A moins d’un mois de la sortie du tant attendu sixième album des Arctic Monkeys, nous avons classé les cinq albums précédents du quartet de Sheffield. En toute subjectivité.
La question de son héritage a toujours taraudé Alex Turner. A peine le leader des Arctic avait-t-il eu le temps de voir le premier album du groupe battre les records de vente des Beatles, qu’il se demandait si cinq ans plus tard les gens se souviendraient « who the fuck are Arctic monkeys ». Au début des années 2000, tout est allé très vite pour les quatre garçons de Sheffield à peine sortis de l’adolescence (et des tréfonds de MySpace) et catapultés comme les sauveurs du rock britannique.
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A une époque qui se plaît à tuer le rock tous les trois ans, les Arctic Monkeys n’ont peut-être pas sauvé le genre. Les formations arrivées dans leur sillage (Bombay Bicycle Club, Pete and the Pirates ou encore Spector) n’ont pas réussi à s’installer dans la durée, ni à percer au-delà du royaume. Cela n’empêche pas le groupe d’arborer une discographie admirable et passionnante, que nous avons classée en toute subjectivité, en attendant le 11 mai et la sortie de leur sixième album, Traquility Base Hotel & Casino.
5 – AM (2013)
Sur leur premier album, les Arctic Monkeys promettaient d’aller « du Ritz aux gravats ». Le chemin parcouru pendant la dizaine d’années qui sépare Whatever People Say I Am, That’s What I’m Not de AM pourrait ressembler à une compromission. Au moins sur le plan de la météo. Le groupe habite dorénavant la côte ouest des Etats-Unis, troquant son crachin anglais pour le soleil californien d’où ils semblent vivre la belle vie. Signe de changement, le single malaise Why’d you only call me when you’re high où Alex Turner campe un type bourré qui, à 3h du matin, harcèle de textos l’une de ses conquêtes pour s’incruster chez elle. La chanson n’a pas attendu 2018 pour être mauvaise, mais elle semble surtout hors-sujet par rapport à l’histoire globale du groupe.
Non pas qu’il n’y ait rien à garder sur le disque – Do I wanna Know, Fireside– mais trop de chansons se ressemblent à s’y méprendre. Les balades N°1 Party Anthem et Mad Sounds sont d’une simplicité décevante. Symbole de cette apathie, Alex Turner qui autrefois se plaisait à trouver des titres drôles et à rallonge, semble avoir la flemme d’écrire convenablement, troquant même la langue de Shakespeare pour celle du langage texto sur Are U Mine ?.
4 – Whatever people say I am, That’s what I am not (2006)
Beaucoup de choses ont été dites, écrites voire même philosophées sur ce premier album, sa pochette iconique et sa demi-douzaine de tubes qui le sont tout autant. Dans la folie qui a précédé puis suivi sa sortie, le disque a été célébré comme l’un des plus importants de l’Histoire récente du rock anglais et a valu à ses auteurs les comparaisons les plus flatteuses : des Buzzcocks à Oasis en passant par les Beatles. Le sens de la formule d’Alex Turner sur l’album n’a que peu d’équivalent. Il dépeint avec humour et bienveillance une fureur adolescente où boire et pécho deviennent plus qu’un simple enjeu social, mais une vraie bataille contre le monde des adultes (Riot van) mais surtout contre soi-même. « Et merde, l’horreur/tu vois ta future femme/Mais c’est tellement absurde/De dire le premier mot/que tu attends encore et encore, » chante-t-il notamment sur Dancing Shoes, où il remet les Smiths et Pulp au goût du jour de la génération binge drinking.
Pourtant, ce premier disque pléthorique ressemble parfois davantage à une compilation de démos mal dégrossie et il n’aurait pas été scandaleux si certaines chansons (Still Take You Home, Red Light Indicates Doors Are Secured, You Probably Couldn’t see…) n’avaient pas été conservées sur la tracklist finale.
3 – Humbug (2009)
Difficile de se sentir dépassé lorsqu’on a tout juste 23 piges. A peine une année sans rien publier, et les quatre garçons de Sheffield se retrouvent challengés par des groupes plus vieux qu’eux comme MGMT, Vampire Weekends ou Grizzly Bear… La décennie dorée se termine et Brooklyn impose à la scène indé de se creuser un peu plus la tête pour composer. La bande d’Alex Turner décide alors de se tourner vers un type encore plus « hasbeen » qu’eux : Josh Homme, leader de Queen of the Stone Age, pour un voyage initiatique dans le désert californien. « Si tu as une leçon à m’enseigner, je t’écoute. Je suis prêt pour apprendre », conclut d’ailleurs l’album d’un groupe qui se plaît à manier l’ironie.
Aux côtés du producteur américain, les jeunes Anglais testent des genres où on ne les attendait pas -stoner énervé (Pretty Visitor) ou pas (Crying Ligthning), rock psyché (The Jewellers Hand) – dans un album dense, mais qui peine parfois à trouver sa cohérence. Avec le recul, Humbug reste sans doute l’acte fondateur d’un groupe qui n’a pas encore trouvé sa formule optimale mais cherche dans tous les sens pour se renouveler et continuer à exister.
2 – Favourite worst nightmare (2007)
Jusqu’à l’année 2007, les Arctic Monkeys ressemblaient davantage à une bulle spéculative pour l’industrie du disque qu’à un groupe fondamental de l’époque. Rien de surprenant alors à retrouver la formation la plus hype du moment entre les doigts du faiseur de tubes qui monte, James Ford, moitié de Simian Mobile Disco. Moins d’un an et demi après son prédécesseur, on pouvait naturellement craindre une catastrophe industrielle, entre redite et album bâclé. Il n’en est rien – et c’est même tout le contraire. Whatever… était une promesse pour le futur, les jalons d’un grand disque qu’il restait à écrire. Favourite worst nigthmare en est l’accomplissement, un album générationnel, madeleine de Proust d’une époque où les kids rêvaient devant Skins en portant des slims fluos beaucoup trop moulants.
Pendant les quelques mois qui séparent les deux disques, le groupe a publié un EP, Who the fuck are Arctic Monkeys, et un autre single, Leave before the lights come on, qui prenaient déjà leurs distances avec le style frénétique des débuts. Ce deuxième album va encore plus loin, consacrant l’écriture singulière d’un groupe définitivement au-dessus de ses contemporains. Lancé comme premier single, Brianstorm ouvre pourtant l’album sur une fausse piste. Si les petits gars de Sheffield jouent encore parfois comme des tarés, leurs chansons seront moins systématiques. Plus diverses, aussi, elles se font pop (Fluorescent Adolescent), épiques (505) ou dépouillées (Only one Who knows), n’hésitent pas les détours plus complexes (If you were there beware, Balaclava).
1 – Suck it and see (2011)
Tout avait pourtant si mal commencé, par une blague pas très drôle, bâclée. Sans prévenir, le groupe balance sur internet Brick by Brick, single bizarroïde et bas du front sur lequel Alex Turner laisse le micro au chant sous stéroïdes de Matt Helders, le captivant batteur du groupe. Merde, se dit-on alors, craignant que, ne retenant les mauvaises leçons d’Humbug, les Arctic aient sombré du côté du rock de stade. Il n’en est rien. Quelques mois plus tard sort officiellement Suck It and See, collection de douze chansons raffinées et accomplissement d’un groupe au sommet de son écriture. Voilà, les Arctic Monkeys tiennent leur classique. Ex-collectif de sales gosses, le groupe est désormais la chose d’Alex Turner, songwriter surdoué à la recherche de la parfaite pop-song – et qui la trouve souvent. Si les chansons évoquent de prestigieux aînés (Nirvana, Morrissey, Bowie), Turner regarde ses idoles les yeux dans les yeux, d’égal à égal, sûr et certain de sa singularité. On l’avait laissé mutique, presque absent, sur la tournée accompagnant la sortie de leur troisième album. Il s’impose désormais en rock star charismatique, bienveillante, et accomplie, sûr de sa voix. « Est-ce que tu te sens toujours plus jeune que ce que tu aurais pensé/Ou commences tu à te sentir vieux/N’ais pas peur, je suis convaincu que tu brises toujours des cœurs/avec l’efficacité que seule la jeunesse garantie », plaisante le jeune homme de 25 ans sur Love is a Laserquest.
Deux ans plus tard, le NME, bible du rock britannique, qualifiera le disque « d’album le plus insignifiant » de leur discographie. Drôle de destin que de devenir le plus grand groupe de rock du monde quand ce monde n’en écoute plus beaucoup.
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