Les guirlandes de superlatifs lui vont comme à un arbre de noël, mais l’essentiel n’est assurément pas là. Closer Music, le festival “curaté” par Étienne Blanchot depuis six ans au cœur de Lafayette Anticipations est effectivement un cas à part.
Son identité est l’insaisissable. Son pari est de réussir à se redéfinir tout le temps, se défaire d’un cliché dès qu’il menace d’en devenir un, décoller l’étiquette quand elle commence à devenir trop vite poisseuse, dégenrer tout ce qu’il est encore possible tant qu’il est encore possible, dessiner des lignes, de fuite.
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Le plus difficile n’est pas pour les spectateur·rices, l’édition qui commence vendredi 19 janvier et se terminera dimanche 21, est complète depuis des semaines. Preuve que la rumeur a fait son travail et que le public parisien attend désormais fidèlement ces trois jours de plongée dans le futur.
L’art du défrichage
Non, le plus dur c’est pour les journalistes, mis·es au défi de parler de ce qu’ils et elles ne connaissent pas encore, de ce qu’ils et elles ne savent pas nommer. Quand il vous est plus facile de parler en 2024, de l’édition de 2022 (celle qui, le soir des résultats du premier tour de l’élection présidentielle nous permettait de noyer quelque désespoir dans le live le plus ketaminé qu’il nous a jamais été donné d’entendre, celui administré par Coby Sey et Mica Levi sous le pseudonyme de Curl), c’est bon signe. Ça veut dire que pour ce qui est de défricher, Closer Music a encore quelques centaines de kilomètres d’avance.
Des souvenirs autour de Closer Music, on en chérit quelques-uns et non des moindres : avoir découvert au fur et à mesure que l’on s’approchait de la scène – aimanté·es par des incantations en dialecte arabe libanais – que ces sons inouïs, qui semblaient tapis en nous depuis toujours, étaient produits par une fille à la beauté inquiétante : Nâr. Cela reste encore aujourd’hui, deux ans après, un des plus beaux concerts qu’il nous ait jamais été offert de voir. À Closer, on a aussi vu Tirzah lutter contre sa timidité, Blackhaine se battre contre sa propre violence, Loraine James reprendre les choses là où Aphex Twin les avait laissées, et Caterina Barbieri, invitée surprise de la dernière édition, nous faire entrer dans son rêve psychédélique.
Un risque permanent
On y a vu Voice Actor paniquer avant ce qui devrait être le second live de sa vie (elle ne savait plus comment retrouver ses sons sur son ordi) et réussir à administrer pourtant, une heure plus tard, un trip somptueux. On y a vu Charlemagne Palestine hanter de ses cris l’Église du Saint-Esprit. Sacré Charlemagne. On y a vu Robert Görl de DAF ressusciter sous nos yeux d’une trop longue hibernation. Maria Somerville nous toucher par sa délicatesse, Pan Daijing demander, lors de la première édition, d’être accrochée au bord du vide pour présenter à flanc, à cru, sa pièce First Blood : parcours de fille devenant femme. La performeuse Carneosso, pubis et sexe à découvert, mettre le feu, au propre comme au figuré, aux installations de la Fondation.
Voilà intimement ce qu’est pour nous Closer Music : un risque permanent, ce qui arrive quand on se rapproche un peu trop de l’inconnu. Quelques vertiges, sans lesquels la musique serait morte dans le formatage depuis des lustres.
Vendredi 19
Alors, qu’est-ce qui va nous arriver cette année, Madame Irma ? On serait bien toqué de vouloir parier sur quoi que ce soit, puisque de toute la programmation, seuls quelques rares noms nous évoquent précisément quelque chose, et quasiment aucun n’a jamais donné de concert en France. On commence à être familier des créations de Pavel Milyakov, mais nul ne sait encore ce qui va ressortir de sa collaboration avec la poète Perila sous le nom de pmxper, pour ce qui est annoncé comme un moment de spoken word atmosphérique, plein de guitares mélodieuses et de jazz tordu. Toujours vendredi, Loopsel est très attendue. Et pour cause, son album Öga För Öga / Eye For An Eye, sorti sur DFA, fut une caresse du printemps dernier, dans le genre mélancolie se servant de guitares cold wave et de sons de profundis pour espérer sortir la tête de l’eau. Ziúr finira d’emporter la soirée de vendredi hors des sentiers battus. Expérimentale, l’exilée berlinoise l’est assurément, mais ce soir elle sera entourée de trois guests : le compositeur égyptien Abdullah Miniawy, la vocaliste Elvin Brandhi et le vidéaste Sander Houtkruijer. Le voyage sera, nous promet-on, autant visuel que sonore.
Samedi 20
Le samedi est annoncé comme introspectif : d’abord avec la pianiste classique Marina Herlop en pleine transition électronique depuis son passage sur le label PAN. Osheyack viendra donner sa version “sadomoderniste” du gabber – puisqu’il paraît que c’est à Shangaï, au All Club que le genre est en train de trouver sa régénération.
Sarahsson entrecroisera musique classique et metal. On attend beaucoup du live d’Accident du Travail, le duo de Julie Normal et Olivier Demeaux (ex Cheveu) – elle aux ondes Martenot, lui à l’harmonium. Galéjade, leur dernier album sorti cet été sur les Disques Charivari, compilant des morceaux gardés secrets depuis plus d’une décennie, est une petite merveille.
Dimanche 21
Last but not least, comme le veut désormais la tradition, le closing se fera dimanche à 20 h, en l’Église du Saint-Esprit avec l’organiste virtuose suédoise Ellen Arkbro. Mot d’ordre : occupation de l’espace dans le domaine phénoménal.
Ce qui nous donne, effectivement, de quoi espérer enfin.
Closer Music Festival. Lafayette Anticipations 9 rue du Plâtre, Paris 4e. Du vendredi 19 au dimanche 21 janvier 2024
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