Programmation colossale, soleil éclatant, ambiance bienveillante, organisation exemplaire… Le week-end dernier, le mastodonte des festivals britanniques a donné le coup d’envoi de l’été en beauté.
Depuis les années 1970, un vaste vallon du Somerset se transforme tous les étés en une véritable ville de 200 000 habitant·es. On y trouve une pharmacie, un bureau de poste, une imprimerie, un cirque, un centre de bien-être, ou encore une multitude de restaurants éphémères. On y vient, surtout, pour la musique. Glastonbury n’a pas volé sa réputation de plus grand festival britannique. C’est déjà le cas par l’immensité de sa population, mais cela se confirme aussi par sa programmation à couper le souffle. Ici, pas de pass à la journée : on réserve un pass intégral, à l’aveuglette, l’affiche n’étant dévoilée que des mois plus tard.
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Notre planning est un merveilleux casse-tête car les concerts immanquables se succèdent dès le matin jusqu’au bout de la nuit, simultanément, à un rythme effréné, sur un énorme périmètre comprenant une dizaine de grandes scènes (où on a dû se résoudre à faire l’impasse sur Slowdive, Hot Chip, Fever Ray, Phoenix, Blondie, Queens of the Stone Age, Sparks avec Cate Blanchett en guest de luxe, Max Richter accompagné de Tilda Swinton, Warpaint, Badly Drawn Boy, The Chemical Brothers sous une araignée pyrotechnique géante, Lizzo, Lil Nas X…) et un nombre affolant de lieux plus modestes (où on a pu applaudir, entre autres, Beth Orton, Mozart Estate, Liela Moss, Hak Baker, Trevor Moss & Hannah-Lou…). Temps forts d’un festival décidément pas comme les autres.
Arctic Monkeys, la valeur sûre
En tête d’affiche de la mythique Pyramid Stage, le quatuor de Sheffield a su démontrer toute l’ampleur de son répertoire, des ballades chics durant lesquelles Alex Turner assume à fond son côté crooner jusqu’aux uppercuts rock qui enflamment la foule. Le public reprend en chœur toutes les paroles et même tous les riffs, comme si on se trouvait en plein match de foot et que l’Angleterre venait de marquer un but décisif. En guise de dernier morceau du rappel, le groupe entonne R U Mine? – la réponse à cette question est évidemment oui.
Lana Del Rey, la diva mélancolique
30 minutes de retard, donc un concert écourté de cinq morceaux, couvre-feu oblige, mais peu importe : l’Américaine nous a complètement ensorcelé·es dès le moment où elle est enfin montée sur scène, en trench noir, impériale. En plein vague à l’âme, à la fois sur la brèche et sensuelle, elle a fini le concert en robe blanche et pieds nus, avec Video Games a cappella, après avoir livré une performance aussi magistrale dans son chant que dans ses textes, ses compositions et sa scénographie d’une rare inventivité.
Foo Fighters, le secret le moins bien gardé
Un groupe imaginaire, The Churnups, a été calé sur la plus grande scène à une heure de grande écoute. À l’heure dite, les lettres du logo affiché au fond se métamorphosent en deux initiales : FF comme Foo Fighters, donnant raison à celles et ceux qui avaient su décrypter les indices en amont. “On est nuls pour garder les secrets”, lance un Dave Grohl goguenard, avant de jouer pied au plancher un condensé de brûlots cinglants jusqu’au monumental Everlong en conclusion, dédié à leur batteur Taylor Hawkins, décédé prématurément en 2022.
Weyes Blood, la pythie folk
À mi-chemin entre Brian Wilson et Joni Mitchell, Natalie Mering alias Weyes Blood puise dans ses deux derniers albums en date pour en tirer les pépites les plus éblouissantes. Entourée de chandeliers vintage et de vidéos cosmiques en arrière-plan, elle est vêtue d’une longue robe blanche agrémentée d’une cape, parfaite illustration de son double pouvoir de prêtresse et de super-héroïne du folk moderne. Tour à tour au piano, à la guitare acoustique ou simplement micro en main, l’artiste californienne fait preuve d’une maestria à laquelle il est impossible de ne pas succomber.
Young Fathers, les plus magnétiques
Quiconque a déjà vu le trio écossais récemment sait qu’il est l’un des groupes de scène les plus hallucinants du moment. Pas impressionnés par l’immense foule venue les voir, Kayus Bankole, Alloysious Massaquoi et Graham “G” Hastings ont incarné avec une aura magnétique des extraits de leur quatrième album, Heavy Heavy, sorti en février dernier, tout en piochant dans leur répertoire, où l’énergie du rock, le flow du hip-hop, les ambiances sombres du trip-hop et les rythmes tribaux entrent en fusion. Intense.
Viagra Boys, les plus émeutiers
Les fans de Fat White Family et des Liars trouvent aujourd’hui leur bonheur chez ce gang déglingué venu de Stockholm, l’un des groupes les plus électrisants de la scène rock actuelle, en particulier pour leurs concerts émeutiers. Le joyeux bordel qui règne sur scène se répand dans le public et on écoute, sourire aux lèvres, leurs guitares abrasives se frotter à un saxo débridé, le tout soudé par une batterie implacable. Torse nu sur son bas de jogging informe, Sebastian Murphy traîne sa dégaine tatouée en arpentant la scène et termine dans la fosse, dans une communion destroy.
Pretenders, la dream team rock
Chaque jour, des concerts surprise viennent compléter les créneaux laissés sous la bannière “bientôt annoncés”. Les Pretenders s’invitent ainsi sur la Park Stage, lieu à taille humaine. Avec une fougue ahurissante, Chrissie Hynde et sa bande interprètent deux nouveaux titres, qui figureront en septembre sur leur prochain album. Un guitariste de choc les accompagne sur toute la seconde moitié du concert : Johnny Marr, qui a brièvement fait partie du groupe, post-Smiths. Dave Grohl les rejoint à la batterie pour Tattooed Love Boys et Paul McCartney vient faire un rapide coucou : réunion au sommet.
Lightning Seeds, les plus émouvants
Trop rare de notre côté de la Manche, le groupe formé par Ian Broudie à Liverpool a fait son grand retour discographique l’an dernier après un silence de près de dix ans. Le frisson reste intact en écoutant leurs pop-songs mêlant songwriting classieux et rock hautement mélodique, surtout lorsqu’elles sont entonnées par la foule encore pimpante du vendredi en début d’après-midi. Mention spéciale à Three Lions, hymne footballistique qui nous transporte à Wembley, et à Sense, coécrit avec le regretté Terry Hall à qui Ian Broudie dédie ce morceau sublime.
The Hives, les plus cartoonesques
On peut toujours compter sur le quintet garage-punk suédois pour enflammer n’importe quel public, dans n’importe quel contexte. On les retrouve le vendredi, en plein jour, à l’heure du déjeuner, et le charme opère immédiatement. Difficile de rester de marbre devant leurs pitreries, surtout celles de leur leader, le survolté Howlin’ Pelle Almqvist, qui joue au Monsieur Loyal sans se départir de son humour second degré. Main Offender, Walk Idiot Walk, Hate to Say I Told You So, Come On!, Tick Tick Boom… Un imparable enchaînement de tubes.
Elton John, l’ultime révérence
Pour son tout dernier concert sur le sol britannique, Sir Elton a sorti le grand jeu, les tubes légendaires, le costume doré, les feux d’artifice et une ribambelle d’invité·es venu·es du présent plutôt que du passé (Jacob Lusk de Gabriels, Rina Sawayama, Brandon Flowers des Killers…). Un spectacle bon enfant, familial, où l’on contemple depuis le haut de la colline les quelque 110 000 personnes réunies pour l’occasion, dont certaines ont eu l’idée saugrenue de lancer leurs fumigènes sur Candle in the Wind.
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