Dans Clube de fado, Mario Pacheco porte avec une classe confondante la double casquette de virtuose de la guitare portugaise et de compositeur savant.
C’ est une vérité presque aussi ancienne que l’histoire de la musique populaire : pour gagner les faveurs du plus grand nombre, mieux vaut être interprète que compositeur. Le cœur des foules bat moins pour les auteurs de belles musiques que pour tous les messagers qui, à la force de leur voix, s’en font les porte-parole. C’est ainsi : le pouvoir de séduction immédiat du chant aura toujours plus d’impact que les charmes obscurs de l’écriture.
La démonstration est signée Mário Pacheco, qui en connaît un rayon sur la question. Accompagnateur des grandes voix du fado (d’Amália Rodrigues à Mariza en passant par Camané), il est certes considéré depuis de longues années comme un seigneur de la guitare portugaise – cet instrument aux six cordes doublées, dont la sonorité de cristal et d’acier symbolise à elle seule l’altière fragilité du blues lisboète. Mais son œuvre de compositeur, pourtant considérable, tant dans le domaine de la chanson que dans le registre instrumental, est bien moins reconnue. Soit : il manquait en tout cas un album qui brosse enfin un portrait complet de cet artiste aux multiples casquettes. Clube de fado – A música e a guitarra vient combler cette lacune.
Dans cet enregistrement live, Pacheco déploie ses talents d’instrumentiste poète et acrobate et de compositeur savant. Huit magnifiques aubades, colorées par la fine fleur des fadistes (Ana Sofia Varela et Mariza côté femmes, Rodrigo Costa Félix et Camané côté hommes), viennent certes rappeler combien ce génie sans vanité excelle lorsqu’il se met au service des autres. Mais c’est dans les nombreuses merveilles instrumentales de Clube de fado que l’inspiration cavaleuse de Mário Pacheco se libère vraiment.
Digne héritier de Carlos Paredes, Jaime Santos ou José Fontes Rocha, qui surent élever la guitare portugaise au rang d’instrument soliste, il aligne ici des thèmes à la beauté terrassante, ouverts à toutes les possibilités de l’harmonie. Brisant le cliché d’un fado dogmatique, égrenant le sempiternel même chapelet d’accords, ces pièces aux accents chambristes (guitare classique, contrebasse, quatuor à cordes) posent rien de moins que les bases d’un nouveau classicisme, appelé à édifier le patrimoine musical des générations futures. Cette mission, Pacheco la poursuit aussi au sein du Clube de fado : dans cet établissement lisboète dont il est le fondateur, le fado, arraché à sa basse condition d’attraction pour touristes, est rendu à sa dignité première. Entouré de son fidèle carré d’amis, le Portugais y célèbre la splendeur d’une musique dont les sortilèges ne cessent de l’enchanter.