Les New-Yorkais viennent d’annoncer la sortie de “The New Abnormal”, un sixième album dont la sortie est fixée au 10 avril prochain. En attendant une date de concert providentielle le 18 février à l’Olympia, nous avons classé les disques du groupe du pire (façon de parler) au meilleur. [Papier déjà paru en 2018 à l’occasion de la sortie de “Virtue”, le deuxième album des Voidz].
Au début des années 2000, les voitures ne volent pas et les mini-pizzas ne se transforment pas en quatre-fromages pour quinze personnes comme dans Retour vers le futur, mais Ryan Adams ouvre Heartbreaker, son premier album, avec une discussion entre lui et David Rawlings, où il est question de savoir si le Suedehead de Morrissey se trouve ou pas sur Viva Hate. Le genre de conversation de salon qui, à l’époque, pouvait avoir de la gueule. Autre preuve, s’il en fallait une, qu’en ces temps reculés le romantisme n’est pas mort : un type comme Geoff Travis, fondateur du label Rough Trade, peut, sur un coup de tête, signer un gang de kids de Manhattan sur la seule foi d’une démo entendue à travers un combiné téléphonique, entretenant ainsi l’illusion que l’industrie du disque n’est pas en train de se casser la gueule et que le rock peut redevenir le médium privilégié du cool. Vingt ans ans plus tard, que reste-t-il des Strokes ? Alors que la clique de Julian Casablancas sortiront leur sixième album le 10 avril et que At the Door, son premier extrait, tourne déjà en boucle sur nos platines, on a classé les albums des New-Yorkais, du pire (façon de parler) au meilleur.
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5 – Comedown Machine (2013)
En 2013, Julian, Albert, Nick, Fab & Nikolai ne sont plus que des ombres. Au sens propre, puisque le livret qui accompagne Comedown Machine, cinquième et dernier album du quintet, reprend les silhouettes noircies des portraits de chacun des membres, que vous retrouviez déjà dans votre compact disc de Is This It douze ans plus tôt. Aucune promo n’est prévue pour défendre le disque et une poignée de dates seulement, essentiellement en Amérique, viennent renforcer l’idée que déjà plus personne au sein du groupe ne veut entendre parler de cet album, ultime pièce qui liait les Strokes au label RCA.
https://www.youtube.com/watch?v=TJC8zeu3MHk
Pris un peu à la légère lors de sa sortie, Comedown Machine n’en demeure pas moins un bon disque pop, enregistré par des mecs qui ne se sont jamais contentés de ratisser encore et toujours chaque centimètre carré de leur zone de confort.
4 – First Impressions of Earth (2005)
Certains se rappellent de la tournée qui suivit la sortie de First Impressions of Earth comme étant légendaire, tandis que d’autre se souviennent davantage de l’uppercut reçu lors de la première écoute de l’album. La puissance sonore déployée ici fait l’effet d’un choc hydrostatique façon Scanners, le film de David Cronenberg dans lequel des types aux pouvoirs de télékinésie font exploser les têtes d’autres types. Julian, la voix libérée, peut hurler plus fort que jamais, lui qui a toujours cru au pouvoir cathartique du cri, sur des morceaux complexes et digressifs (le sublime Ize of the World), soutenus par une production à la mesure des ambitions soniques du groupe.
https://www.youtube.com/watch?v=Bh1YGr5g_Es
L’album, qui préfigure les libertés et les outrances du premier disque des Voidz (certains tracks ressembleront à des négatifs torturés issus de FIOE), sera pourtant critiqué par Casablancas lui-même. Trop long, confus, schizophrène dans sa production, First Impressions of Earth marque une étape nécessaire dans l’évolution du groupe, mais perd de sa pertinence au fil du temps.
3 – Angles (2011)
Six ans que les Strokes n’ont rien sorti depuis la sortie de First Impressions of Earth. Durant ce laps de temps où des groupes comme les Arctic Monkeys ont émergé, les New-yorkais sont partis chacun de leur côté vaquer à de saines occupations, comme sortir des albums en solo (Albert, Nikolai, Julian) ou monter des projets parallèles (Fabrizio), entre deux cures de rehab pour certains. A la veille de la sortie de Phrazes for the Young (2009), son premier album, Casablancas fait des tours à Los Angeles dans son Oldsmobile Cutlass de 1992 et se répand un peu partout sur l’ambiance délétère qui règne au sein des Strokes, arguant qu’il est le seul à bosser et que l’envie n’y est plus. Deux ans plus tard pourtant, sortira Angles. Beaucoup de choses ont été écrites sur le processus d’enregistrement chaotique du disque (Julian absent, ne répondant qu’à des mails, etc…), il n’empêche que pour la première fois, le groupe travaille ensemble, chaque membre co-signant la plupart des tracks. Comme avec Under Cover of Darkness, où Julian, la voix pleine de morgue et d’ironie, chante « I’ve been all around this town, everybody’s been singing the same song for ten years ».
https://www.youtube.com/watch?v=_l09H-3zzgA
Une façon d’envoyer se faire voir ceux qui auraient voulu entendre Is This It à chaque nouvelle sortie des Strokes. Un retour en grâce totale, introduit par Machu Picchu, probablement l’une des chansons les plus parfaites jamais sorties par les New-yorkais.
2 – Is This It (2001)
New York City, année 2000. Les Strokes traînent au Rags-A-Gogo, une boutique de seconde main au nord de Greenwich Village, boivent des coups avec Adam Green, Ryan Adams et compagnie, et enchaînent les dates dans les lieux cool de la ville. Un soir, au Luna Lounge, un club du Lower East Side, ils tombent sur Gordon Raphael, qui finira par produire The Modern Age, le premier EP du groupe, puis Is This It dans la foulée. L’album aura le même impact sur le public que le concert fantasmé des New York Dolls sur Richie Finestra dans la série Vinyl, personnage ultime en quête du frisson qu’il a ressenti en entendant pour la première fois un riff de Bo Diddley.
https://www.youtube.com/watch?v=knU9gRUWCno
Is This It est l’album parfait dans le sens où il est à la fois le point de jonction des représentations de toutes les frustrations adolescentes exaltées depuis la Fureur de vivre et, musicalement, un véritable bijou mélodique. Ne manquait plus qu’une brisure intrinsèque à l’âme du groupe pour finir sur la première marche du podium.
1 – Room on Fire (2003)
Dans Meet Me in the Bathroom : Rebirth and Rock and Roll in New York City 2001 – 2011, recueil de témoignages récoltés par la journaliste Lizzy Goodman sur l’une des périodes les plus excitantes de la vie new-yorkaise depuis la fin des années 70, le chroniqueur Marc Spitz (Spin, Vanity Fair, The New York Times), témoin privilégié et essentiel de cette épiphanie rock, se rappelle d’une nuit d’excès cocaïnée en compagnie de Julian Casablancas. La scène se passe quelques jours avant la sortie de Room On Fire et Spitz, décédé l’année dernière, dépeint un Julian hyper anxieux et incertain quant à la façon dont devrait sonner ce deuxième album : «J’avais cet exemplaire du premier album des Talking Heads et Julian a passé Don’t Worry About the Government en boucle, en répétant « Oh, je voudrais qu’il sonne comme ça, je voudrais qu’il sonne comme ça ». Et moi je pensais : mais, il sonne comme ça !. C’était un bon album de musique new-yorkais de new wave, avec du caractère, des mélodies et des super lyrics (…) Mais je ne suis pas sûr qu’il faisait la musique qu’il avait envie de faire à ce moment-là, aussi belles que certaines de ces chansons puissent être ». La vérité c’est que Room on Fire sonne bien mieux que Talking Heads 77, mais là n’est pas la question. Il demeure encore aujourd’hui le résultat du travail acharné d’une bande de kids, qui avaient sur les épaules le poids d’un premier album beaucoup trop beau pour être vrai et d’une tournée sans fin qui aura duré près de deux ans.
https://www.youtube.com/watch?v=8sQoX12zo-A
Room on Fire est le meilleur album des Strokes parce qu’il porte en lui les stigmates de l’underground et les brisures romantiques de la lose sublime, à l’instant zéro d’une époque où les désirs d’ailleurs de Julian Casablancas sont entrés en collision avec un revival rock déjà conservateur.
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