Les Eurockéennes de Belfort, pour leur troisième soirée, ont accueilli Booba. Et personne n’a fait de crise de nerfs.
Boolbi d’entrée de jeu. « Bordel, quand on rentre sur la piste/On est venu tiser, claquer du biff/Pas d’embrouilles man, pas de litige/Sinon ça va saigner est-ce que tu piges ? » Franc, direct, cash. On comprend immédiatement que Booba n’est pas venu là pour faire les choses à moitié. On le comprend d’autant plus lorsqu’il enchaîne avec Caramel et que les cœurs des quelque 35 000 personnes qui lui font face explosent à l’unisson.
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Dire que Booba en impose serait un cruel euphémisme. Eternelle casquette enfoncée sur les yeux, réduisant radicalement son champ de vision, assortie à une chemise largement entrouverte sur un torse si musclé qu’on le croirait sorti du film 300, grosse chaîne en or, tatouages ici, là et ici encore, bouteille de Jack à la main, qu’il sirote tranquillement. La classe ultime. Booba se déplace peu, parle peu, mais dégage ce genre de charisme qui n’est pas donné à tout le monde. Le mec est venu pour une seule et unique chose : nous rappeler que c’est lui le boss du rap game, que son exil à Miami ne l’a pas diminué, loin de là, qu’il a peut-être 40 ans mais que tout roule.
Les tubes s’enchaînent à vitesse éclair. Que des tubes même, que la foule reprend mot pour mot dans une hystérie collective hyper jouissive. Tombée pour elle, Validée (« Nos cœur battent trop vite, on va se cracher, il faut réduire la vitesse »), Scarface, LVMH, Kalash, OKLM, 92iVeyron qu’il arrête, reprend, re-arrête, re-reprend comme pour mettre en lumière la beauté de certaines de ses punchlines en nous obligeant à les scander encore et encore (« Nouveau riche, ma Lamborghini a pris quelques dos-d’âne J’fais ni la queue au Ritz, ni au McDonald’s » ou « les vainqueurs l’écrivent, les vaincus racontent l’histoire », sublime). Le drapeau algérien est là, le lexique aussi : on parle pirates, morray, ouloulou, -zer. Il fait chaud, les corps deviennent moites. Dans un sourire malin, Booba nous conseille de garder des forces parce que « wesh morray, c’est pas fini là, ça fait que commencer. »
Effectivement, ce n’est pas fini. Benash débarque pour la très mainstream Ghetto, pas notre préférée mais bien efficace tout de même. Et voici Karim Benzema qui se tape l’incruste en Facetime. Booba nous invite à le saluer, se marre. Des flammes lèchent la scène. Sur les écrans, le rappeur s’affiche en noir et blanc ou en couleurs, le menton fier, l’air à la fois goguenard et insolent. Simple, efficace. Comme l’ensemble de ce concert d’une qualité telle que notre production d’endorphines avoisine celle de Macron le jour de son élection. Contrairement à Gucci Mane, dont le live la veille fait très pâle figure à côté, Booba ne s’embarrasse pas de bande enregistrée. Tout juste d’un peu d’autotune histoire de lever son majeur à la face de tous ceux qui lui reprochent d’en abuser (l’autotune serait un manque d’authenticité, allez comprendre…).
Histoire de bien démontrer que son génie est total, le duc de Boulogne clôture son concert avec DKR, produit par le beatmaker Jack Flaag, dont les notes cristallines de kora figurent parmi les plus belles choses qu’il nous ait été donné d’entendre ces deux dernières années. Les couleurs du Sénégal embrasent la scène et l’on se dit qu’on tient là l’un des meilleurs concerts de l’année, et de loin. Rideau, en attendant son prochain album qui ne saurait trop tarder.
Johnny Mafia, HMLTD, excellents
Bien sûr, il y eut quelques dizaines d’énervés dépités pour, une fois le concert du Duc de Boulogne achevé, revenir scander dans la fosse de la grande scène : “Booba, Booba, on t’encule !” Une minorité bruyante, la même sans doute qui depuis l’annonce de la programmation s’insurgeait contre la venue aux Eurockéennes 2017 de PNL et Booba donc. Comme si en 2017, la tête dans le sable de la presqu’île de Malsaucy, théâtre des Eurocks, on pouvait encore et toujours programmer uniquement du rock à guitares millésimé, Pixies et Weezer par exemple.
D’ailleurs, les fans de ce rock américain cool et hirsute ont largement eu ce soir leur dose de riffs en montagnes russes et de mélodies de branleurs surdoués avec les presque locaux de Johnny Mafia. Car c’est ce style slacker mais dynamique que les jeunes Français aux allures de purs hipsters 1993 ont adopté comme maison-mère, rendant même un hommage appuyé à la bassiste des Pixies et des Breeders sur leur impeccable Kim Deal. Un autre de leur titre s’appelle Michel Michel Michel, mais on ne pense pas que ce soit en hommage à Duran Duran.
Après ce joyeux chambard, on retrouve au bord de l’eau les Londoniens de HMLTD. Depuis une année qu’on les voit régulièrement sur scène, on est estomaqué à chaque fois par la façon avec laquelle les six garçons s’éloignent progressivement des côtes, des repères tangibles, pour s’abandonner à un style de plus en plus personnel, inqualifiable et radical. Aujourd’hui, on ne sait plus à quelle famille rattacher ce rock convulsif : le jeune Nick Cave, Captain Beefheart ou Ziggy Stardust sont des bornes largement dépassées par ce cabaret furieux, peu adapté finalement à la lumière du jour et à l’atmosphère radieuse de la scène de La Plage.
Alors qu’on leur connaît d’évidents tubes pop pour l’instant conservés dans la manche, ils s’amusent au contraire à déconstruire, déchiqueter leurs chansons pourtant déjà rétives à l’ordre et la discipline. Henry, le sublime godelureau à cran, paye constamment de sa personne pour incarner ces chansons malades, épileptiques, qui ordonnent la nuit, un club et des bougies. Une caverne ferait aussi parfaitement l’affaire. Vieille Europe, tremble en pensant ce que donnera ce groupe magnifique quand il appliquera cette sauvagerie sonique à des refrains indiscutables. J.D
Erratum : contrairement à ce que nous avions écrit, ce n’est pas Sidiki Diabaté qui joue de la kora sur DKR, morceau produit et composé par le beatmaker Jack Flaag. La kora de Sidiki Diabaté s’entend sur Validée. Toutes nos excuses à l’intéressé.
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