Mal aimé et jugé boursouflé, le troisième format long du groupe phénomène anglais ressort pour ses 25 ans en version remasterisée. Récit d’un semi-échec qui a nourri la légende des frères Pétard du rock UK.
C’est presque une forme de miracle quand on y pense. Les deux frangins Gallagher semblaient prêts depuis l’enfance à endosser le rôle de sauveurs du rock britannique et monter sur le trône d’une certaine royauté pop comme si c’était la chose la plus naturelle du monde. Poser leurs faces de lads sur les couvertures des magazines et créer l’illusion que c’était ici et maintenant que la période la plus excitante se vivait : dans un stade anglais à beugler des hymnes bravaches aux paroles simplistes aux côtés de 250 000 personnes en s’arrosant de bière éventée.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Défoncés, scandaleux (voire carrément benêts), Liam et Noel Gallagher forment Oasis dans les années 1990 : le groupe de tous les records, au sommet de la pop après la publication de ses deux premiers albums (dont on murmure que 5 % des Anglais posséderaient une copie). Pour son troisième album, Oasis est prêt à passer à la vitesse supérieure et au statut qui va avec : l’immortalité. Et, en coulisses, label et management se frottent les mains.
Illusions de grandeur
On est en octobre 1996 et Alan McGee débarque aux studios Abbey Road pour prendre la température de l’enregistrement du nouveau disque d’Oasis, le groupe qu’il a découvert trois ans plus tôt et qui a sauvé Creation Records, son label, de la faillite. En interne, on craint, vu le climat délétère qui règne (déjà) entre les deux frangins, de les avoir renvoyé au charbon un peu trop tôt, mais l’industrie ne prend pas de vacances quand les ventes se comptent en millions de disques. En se dirigeant vers la salle de contrôle, un bordel assourdissant parvient aux oreilles de l’Écossais.
À l’intérieur, il découvre Owen Morris, producteur historique du groupe, en sueur avec les dents qui grincent. Le groupe est coké jusqu’à l’os et s’acharne sur des overdubs de guitare pendant que Liam répète des parties de chant qui semblent bien pataudes. Noel en est sûr, son disque va être un mastodonte. McGee et Morris essaient bien de lui dire que l’entreprise va dans le mur. Mais les frères sourcils sont intouchables. Noel balaie de la main les éventuelles critiques. Le producteur retourne à sa paille et Liam est arrêté pour possession de coke quelques semaines plus tard, faisant les choux gras des tabloïds. Relogé à la campagne au Ridge Farm Studio, le groupe se réveille enfin face à des prises inexploitables. C’est sur ces fondations instables que s’achève l’enregistrement de Be Here Now.
Un échec à 11 millions d’exemplaires vendus
Dans l’essai Oasis ou la revanche des ploucs, les journalistes Benjamin Durand et Nico Prat évoquent la sortie de l’album en ces termes : “Ce disque marque un changement de stratégie commerciale pour Oasis. Un embargo a été imposé aux journalistes qui n’ont pu publier leurs articles au sujet de ce troisième album que quelques jours avant sa sortie. Les radios ont également l’interdiction de diffuser le moindre extrait à l’exception de D’You Know What I Mean?, qui tourne en rotation lourde tout l’été. Cette initiative, destinée à encadrer la sortie du disque, est encore très rare à l’époque.”
Le groupe, complètement hors-sol, perd l’affection d’une partie de son public de la première heure. Mais le disque est un succès critique et commercial, comme si remettre en cause Oasis n’était pas davantage possible dans la rue ou les médias qu’entre les murs du studio d’enregistrement. La baudruche ressemble à un ego (bad) trip obsédé par la figure tutélaire des Beatles : le titre est piqué à une phrase de Lennon et on dirait qu’à chaque note, Noel Gallagher veut écrire son All You Need Is Love. Plutôt que d’amour, c’est visiblement de repos et d’un peu d’humilité dont aurait besoin le musicien. Mais avec un disque jugé comme un échec vendu à 11 millions d’exemplaires, ce n’est pas pour tout de suite.
“Personne n’écoutait Oasis parce qu’ils nous rappelaient les Beatles : on les écoutait parce que, pendant quelques années glorieuses, ils arrivaient à faire beaucoup avec si peu. Parce que leurs chansons parlaient de fierté et d’ambition, de la possibilité d’échapper à un monde qui nous diminuait”
Nous voici donc en 2022 à nous repencher sur Be Here Now, donc, album rempli d’hymnes boursouflés dont la durée ressentie ferait passer la dernière saison de Stranger Things pour un épisode de The Office. Ce disque, un peu pénible et qui n’a pas forcément très bien vieilli (à la différence des glorieux deux premiers albums du groupe), est-il autant un malentendu que cela?
British Guns N’ Roses
En lisant quelques analyses de fans, il semblerait qu’il ait constitué une étape logique dans ce que pouvait (et peut encore) représenter le groupe, au-delà de son talent d’écriture. “Personne n’écoutait Oasis parce qu’ils nous rappelaient les Beatles : on les écoutait parce que, pendant quelques années glorieuses, ils arrivaient à faire beaucoup avec si peu. Parce que leurs chansons parlaient de fierté et d’ambition, de la possibilité d’échapper à un monde qui nous diminuait. Ils étaient beaucoup moins des nouveaux Beatles qu’une version anglaise des Guns N’ Roses : un classicisme rock distillé dans une approche abrasive avec un côté sentimental (et un frontman terriblement charismatique)”, s’enthousiasme ainsi le journaliste anglais Tommy Mack sur le site Louder Than War. En d’autres termes, la majorité du public d’Oasis n’a jamais eu envie de les voir jouer les artistes torturés.
25 ans après sa sortie, Be Here Now n’a en rien entaché le panache d’Oasis et comporte certains des titres préférés des fans du groupe, qui n’ont probablement pas grand-chose à faire de ces histoires de mixages analogiques et de remastering. Ringardisés en 1997 par Radiohead et Ok Computer (comme les Guns N’ Roses le furent par Nirvana), le groupe aux neuf vies s’est relevé de son trop-plein de confiance plus d’une fois. Ce serait faire un drôle de procès aux frères Gallagher que de leur reprocher l’arrogance poudreuse qui a mené à ce petit fiasco, tant c’est aussi pour ça qu’on les a aimés et qu’on leur a donnés la place qui est la leur dans le Panthéon du rock’n’roll moderne. Quant à savoir s’il faut s’imposer la réécoute de ce troisième disque, il dépend probablement de votre degré d’attachement au groupe. Oasis jouera-t-il des morceaux de Be Here Now pour sa prochaine tournée de reformation (parce que celle-ci finira bien par arriver) ? Il n’y a pas beaucoup de doutes là-dessus.
Be Here Now (Big Brother Recordings Limited)
{"type":"Banniere-Basse"}