Le chanteur a inauguré, dès la fin des années 60, l’ère du tout-visuel à travers ses nombreux clips. Une passerelle vers le cinéma, qu’il a infusé par sa présence et ses chansons d’un lyrisme pop absolu.
Les clips
Les noces de David Bowie et du cinéma furent célébrées dès son premier tube. C’est en effet sur l’écume de 2001 : l’odyssée de l’espace, gros succès public de Stanley Kubrick en 1968, que le jeune homme conçoit l’année suivante Space Oddity, complainte triste sur les errements d’un astronaute satellisé dans l’infini galactique. Née des images, la chanson ne tardera pas à y retourner. Pas moins de deux clips illustrent les mésaventures spatiales du Major Tom.
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http://www.youtube.com/watch?v=D67kmFzSh_o
La passionnelle histoire d’amour entre David Bowie et les images s’enracine là, dans ces proto-clips, où le génie métamorphe trouve pour chacune de ses nouvelles incarnations un écrin encore balbutiant. Mais c’est la rencontre avec David Mallet qui propulse le chanteur dans l’ère du tout-visuel des années 1980.
Les trois clips que le réalisateur débutant signe pour l’album Lodger (1979) inaugurent l’esthétique du vidéoclip, ses décors de studio alambiqués, ses montages speedés, ses microrécits où un chanteur n’est plus seulement le performeur de sa musique mais aussi un acteur incarnant un personnage.
Mais c’est avec le premier single de l’album suivant, Scary Monsters (and Super Creeps) (1980), que le tandem donne au genre naissant du vidéoclip son chef-d’œuvre inaugural. Dans Ashes to Ashes, Bowie est métamorphosé en clown blanc, égaré sur une plage rougeoyante et synthétique. A la fin, le clown blême et déphasé avance, impavide, aux côtés de sa vieille mère loquace.
Après les visions torturées et malades d’Ashes to Ashes, David Mallet continue à clipper les plus gros hits du chanteur : Fashion (1980), Let’s Dance (1983) et son histoire improbable d’aborigènes qui s’émancipent de la domination sociale grâce à des escarpins qui font danser, China Girl (1983), jugé torride au point d’être censuré par la BBC parce qu’on y aperçoit ses fesses…
http://www.youtube.com/watch?v=E_8IXx4tsus
Par la suite, l’inspiration s’émousse mais régulièrement de nouvelles générations de réalisateurs viendront réactiver le mythe en images : Mark Romanek avec Jump they Say en 1993, variation anxyogène sur La Jetée de Chris Marker ; Floria Sigismondi avec Little Wonder en 1997 ou The Stars (Are Out Tonight) (en 2013, avec Tilda Swinton en madame Bowie).
Jusqu’aux deux clips hallucinants signés Johan Renck pour le dernier album : Blackstar et son exploration à la Méliès d’une planète hostile, puis Lazarus, clip-épitaphe où l’idole surjoue son agonie, alité, décharné, les yeux bandés, le teint cireux, puis disparaît à jamais dans un placard, non sans avoir exécuté au préalable quelques entrechats farceurs dans la tenue de Station to Station (1976).
Les films
Des images aussi fortes que celles qu’a produites Bowie pour ses pochettes de disques, concerts ou clips ne pouvaient pas laisser longtemps insensible le cinéma. Passionné par l’univers du rock, auteur de Performance (1970), un thriller sophistiqué et pré-lynchien avec Mick Jagger et Anita Pallenberg, Nicolas Roeg est le premier cinéaste à prendre Bowie dans ses filets.
Bien qu’adapté d’un roman SF, L’homme qui venait d’ailleurs semble du cousu main pour le chanteur qui s’est déjà beaucoup hystérisé en alien aussi mystérieux que désirable. Alourdi de symboles et de visions naïves, le film n’est pas complètement réussi.
Davantage tout de même que le suivant, Just a Gigolo (signé David Hemmings, 1978), une fresque sur la montée du nazisme qui aimerait bien ressembler au Cabaret de Bob Fosse (1972) mais tient plutôt de la grosse pâtisserie pompière.
En playboy berlinois qui tarife ses services, David Bowie est néanmoins assez drôle, entre les bras de Kim Novak sa cliente et les griffes de Marlene Dietrich sa maquerelle. Au sortir du tournage, le chanteur dira : “J’ai l’impression d’avoir tourné les trente-deux navets d’Elvis Presley en un seul film.”
Dès lors, il se méfie du cinéma, se consacre entièrement à sa carrière de musicien qui, au tournant des années 1980, est commercialement ascendante. A peine accepte-t-il un caméo flatteur dans Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée. Il y incarne ainsi son propre rôle, chanteur adulé d’une adolescente junkie, mais n’apparaît que sur une scène de concert.
Après cinq ans d’absence des écrans (à l’exception de cette apparition), Bowie décide de se remettre sérieusement au cinéma et sort deux films en 1983. Deux films présentés à Cannes tandis que Let’s Dance trône en tête de tous les charts.
Deux visions pour le moins flatteuses de la star en jeune homme éternel ou en objet absolu du désir. Mais par deux fois, ça finit mal. Le vampire des Prédateurs (Tony Scott) est confronté à une décrépitude express. Le prisonnier anglais de Furyo (Nagisa Oshima) est enterré jusqu’au cou dans le sable. Tandis qu’il agonise, un papillon bleu se pose délicatement sur ses cheveux blonds.
https://www.youtube.com/watch?v=1dodlaEqr9Q
Après deux rôles aussi iconiques, une voie royale semblait devoir s’ouvrir. Mais il en est autrement. D’une certaine façon, Furyo et Les Prédateurs closent la carrière de Bowie acteur. Désormais, il ne fera plus que des participations, plus ou moins amusantes, plus ou moins prestigieuses, plus ou moins alimentaires.
Certaines sont brèves mais marquantes : dans La Dernière Tentation du Christ (Scorsese, 1988), il est Ponce Pilate ; dans Twin Peaks (David Lynch, 1992), il est un homme disparu qui ne réapparaît que sur les vidéos de surveillance, dans Le Prestige (Christopher Nolan, 2006), il est un ingénieur qui a conçu une machine propre à créer des clones humains parfaits.
http://www.youtube.com/watch?v=PF76qlwWM8s
David Bowie, grand pourvoyeur de clones : Christopher Nolan nourrit à son tour la mythologie du chanteur. C’est peut-être la limite de la carrière de l’acteur (qui comprend pourtant quelques beaux films et de grands cinéastes) : elle ne s’est jamais dégagée totalement du monde imaginaire mis en place par la rock-star.
Les chansons dans les films
De toute façon, le chemin particulier qu’a tracé David Bowie à l’intérieur du cinéma excède les seuls films qu’il a tournés. C’est aussi à Bowie chanteur qu’on doit de belles émotions de cinéma.
La plus forte de toutes, c’est un film français qui l’a procurée : Mauvais sang de Leos Carax où Denis Lavant se lance alors dans une course folle, porté par le déchaînement des boîtes à rythmes eighties de Modern Love.
Vingt-cinq ans plus tard, Noah Baumbach rend hommage à cette explosion de lyrisme pop dans Frances Ha, où Greta Gerwig court dans New York sur la même chanson.
Bien sûr, de nombreux autres films ont utilisé des chansons de Bowie. Ceux pour lesquels Bowie a composé une chanson : Labyrinth, Absolute Beginners ou encore La Féline de Paul Schrader (l’excellent morceau Cat People).
Et tous ceux qui ont utilisé des morceaux préexistants. Parmi les occurences innombrables, citons deux films qui, dans la foulée de la sortie d’Outside (1995), en ont prélevé une chanson – Seven de David Fincher (The Hearts Filthy Lesson) ou Lost Highway de David Lynch (les plans liminaires de route sur I’m Deranged sont peut-être ce que le cinéma a fait de plus beau avec la musique de Bowie).
http://www.youtube.com/watch?v=aepBpZ3kXek
Ou encore les irrésistibles reprises bossa de titres issus de Hunky Dory ou The Rise and Fall of Ziggy Stardust…, interprétées par Seu Jorge, dans La Vie aquatique de Wes Anderson.
Mais c’est dans un film où l’on n’entend pas une note de Bowie que l’on pense le plus fréquemment à lui : Moon, le premier long métrage réalisé en 2009 par Duncan Jones, le fils du chanteur, qui décrit la solitude d’un homme, seul habitant d’une station lunaire.
Il est aussi isolé que le Major Tom et peine lui aussi à entendre le ground control. Le film, très réussi, est bel et bien une étrangeté de l’espace (une “space oddity”), et il n’y est question que de clones. Duncan Jones, qui fut à sa naissance nommé par ses parents Zowie, réalisateur d’un autre beau film tout en voyages temporels (autre grand motif bowiesque) intitulé Source Code (2011), n’est pas le moindre legs de David Bowie au cinéma.
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