Luis Vasquez, tête pensante et unique membre de The Soft Moon, crachera ses textes punitifs ce soir, sur la scène d’un Trabendo qui affiche complet. L’occasion de revenir sur la sortie de « Criminal », un quatrième album torturé, où le Californien joue à la fois la victime et le bourreau. Rencontre.
Sous les décombres du mouvement hippie, gît à présent l’esprit malade et schizophrène de Charlie Manson. Celui qui représenta la mauvaise conscience de l’Amérique sous acide décrite par l’auteure Américaine Joan Didion dans ses chroniques Requiem pour les années 60, est mort le jour où nous croisons la route de Luis Vasquez, aka The Soft Moon, dans le salon cosy d’un hôtel parisien. Un type affable, avec un sourire touchant, qui nous parle de la grande plage de Saint-Malo. Si nous n’avions jamais entendu sa musique avant, on ne soupçonnerait pas qu’il porte encore en lui les stigmates de ses brisures les plus intimes.
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Vasquez a beau vivre à Berlin et enregistrer ses disques à Venise, le propos de sa musique n’a plus grand chose à voir avec les racines industrielles made in Europa des débuts de Soft Moon. Sur Criminal, il est enfin question de mettre les mots sur les choses et d’expier le sentiment de culpabilité qui ronge ce kid issu d’une Amérique où les pères, et leurs pères avant eux, sont la cause de tous les maux. « Je ne ressentais que de la colère en moi et j’avais clairement besoin de faire un disque plus agressif, explique-t-il. J’ai écrit beaucoup de trucs dépressifs dans ma vie et j’ai eu d’un coup le sentiment qu’il s’agissait là de la dernière chance pour moi de m’exprimer de façon moins introvertie avec, je ne sais pas, disons plus de puissance. Au moins pour voir si tout cela allait pouvoir m’aider dans la vie ».
Le processus de création, on l’imagine tortueux et grouillant comme un nid de serpents au jardin d’Eden. Ici plus encore que sur Deeper, son album précédent, la basse est rutilante et le son massif, taillé dans la matière brute de la violence sidérante qui habite les paysages dévastés d’une âme trop belle pour avoir tant souffert. Criminal ne fait ainsi jamais référence à ce qui est pénalement répréhensible, mais plutôt au rapport kafkaïen que Luis entretient avec la poésie noire de ses disques. Avec Zeros déjà, on le retrouvait coincé dans des méandres qui le dépassent, quelque part dans un album presque muet, qui commence par la fin avec It Ends et s’achève en miroir déformant sur ƨbnǝ ti. Une boucle mentale d’atermoiements et de frustrations en somme, d’où il est impossible de s’échapper.
Sur Criminal, comme dans la Lettre au Père de Kafka, c’est le père qui est visé comme la source de toute forme de culpabilité. Luis explique d’ailleurs qu’au moment d’écrire Like a Father, pierre angulaire de ce dernier album, il s’est mis dans un état de self-apitoiement, avant d’arriver à cracher que l’absence de père est, paradoxalement, une présence ectoplasmique persistante, dont l’évocation fantomatique est la source de toutes les dérives les plus fucked-up que le sentiment de culpabilité peut provoquer : « C’est sûrement la chanson la plus dure que je n’ai jamais écrite. Je n’ai pas l’habitude de parler de ma vie personnelle aux gens, c’est d’ailleurs pour cela que je fais de la musique. Je commençais à me blâmer moi-même en faisant le compte de tous mes problèmes et puis j’ai finalement décidé d’assumer que le fantôme dont je parle pouvait être celui caché derrière tous mes problèmes ».
Le dernier album de Soft Moon est un manifeste de libération à l’usage des fils, qui s’inscrit dans la longue histoire américaine des filiations contrariées et de la transmission d’une violence intériorisée qui, de Charlie Manson à la famille Skywalker, ne s’apaise jamais complètement.
L’album Criminal est disponible sur Apple Music (Sacred Bones Music).
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