Parmi tous les courants que peut connaître le hip-hop, en voici un à l’air glacé – une cold-wave du rap ? Plus romantique, baroque voire gothique, osant afficher une certaine vulnérabilité, le genre opère une nouvelle mue à fleur de peau.
Vous l’avez remarqué, toutes les quatre saisons, le rap connaît un nouveau printemps. Le dernier en date prend corps avec Suicideyear ou SadBoys, qui chantent les sanglots longs des violons de l’automne. Une cold-wave dans le rap, en somme, qui, loin d’être orpheline, trouve sa sève début 2000 chez Cannibal Ox.
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Entre la witch-house et le rap
Souvenez-vous, ces Charles Dickens du Bronx peignaient dans le givre et le gris la misère de New York City et laissaient s’échapper le merveilleux comme le lyrique de la noirceur du réalisme social, sur fond de samples comme arrachés à Joy Division. Ce n’était ni moins ni plus rap que le rap en place à l’époque, ce n’était pas non plus un autre rap, c’était une sorte d’antidote à deux décennies de règne du gangsta rap. Un antidote qui donnera au genre, les années suivantes, quelques branches pourries comme la witch-house, maison hantée de fêtes foraines en hip-hop tenues par des camelots comme Salem, qui dévoilaient néanmoins la possibilité d’une façade très gothique tout en conservant l’architecture du rap.
http://youtu.be/9x8Ihhh5EFM
Si la frontière est restée poreuse entre witch-house et rap, c’est déjà du fait de la période violette de ce dernier : l’usage massif de la codéine dans le genre l’a rendu gélatineux, indolent, choses propices à un rap abattu. Ensuite du fait de l’existence de maisons comme Tri Angle (Evian Christ, Holy Other, oOoOO) ou d’artistes comme Shlohmo et Clams Casino, installés à la jonction entre witch-house et rap.
De la codéine dans les artères
Un dialogue entre les deux genres dont le vocabulaire est aujourd’hui amplement parlé et enrichi par Suicideyear. Petit bonhomme de Baton Rouge, Louisiane, Suicideyear (James Prudhomme au civil) reconnaît sans mal un Clams Casino comme père adoptif, de la codéine dans les artères et son ADN qui remonte à l’abstract hip-hop. Il précise : “Je me sens proche de Clams mais ce qui m’influence vient de mon adolescence : Daniel Johnston, Elliott Smith et un paquet de Jay Reatard, mon grand favori.” Un fan de Reatard qui produit du rap et qui – aux côtés de nouveaux nés comme Bones, Spooky Black, Yung Gud ou Sad Andy – offre une cold-wave au rap :
“On ose être beaucoup plus vulnérable dans le rap aujourd’hui. Regarde le succès d’IloveMakkonen. Le jeu devient moins macho et se préoccupe davantage de ses sentiments. C’est cool.”
http://youtu.be/VfWLP5Sva8o
A l’ère du tiercé gagnant pussy, money, weed, Suicideyear, lui, propose à voir une certaine intimité, y invite l’auditeur. Là où le rap moderne s’échine à éclabousser d’ego et à se murer dans l’ostentatoire, Suicideyear ouvre une fenêtre sur ses introspections, emprunte le rap comme véhicule de catharsis.
“Je compose souvent après avoir ressenti un sentiment fort, admet-il. J’aime travailler autour de l’intimité, j’ai écrit Remembrance après avoir traversé tout un tas de saloperies, ça me permet de vivre avec ces souvenirs, ces douleurs, d’une manière plus productive.”
Une matière dolente qui l’a amené à produire pour Yung Lean, sorte de Lil B suédois, sué par internet, portant sa gueule de smiley triste, sa fascination pour la consommation passive et désuète (l’energy drink, son Motorola à clapet…) et son romantisme normcore jusqu’au million de vues (quasi) systématiquement sur YouTube. Le coup de froid du rap semble contagieux et tourne au viral.
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