Un petit prodige de la « bedroom pop » à suivre !
En 1997, Homework, premier album de Daft Punk, démocratise le home-studio. Il est désormais possible de changer la face de la musique depuis sa chambre, quarante ans après les expérimentations à la maison du compositeur François de Roubaix. 20 ans plus tard, une génération trop jeune pour avoir connu le choc sismique provoqué par le duo de robots perpétue, sans vraiment le savoir, l’héritage de Homework. Tous nés après 1995, une génération de baby-boomers de l’époque bénie du home-studio, rapidement rassemblée sous appellation bedroom-pop, prend tranquillement le pouvoir en déjouant toutes les attentes de l’horlogerie, pourtant bien huilée, de l’industrie musicale. Ils s’appellent Clairo, Rex Orange County, Yellow Days ou Gus Dapperton et bidouillent de la musique lo-fi avec les moyens du bord. Cosmo Pyke est de ceux-là.
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Cosmo Pyke (son vrai nom) est né à Londres, d’origine jamaïcaine, a 19 ans et n’a pas volé sa place parmi cette nouvelle génération ridiculement talentueuse compte tenu du jeune âge de ceux qui la composent. Skateur, graffeur et mannequin, la musique n’est qu’une activité parmi d’autres pour Cosmo Pyke. Pourtant, c’est celle à laquelle il consacre le plus de temps, et à raison. Il a publié l’année passé Just Cosmo en référence à Just William, le héros de littérature jeunesse inventé par Richard Crompton. En six morceaux seulement, le jeune Anglais a imposé un style et une esthétique uniques par bien des aspects. Ballottée entre jazz, indie-rock et soul, sa musique a pour liant une certaine appétence pour les riffs efficaces et la gouaille toute anglaise de Cosmo qui n’est pas sans rappeler celle de son aîné King Krule.
Mais réduire Cosmo Pyke à cela ne rendrait pas honneur à son caractère bien trempé. Dans une des rares interviews qu’il a accordé à The Guardian, le garçon ne cache pas sa haine pour le monde corporatiste : « Je déteste chaque industrie. Je hais ‘la grosse industrie« , avant d’évoquer les magouilles liées à sa couleur de peau (Cosmo est métis) :
« ‘Il est à moitié noir, il est un peu noir. Donnons lui cette visibilité.’ Si j’étais blanc la question ne se poserait même pas. Mais en ce moment il y a beaucoup de tensions raciales dans ces grosses industries à cause des Oscars et du reste. »
Des assertions stupides pour lui qui se voit simplement comme un kid londonien, droit dans sa paire de Vans, qui saisit toutes les opportunités qui s’offrent à lui comme cette apparition dans le clip de Nikes de Frank Ocean, un passage chez les requins de la mode et une place dans les petits carnets du producteur Fraser T. Smith (Adèle, Stormzy…).
Sa musique transpire sa vie à Peckam
Sans politiser sa musique, la conscience sociale de Cosmo Pyke est très ancrée à son milieu. Il est anxieux au sujet du Brexit, de la gentrification de Peckham, quartier du sud de Londres où il a grandi (même s’il pense être une partie du problème en cumulant une dégaine d’artiste-skateur-hipster) et des effets de mode qui gangrènent la personnalité des kids londoniens. En effet, il déteste l’appropriation culturelle des enfants de la middle-class :
« La mode aujourd’hui c’est que chacun doit-être une sorte de rappeur de la classe ouvrière qui parle de sa lutte pour survivre. Que se passe-t-il si tu ne l’es pas ? Quid de ta musique ? J’essaie juste de montrer aux enfants des classes moyennes que ‘c’est OK d’être qui tu es. Tu n’as pas besoin de changer ça pour quiconque’ ».
Rien n’importe plus au jeune adulte que la franchise et la diversité de sa communauté. N’en déplaise aux old heads qui ont trop souvent conspué la nouvelle génération pour son égoïsme.Ce n’est pas un hasard de voir sur la pochette de Just Cosmo des morceaux de carte du Tube londonien, comme une séquence ADN. Sa musique transpire cette vie banlieusarde à Peckham, un sens de la communauté qui rend la musique de Cosmo Pyke franchement attachante, une démarche post-MySpace (plateforme qui avait dynamité les frontières de la musique) où l’artiste se reconnecte à son environnement proche. Élevé par une mère punk et féministe, il apprend la guitare dans ce quartier où ses amis et lui se sont fait poursuivre par la police après quelques graffitis et où il est allé à la Brit School (tout en détestant les étudiants « drama queens ») qui a vu passer sur ses bancs Amy Winehouse, King Krule ou Rex Orange County.
Un quartier où Cosmo se balade l’honnêteté en bandoulière et la tête perdue dans le grand smog londonien. Avec son charisme rayonnant et une langueur rassurante, il se pose en conteur moderne de la vie anglaise dans toute sa nébuleuse quotidienneté. Pourtant, comme tous les membres de cette scène bedroom-pop, il rêve de voir son nom placardé en grosses lettres sur les panneaux publicitaires. Après tout ce qui rassemble tous ses jeunes gens modernes, ce n’est pas qu’un son lo-fi qui s’est imposé par manque de moyens financiers, mais bien l’ambition d’adresser un majeur en l’air à l’industrie musicale qui souhaite les formater. Une quête d’identité qui n’est pas sans rappeler celle des robots de Daft Punk. Humains après tout, humains avant tout, la boucle est bouclée.
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