Avec sa nouvelle installation, Claude Lévêque pousse le corps dans ses derniers retranchements. Eprouvant.
Un malaise intense, souvent accompagné d’une baisse de tension et de sueurs froides, un état proche de la crise cardiaque : avec ce terme allemand de Kollaps, « collapsus » en français, choisi pour sa nouvelle exposition au Consortium de Dijon, Claude Lévêque parvient à composer un espace de pure phobie et de sensations dures. Certains d’ailleurs n’oseront pas s’avancer trop avant, pris très tôt par la peur. Peur du noir d’abord qui règne dans la pièce : une obscurité totale, durable. Peur du bruit ensuite : le son proche et monstrueux d’un hélicoptère, les vibrations sourdes de l’hélice pénétrant nos corps. Peur de l’air enfin qui souffle sur nous jusqu’à nous faire décoller à moins qu’il ne nous aspire. Et bientôt peur de tout : des autres visiteurs, auxquels on se cogne brutalement dans le noir absolu, peur du sol, mou et en mousse, qui se dérobe sous nos pas. « J’ai voulu faire quelque chose d’absolument non visuel, un espace sensoriel aux limites de ce que le corps peut supporter. »
Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette dernière installation de Claude Lévêque est plutôt dure pas difficile, non, simplement dure, éprouvante. Sensationnelle aussi, spectaculaire évidemment, et d’autant plus étonnante qu’elle fait appel aux sens autres que la vue, nous plongeant dans un noir absolu et panique. « Cette obscurité totale a été très difficile à obtenir. Je voulais qu’aucun élément n’apparaisse dans le noir, même si on reste très longtemps. Je voulais repousser les murs, qu’on ne puisse pas les voir ni les deviner, qu’on n’ait aucune idée des formes et des dimensions de l’espace. » Un espace invisible, un concentré de phobies, une peur impalpable, innommable : même ultra-physique, l’oeuvre de Claude Lévêque accède depuis plus de deux ans à une sorte d’abstraction : « Par exemple, j’avais fait en 1985, dans l’ancienne Fondation Cartier, une installation déjà très phobique, mais qui était encore très figurative : c’était une forêt très sombre, où l’on apercevait progressivement des formes (un arbre, un cerf…), avec en fond sonore des bruits d’enfants. Mais j’ai l’impression depuis plus de deux ans d’avoir fait le tour des objets, de ces mythologies, à la fois collectives et intimes, de ces figurations. Maintenant je m’intéresse plus à des questions d’espace, de dimension. »
A PS1 à New York, une autre installation de Claude Lévêque occupe actuellement l’intérieur et l’extérieur de la cage d’escalier et fait tourner la tête des visiteurs : avec une série de faux plafonds en miroirs souples, de filtres rouges posés sur les fenêtres, d’ampoules fixées sur les murs, et encore avec une bande-son du Psychose d’Hitchcock, il impose une zone de perceptions flottantes. A Nantes, dans les sous-sols de l’Usine Lu qui ouvrira ses portes pour les fêtes du réveillon 2000, il prépare également une autre exposition : « Je travaille là-dessus depuis deux ans, je ne veux pas trop en parler pour conserver la surprise : c’est pour moi le concentré de beaucoup de choses, un parcours, presque une pièce rétrospective. C’est pour cela que je l’ai appelée Le Sentier lumineux. »