La Fouine et Booba en remettent une couche : intitulés « TLT », les deux titres largués sur le web dimanche 3 février reprennent les mêmes angles d’attaque, l’humour en coin et le flingue pas trop loin. Ne boudez pas votre plaisir, c’est l’heure de la récré !
Il y a trois types de réactions face à l’embrouille qui oppose Booba, La Fouine et Rohff, parmi les plus gros vendeurs de disques du rap français : ceux qui écoutent en rigolant doucement, applaudissant telle ou telle punchline, regrettant tel ou tel coup bas, tel effet raté ; ceux qui embrassent le parti radical de l’un ou l’autre ; ceux qui pensent que tout cela n’est pas du rap, parce qu’il n’y a ni message ni rébellion et qu’on a rien fait de mieux que Public Enemy ou NTM. Pourtant, il ne faut pas exiger de ce clash autre chose que ce qu’il est : une guerre d’ego et de parts de marché dans un univers dont les lignes bougent et les obsessions changent.
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On laissera donc de côté les grincheux et leur manie millénaire – qui procède d’un malentendu – de demander aux rappeurs d’être des politiciens de banlieue, des révolutionnaires, des lascars avec des solutions (et d’être aussi intelligents que les caciques d’un rock ancien et accepté, qui ne se sont pourtant jamais gêné pour raconter d’énormes conneries sur vinyle). Qu’ils se contentent d’être des lascars avec de solides punchlines, des émotions bien troussées (fussent-elles des émotions de millionnaires libéraux), des productions à se faire péter les veines du cou, et ce sera déjà excellent.
Du cirque, de l’entertainment, du show-business
C’est ce qui est en jeu ici : on ne juge pas un clash sur l’intelligence de ses rimes ; c’est du cirque, de l’entertainment, du show-business, et le contexte en dit déjà long. Demeuré d’abord silencieux face aux attaques de Rohff et La Fouine, Booba est en effet sorti de sa réserve à un moment clé : deux mois après la sortie de son album Futur, dont les ventes plus qu’honorables (certifié disque de platine début janvier) commencent à ralentir, et alors qu’il prépare une tournée des Zénith. Quant à La Fouine, l’ardeur qu’il met à décaniller Booba cache mal le plan promo de son nouvel album, Drôle de parcours, à paraître… le 4 février !
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Il est clair qu’on ne se bat pas ici pour une simple réputation de killer mais aussi pour une manne financière – que se disputent aussi en toile de fond Sony Music et Universal, les maisons de disques des deux concurrents. Et ils ne sont pas les seuls à en profiter : à 18h30, dimanche 3 février, YouTube était saturé, tandis que #TLT devenait le hashtag (le mot-dièse, pardon…) le plus utilisé sur la twittosphère hexagonale. Mais en dépit de cette toile de fond tissée d’or, si les deux rappeurs opèrent avec morgue, inventivité, technique ou humour, on aurait tort de décliner, même s’il faut reconnaître que ce nouvel épisode manque un peu de piment.
La Fouine en fait des tonnes
Le premier à dégainer était La Fouine. Jouant sur l’attaque de Booba qui le traitait de pointeur et de pédophile dans son titre AC Milan, Laouni endosse le rôle avec un grand sourire et en rajoute, utilisant une production du rappeur américain Cassidy sur laquelle était invité R. Kelly, lequel s’illustrait en 2002 dans une affaire de détournement de mineur (relaxé en 2009).
http://www.youtube.com/watch?v=US3kPDcyi1I
Mais en dépit de quelques vannes du rappeur qui singe les chansons de Booba, l’ambiance retombe un peu lorsqu’il se lance dans un sketch sur le sexe de son adversaire. Plus de rimes, plus de musique : à l’écran, apparaît un tract qui traîne sur le net depuis quelques temps, représentant le sexe de Booba et que le rappeur aurait envoyé à une fan ; la Fouine commente, en rajoute, en fait des tonnes. L’authenticité du document est approximative mais l’effet immédiat : un quart d’heure après sa mise en ligne, YouTube met la vidéo hors service pour ne pas avoir « respecté les règles contenant la nudité et le contenu à caractère sexuel ». Plus facile que son Autopsie 5, un titre gouailleur, drôle et bien troussé qui restera un des grands moments de ce clash, TLT reste un bon moment de grivoiserie mais le tir faiblit.
Un clash affaibli mais des rimes inédites côté Booba
Une heure plus tard, le météore Booba débarque en grande pompe : le beat est tendu, le flow martial. D’emblée, il titille la barbichette de La Fouine (« Emile tu es vaincu, comme le bout de ta barbichette, tu es pointu »), en rajoute sur les affaires de pointeur et se vante de « remplir Bercy les doigts dans l’cul » avant de dédicacer Rohff avec un doigté tout personnel.
Il prend l’avantage, mais de peu : le morceau est bon, mais le niveau du clash plus faible que sur Milan AC, et ses rimes sont inédites, là où la Fouine recycle en partie son Sexe et Money (2004). Mais on sent aussi que l’affaire dure un peu, que Booba comme la Fouine en ont peut-être un peu marre. La tension rap semble retomber – mais pas la colère.
L’épisode était moins fort que d’habitude, mais ne boudons pas notre plaisir : depuis le début, chaque dimanche à 18h, c’est la série préférée du rap français qui se joue à guichets fermés, un paquet de chips à portée de main, et ça compte les points. Et des points, il y en a des deux côtés ; ça chicane, ça s’embrouille, ça gamine, ça chambre, ça en rajoute, ça en fait des caisses. « B2OBéatrice » est une bonne vanne, « Emile Louis Laounizi » aussi. Parfois ça tombe à plat, souvent c’est pas trop mal, parfois c’est un peu bas, tout le temps c’est du rap français (celui qui trouve la référence contenue dans cette phrase gagne un album de La Fouine !).
Cessons de penser que c’était mieux avant ou de bader les ricains : au plus haut de leur beef, Nas traitant Jay-Z de « grosses lèvres suceuses de bites », l’autre lui rétorquant qu’il a pété sa femme en levrette, n’avait pas beaucoup plus de panache que Booba ou La Fouine glosant sur les prouesses sexuelles ou le palmarès judiciaire de l’autre (tout au plus un peu de swagg à l’américaine et cette métrique claquante des baragouineurs anglo-saxons). On connaît d’ailleurs la suite : réconciliés à l’occasion d’un concert à New York où Jay-Z invite Nas, ce dernier signe sur Def Jam alors présidé par Jay-Z. Pas de coup de latte, pas de ring de boxe ni de coups fourrés, juste des disques vendus par millions suite à plusieurs collaborations entre les deux rappeurs sur les albums qui ont suivi. Même si la réconciliation semble plus qu’hypothétique du côté de chez nous, au moins pour le moment, la matrice demeure la même : à ce niveau de notoriété, on ne s’embrouille pas pour des cacahuètes. Voilà pour le show-business : pas de business, pas de show !
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Thomas Blondeau
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