À la mort de Notorious BIG, Jay-Z et Nas se disputent le trône du rap new-yorkais. Un clash en chansons qui a rapporté gros.
Mardi 18 mars 1997. Les rues du quartier de Fort Greene à Brooklyn sont noires de monde. Près de 1300 personnes sont venues rendre un dernier hommage à Notorious BIG, l’enfant du pays, assassiné à Los Angeles six mois après sa nemesis Tupac. Le roi du rap new-yorkais est mort, le trône est laissé vacant. Dans la procession de limousines, les dauphins défilent une photo de BIG à la main. Parmi eux, l’héritier naturel manque à l’appel : Nas est resté chez lui.
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Promis à un brillant avenir après son premier album Illmatic en 1994, le rappeur de Queensbridge caracole deux ans plus tard en tête du Billboard avec It Was Written. Dans l’un des morceaux phares de ce deuxième album, Nas convoite sans ciller le trône de Biggie Smalls, déjà adoubé par la presse et l’industrie musicale. “Il n’y a qu’une vie, qu’un amour, donc il ne peut y avoir qu’un roi”, rappe t-il dans The Message. La rivalité reste amicale, et à la mort de Notorious, Nas, effondré, rend hommage à “son frère”. “Nous étions les plus grands artistes à New-York. Quand il est mort, j’étais déboussolé, confie t-il à Vibe des années plus tard. J’étais en mode guerrier avec tout ce qui se passait entre la côte ouest et la côté est. Je ne voulais pas me rendre aux funérailles dans cet état”.
Deux prétendants pour un trône
Le succès critique et commercial de Nas le positionne dès lors en tête du rap game new-yorkais. Mais un autre MC entend bien réclamer la couronne de Biggie. Shawn Carter a connu Christopher G. Wallace au lycée. Devenus Jay-Z et Notorious, les deux copains collaborent sur leurs albums respectifs, le premier de Jay-Z, Reasonable Doubt en 1996, et le second de Biggie, Life After Death en 1997. Premier buzz pour Jay-Z, consécration pour Biggie.
Il faut dire que le débutant a su se faire remarquer par la scène new-yorkaise. Impressionné par Illmatic, Jay-Z utilise un sample de Nas pour le refrain du morceau Dead Presidents. Dans la foulée, il décide d’inviter directement le rappeur du Queens pour un featuring sur Bring it On, et lui propose même de rejoindre son label Roc-A-Fella avec les gars de The Firm. Nas accepte mais ne se pointe jamais en studio ; les deux camps finissent par se disputer le paiement des droits pour l’utilisation du sample de Nas.
Ce dernier s’en fiche : Jay-Z, c’est du petit gibier. Dans le morceau We Will Survive, extrait de l’album I Am… (1999), Nas s’adresse à Biggie : “Avant c’était marrant de faire des morceaux et guetter tes réponses / Mais maintenant que tu es parti, il n’y a plus de compétition”. Prodigy, deuxième moitié de Mobb Deep et proche de Nas, verse un peu d’huile sur le feu balançant quelques piques anti-Jay-Z, mais le rappeur du Queens est trop occupé à veiller sa mère malade pour s’y intéresser de près. Nas à l’écart, Jay-Z place quatre de ses six albums dans le top des meilleures ventes, et s’impose comme une figure dominante du hip-hop.
Apogée
Le clash a lieu en 2001. Dans la première diffusion du single Takeover sur la radio Hot 97, Jay-Z met en garde Nas et se fout ouvertement de Prodigy, une “danseuse étoile” XXS. Dans la version dispo sur l’album The Blueprint, Jay-Z rallonge la claque administrée à Nas en pointant ses échecs commerciaux (I am… est téléchargeable illégalement sur le web avant même sa sortie, Nastradamus peine à se faire une place dans les charts).
Nas répond par une première attaque sur la même radio où il défonce un par un les membres de Roc-A-Fella. Le morceau s’appelle H To The Omo, une référence explicite à la chanson Izzo (H.O.V.A.) de Jay-Z. Nas ne s’arrête pas là. La principale réplique à Takeover s’appelle Ether, sur l’album Stillmatic. “On m’a dit il y a longtemps que les fantômes et les esprits ne supportent pas les vapeurs d’éther. Je voulais blesser son âme”, explique Nas. Pêle-mêle, Nas y brosse le portrait d’un bouffon misogyne à tendance pédéraste, obsédé par Biggie dont il pille les rimes et les samples à foison. Pire, Jay-Z est un vendu qui enchaîne les singles mainstream (Sunshine, Hard-Knock Life) attiré par l’odeur du dollar.
https://www.youtube.com/watch?v=0ePQKD9iBfU
La violence des échanges range les fans de hip-hop dans deux catégories -pro-Nas ou pro-Jay-Z- qu’ils débattent à longueur de forums. “C’est devenu international, ce truc avec Nas prend des proportions monstre”, commente alors Wyclef Jean. L’apogée du clash culmine le 11 décembre 2001 sur Hot 97 lors de la diffusion de Supa Ugly, une réponse de Jay-Z écrite la veille. Vulgaire sans être vif, le rappeur raconte par le menu son aventure avec Carmen Bryant, avec qui Nas a eu un enfant : capotes sur le siège arrière de la Bentley, pipes à répétition… La radio sonde alors ses auditeurs qui donnent Nas gagnant à 58%. Fait inédit, Jay-Z vient présenter ses excuses au lendemain de la diffusion, poussé par sa mère qui estime qu’il a dépassé les bornes. “C’était vraiment pas très hip-hop”, se marre Nas.
Réconciliation
Bien que les battles de ce type fassent partie de l’histoire du hip-hop, les deux rappeurs sont soupçonnés d’en rajouter pour se faire de la publicité. Au moment où le rock FM et Britney Spears grignottent les ventes de disque, la guéguerre Nas-Jay-Z s’avère lucrative et relève le niveau d’un hip-hop alors vautré dans le bling. L’été suivant, Nas veut à nouveau en découdre avec Jay-Z mais Hot 97 refuse d’accueillir ses assauts. Les deux enchaînent alors les passes d’armes sur leurs albums respectifs (Blueprint 2 pour Jay-Z, Last Real Nigga Alive pour Nas), et Nas prépare même la pendaison d’une effigie de Jay-Z plus vraie que nature sur scène. Les fans se chargent d’alimenter l’embrouille jusqu’à ce qu’en 2005 Jay-Z invite l’ennemi de toujours sur scène lors de sa tournée I Declare War. Un an plus tard, il le signe sur le label Def Jam, dont il est devenu le patron.
“C’est pas comme au lycée, tu ne t’assois pas à côté de quelqu’un en lui disant ‘on est potes maintenant?’, explique alors Jay-Z. C’est un de ces trucs où tu penses que ça n’arrivera jamais, et puis ça se passe”. “On s’est salué et on a éclaté de rire, ajoute Nas. Regarde où est maintenant”. La réconciliation est actée et les deux participent aux albums de l’autre (ainsi de BBC sur l’album Magna Carta Holy Grail de Jay-Z). Et aux rumeurs qui circulent quant à des versions alternatives d’Ether, Nas la joue grand seigneur : “vous savez ce qui est fou? Je ne pense jamais à cette chanson, je ne me souviens plus des paroles. Rien”. Il n’y a plus rien à voir on vous dit.
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