Complétant un diptyque entamé avec l’inespéré Drift Code, Paul Webb renoue avec la science de l’espace de Talk Talk et explore la matière du temps pop.
Clockdust nous arrive un an seulement après Drift Code (2019). Pourtant, dans l’univers baroque et raffiné d’où émettent ces albums, quelque chose a entretemps changé pour toujours. Mark Hollis s’en est allé au moment où Paul Webb, lui aussi membre fondateur de Talk Talk, était en train de mixer ce nouveau disque, écrit et composé en même temps que le précédent, son dissemblable jumeau. “Quand je me suis penché sur Drift Code, j’ai consciemment mis les chansons de Clockdust de côté. Je les ai laissées reposer, on sent le temps qui s’y est déposé”, nous explique-t-il après avoir évoqué la “vague d’amour débordante pour Mark” qui a déferlé sur les réseaux après sa mort le 25 février 2019.
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Un chant entre David Bowie et Robert Wyatt
Plus aéré que Drift Code, Clockdust est travaillé par la nostalgie : “Carousel Days installe ce thème puis tout l’album tourne autour de longues existences où s’accumulent les souvenirs.” Entre ses notes suspendues flotte la volonté de Webb de donner une patine en se laissant influencer “par la musique des années 1940, une atmosphère nostalgique et irréelle, le souvenir d’une époque qu’on n’a pas vécue, poursuit-il en explicitant son très précis casting d’instruments surannés, enregistrés par couches successives. Ce sont les chansons qui m’ont mené à ces instruments.” Avant de faire l’aveu suivant, au sujet de l’impressionnante pièce maîtresse Night in the Evening : “J’en ai profité pour me tourner vers mon propre passé musical, notamment avec cette chanson sur la liberté et le lâcher-prise.”
Ce qu’il a gardé de son passé avec Talk Talk, c’est “cette exigence et cette patience. Notre méthode c’était surtout de faire, prise après prise, la meilleure musique possible, d’une façon qui n’avait jamais été entendue.” Mais bien d’autres fantômes hantent ce grenier que Paul habite dans Clockdust.
D’abord celui de Jacques Brel, qu’il a énormément écouté, en version originale car “ce côté exotique de la langue étrangère, c’est l’une des deux choses qui me plaisent le plus chez lui”. L’autre, c’est son “aspect rétro, pré-rock’n’roll”. La spécificité de tout ce que fait Webb sous le nom de Rustin Man (Out of Season, son chef-d’œuvre inusable de 2002 avec Beth Gibbons, compris), c’est précisément “ce lien avec la musique pré-rock’n’roll, à l’écoute de tout ce qui n’est pas moderne”.
A écouter son chant, on le sent nettement visité par un autre spectre. “Oui, on me parle beaucoup de David Bowie, comme de Robert Wyatt, probablement les deux extrémités de ma palette. Mais c’est surtout le résultat de ma recherche de la meilleure façon d’appuyer ma voix contre ces chansons. Ma ‘voix Robert Wyatt’, c’est quand je tends vers l’épure, ma ‘voix David Bowie’ c’est quand je pense aux cabarets berlinois des années 1930.”
Et la plume de Rustin Man est au diapason de ses compositions élégantes, comme sur le magnifique Gold & Tinsel (digne du meilleur Neil Hannon) qui “parle d’un songwriter se démenant avec l’intégrité”. “Jamais je n’avais été aussi proche d’un travail entièrement solitaire qu’avec ce disque, finira-t-il par nous révéler, malgré mes collaborateurs, la complicité éternelle de Lee Harris (son partenaire de Talk Talk et d’O.rang – ndlr), je me suis imposé de prendre seul toutes les décisions. Mais maintenant, j’ai hâte d’amener ces chansons sur scène, qu’elles nous fassent redevenir un groupe.” Car s’il se passionne pour le passé, c’est l’avenir que notre homme a en tête : “Le prochain disque sera très diffèrent, je vais déplacer l’approche et l’expérience de Rustin Man vers d’autres genres musicaux.” De quoi transformer la nostalgie en impatience.
Clockdust (Domino/Sony Music)
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