, qui a largement étalé son amour pour le disque sur les réseaux sociaux ? Peut-être. Un fusil de Tchekhov anticipant les conclusions de son documentaire ? Sûrement. Continuité logique pour le journaliste, après l’ouvrage Boulevard du stream : du Mp3 à Deezer, la musique libérée (2017) et une série d’articles (La Fête du stream) sur le média indépendant Les Jours, Sophian Fanen s’associe donc à Benoît Pergent et Arte pour un documentaire consacré à l’âge du streaming musical. Mais avant de célébrer à nouveau Rosalía, Comment le streaming a mangé la musique est avant tout un retour nécessaire sur les conditions de son émergence et une lettre d’amour à l’accessibilité de la musique – sans laisser de côté les problématiques contemporaines liées aux plateformes comme Spotify, Apple Music ou Deezer.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Guerres intestines
Découpé en trois parties distinctes (1999, 2001 et 2015), le film ausculte d’abord les révolutions successives ayant mis fin à l’hégémonie des grandes maisons de disques et le grand chamboulement de la musique enregistrée : naissance du Mp3, Napster, procès intenté par Metallica, les logiciels de peer-to-peer (Kazaa, Emule, Limewire), l’iPod et iTunes, les blogs tout-puissants, l’effondrement de Megaupload, tout y passe pour conter l’exaltation de la découverte et l’histoire de l’impuissance d’une industrie musicale initialement réticente. Comme un pied-de-nez, et après le marasme juridique dans lequel se sont empêtrées, sans résultats, les maisons de disques, Comment le streaming a mangé la musique prend d’ailleurs un malin plaisir à rappeler le passif pirate des premières plateformes de streaming, notamment Deezer (anciennement Blogmusik) ou YouTube avant le rachat par Google. Avant que l’industrie musicale ne se mette enfin au goût du jour.
L’âge de l’accès
Mais depuis, l’offre de streaming légale s’est imposée à nous. Elle a considérablement modifié nos habitudes, nos modes de consommation et profite à de nouveaux acteurs. Ce que le documentaire nomme l’âge de l’accès : on ne possède plus sa musique, on paye pour disposer d’un catalogue. Dans une étude assez fine de l’ambivalence de ce modèle, Sophian Fanen tisse alors le nouveau canevas de la musique enregistrée à l’heure du streaming. D’un côté, la perversité de ce système ultra-compétitif fait de productivité exacerbée, de burnout, de coûts de production réduits et de répartition des revenus du streaming inéquitable pour les artistes qui doivent se démultiplier pour exister dans cette infernale abondance.
De l’autre, une libération d’une musique post-genre, l’émergence du rap après une décennie passée à ronger son frein, un potentiel de découverte accru, des frontières plus poreuses entre mainstream et underground. Et, finalement, une dernière révolution en cours, formulée par le documentaire (notamment par l’artiste ghanéenne Amaarae et le directeur général de Spotify France, Antoine Monin) : le XXIe siècle doit être celui de la musique du monde entier, une vraie globalisation. Une voie pour que les oubliés des décennies précédentes (Nigéria, Brésil et le reste de l’Amérique Latine, Afrique du Sud, Chine, Inde…) puissent enfin capitaliser sur leur créativité – et leurs contributions à l’industrie par le passé. Une voie bouclant inévitablement sur une nouvelle diversité et l’arrivée en trombe de la K-Pop, de Burna Boy, de Bad Bunny et, comme promis en ouverture, de Rosalía.
Comment le streaming a mangé la musique de Sophian Fanen et Benoît Pergent. Disponible depuis le 6 septembre sur Arte.tv.
{"type":"Banniere-Basse"}