Coldplay joue le 7 septembre au Parc des Princes, pour une date de sa grande tournée mondiale. Et si on s’en tapait le coquillard ?
Chère Johanna,
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J’ai bien lu ta lettre, et malheureusement je ne pourrais pas assister au concert de Coldplay ce soir à Paris. Je vais t’expliquer pourquoi.
D’abord parce que j’ai un problème avec le Parc des Princes. Un jour j’ai fait un cauchemar qui impliquait Jérôme Rothen ; il était assis à côté de mon lit et il me lisait son autobiographie (« Vous n’allez pas me croire… », aux éditions Prolongations, 19 euros) pour m’empêcher de dormir. C’était vraiment très désagréable et je me suis juré de ne plus remettre les pieds au Parc des Princes – même si je sais que depuis Rothen a été transféré aux Glasgow Rangers.
Aussi parce qu’il y a les Flaming Lips et que chaque fois que je vois les Flaming Lips et que le chanteur se verse son espèce de peinture sur le coin de la tête ça me met mal à l’aise j’en envie d’aller l’essuyer avec des Kleenex. Honnêtement je préfère même aller à un concert de Renan Luce, je déteste la musique mais au moins je suis moins dans l’embarras.
Bon, et puis surtout, je vais te le dire, parce qu’il y a Coldplay. Franchement je ne veux pas de mal à Coldplay, tu le sais. Pour être franc, je dois même dire que j’aime bien certains de leurs morceaux. Trois surtout. Yellow, chaque fois je repense au clip avec Chris Martin sur la plage, ça me rappelle les balades à Noirmoutier quand on marchait avec mon pépé jusqu’à l’ancien bunker allemand, je trouve ça sympa. The Scientist j’aime bien aussi, là encore grâce au clip inversé de l’accident de voiture, je trouve ça assez bouleversant même si ça m’empêche depuis d’aller chez Norauto. Et puis Viva la vida, je sais pas pourquoi un jour j’ai eu une épiphanie dans un taxi à Amsterdam : un type complètement fou qui collectionnait les bibelots (chien avec la tête qui bouge, cartes postales de partout dans le monde, photos de joueurs de l’Ajax, mini-Tour Eiffel, etc…), il y a eu cette chanson à la radio, on s’est regardé avec le gars, il a passé un dos d’âne pendant que Chris Martin partait dans des vocalises et j’ai eu un coup au cœur. Voilà, j’adore ces trois chanson et j’avoue que parfois quand je suis seul au bureau je me les passe et je chante un peu par-dessus. Ceci dit je me passe d’autres trucs bizarres aussi hein : la reprise de The Eye Of The Tiger par Amel Bent ; la chanson de Top Gun (Take my Breathe Away, Berlin) ; ou encore Achey Breaky Heart de Billy Ray Cyrus hmmm là c’est quand ça va vraiment mal.
Mais rentrons un peu dans le dur du problème. Je ne vais pas attaquer Coldplay sur son côté un peu cul-cul la praline, non. Depuis que je sais que Chris Martin est le copain de Jay-Z, je me dis que le mec doit en avoir sous la sandale. Non, le truc qui me dérange, c’est ce côté irrémédiable chez Coldplay. Par exemple, la première fois que j’ai entendu parler de Coldplay, j’ai su que ça deviendrait énorme, un peu comme pour Federer. C’est comme si on ne pouvait pas y échapper, comme si on se disait bah voilà on est parti pour vingt piges avec ces mecs là. C’est à la fois un peu rassurant, ce côté prise en charge pour les deux décennies qui viennent, mais dans le fond quand on regarde c’est super effrayant : quand je vois Coldplay, j’ai l’impression d’avoir signé contre ma volonté un contrat, qu’ils détiennent une sorte de fond de pension pop mondial, qu’ils font prospérer tous les jours à mon insu avec les décideurs majeurs de la musique.
Après ouais, les types de Coldplay écrivent des chansons efficaces. Ouais elles sont super bien produites par Brian Eno (sur le dernier album), ouais Coldplay est peut-être le plus gros groupe du monde actuel (depuis que Radiohead a jeté ouvertement l’éponge avec Kid A et Amnesiac en 2000/2001) et finalement ils ne sont pas si mal dans le rôle (meilleurs que Keane ou les Jonas Brothers qui puent vraiment le foin). Mais quand on écoute Coldplay, on est forcément projeté dans le film qui va avec, je sais pas si vous voyez. La musique de ces mecs induit des scènes, elle semble pensée à l’avance, élaborée pour le cinéma, comme chez U2. Coldplay est un groupe qui a perdu toute innocence, toute naïveté. Coldplay est une entreprise. C’est peut-être un peu naïf de dire ça certes, parce que la musique est un business on le sait, mais le groupe Chris Martin sent le CAC plus que les autres. Plus les disques avances, plus Martin a une tronche de président de conseil d’administration, plus on l’imagine mettre en forme l’avenir de son groupe de pote, voir même le sien. Récemment, sa femme, Gwyneth Paltrow, a déclaré qu’elle imaginait bien son Chris de mari faire la musique seul dans son coin, loin de Coldplay. On aurait dit un indiscret des Echos. Dans la scène finale de Brüno, quand le personnage de Sasha Baron Cohen convoque les « plus grands chanteurs » du monde pour un live aid bidon, il y a Bono, Elton John, Slash des Guns, Snoop Dogg, et Chris Martin bien sûr. Au départ c’est rigolo, mais quand on y pense c’est assez révélateur, il était là pour vendre son groupe. J’ai l’impression de manquer d’humour en disant ça mais l’environnement Coldplay est tellement lisse et qu’on n’y croit pas. Coldplay, c’est un peu Ikéa, c’est bien foutu et fonctionnel, ça passe partout, ça ne sent rien, personne déteste vraiment, on s’y accommode, ouais ça passe, bah ça casse pas trois pattes ah un canard, ouais bon on va pas en faire un fromage… C’est Coldplay quoi, on s’en bat les reins en fait. On préférerait même que ça sente un peu le foin. Coldplay, ça sent la voiture neuve, avec le tableau de bord en ronce de noyer.
Je vais zapper Coldplay au Parc de Princes ce soir, donc, ce grand concert à la fois pop dans l’esprit mais déjà complet dans tous les sens du terme. On sait que Chris Martin portera sa petit veste avec des couleurs sur la manche, qu’il fermera les yeux sur le refrain de Speed of Sound, qu’il lèvera le poing en l’air sur la montée de Yellow, qu’il dédicacera une chanson un peu love à Gwyneth, qu’il aura une pensée pour des mecs victimes d’un truc. Coldplay est dans les clous, Coldplay est prêt pour les vingt ans qui viennent, l’histoire est déjà écrite, elle n’a plus besoin de nous. Et puis moi ce soir j’aurai un truc. Je sais pas quoi encore, j’ai un peu menti au début de ma lettre, j’avoue, mais c’est sûr, j’aurai un autre truc.
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