Trois mois après la sortie de son premier album, “Sainte Victoire”, la chanteuse Clara Luciani a fait escale au festival « Calvi on the rocks » où la Villa Schweppes a ses quartiers. Quelques heures avant son set, la chanteuse marseillaise s’est épanchée sur sa tournée, son ancienne période de galère où elle mangeait du maquereau matin, midi et soir, mais aussi sur sa recherche du temps perdu.
Sa voix est venue troubler le ballet nautique de Calvi. Alors que des festivaliers parfaitement bronzés revenaient de la plage paradisiaque de l’Alga, réquisitionnée par la Villa Schweppes, sur une nuée de bateaux pneumatiques, Clara Luciani a fait basculer l’équilibre du jour. Ce dimanche 8 juillet à 22h07, sa voix grave, capiteuse, a instantanément captivé le public réuni en contrebas de la citadelle corse. Entre un stand de glaces et une piste de terre où s’affrontaient des joueurs de mölkky, la chanteuse marseillaise est venue interpréter son premier album, Sainte-Victoire. Sur des rythmes pop envoûtants, elle est venue raconter sa vie de femme qui en a eu plusieurs. Pizzaïolo, prof d’anglais “sans en parler un mot” ou bien encore vendeuse de vêtements. Mais aussi se battre contre ses chagrins d’amour et cette société viriliste qui aime réduire la femme à sa “fragilité” en ravivant des souvenirs troublés.
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Lors de son arrivée sur scène, des blogueuses soignaient encore leur manucure mais en l’espace de deux chansons, Clara Luciani est parvenue à leur faire oublier leur vernis. La soirée commence à peine, la foule de spectateurs est plus disparate que dense mais s’échappe du concert une atmosphère intimiste et captivante. Accompagnée de quatre musiciens, Clara Luciani semble nous toiser du haut de son mètre 82 mais son énergie est contagieuse. La longue brune célèbre son retour à la vie comme lorsqu’elle reprend « La Baie », sublime reprise de Metronomy ou bien encore « Blue jeans » de Lana Del Rey. Le climax est atteint lorsqu’elle dégoupille “La Grenade”, titre phare de son dernier album. Sous les applaudissements saccadés du public, Clara Luciani fait vivre et revivre ce titre qui touche au cœur. Elle n’a que 25 ans, était encore inconnue il y a quatre mois, mais la Corse…et toute la France semblent déjà à ses pieds.
Quelques heures avant son concert, un livre de Proust sous le bras, Clara Luciani s’est confiée sur sa riche année 2018 et sur ses galères qui ont nourri ses ambitions actuelles.
Lire Proust, c’est ta résolution estivale ?
Clara Luciani – Oui j’arrive jamais à lire des choses légères. On dit que lorsqu’il fait chaud, il faut lire des bleuettes mais je n’y parviens pas. J’ai tellement peu de temps pour lire durant l’année que j’aime me plonger dans des classiques.
Tu lis ou tu relis ces classiques ?
Je ne sais pas relire des livres. Pour moi, c’est tellement intense une lecture, qu’une fois digérée, je n’arrive pas à me replonger dedans.
Et où en es-tu des aventures de Charles Swann ?
Aux prémices de la jalousie. Ca m’intéresse d’ailleurs beaucoup comme sujet car j’aimerais écrire une chanson sur ce sujet. Je trouve ce sentiment hyper fort. Je l’ai un peu abordé dans “Monstre d’amour” mais j’aimerais bien aller dans l’analyse poussée de la jalousie amoureuse. Ce besoin que l’on a de contrôler et de s’accaparer quelqu’un.
Tu es d’origine corse, que ressens-tu en revenant ici pour jouer à Calvi on the rocks ?
Ca me fait toujours quelque chose, en particulier à Ajaccio car mon grand père était originaire de cette ville. Je ne l’ai jamais connu donc il y a quelque chose de l’ordre quasiment du pèlerinage. Comme si je marchais sur ses pas et que j’allais à la recherche de mes origines. Ca semble un peu fort et gros dit comme ça mais j’ai cette sensation.
Depuis la sortie de ton premier album, tu es rassurée ou déjà sous la pression en pensant au prochain ?
Je ne suis pas de nature à être rassurée. Par rien. Je suis toujours dans l’intranquillité et d’un autre côté l’intranquillité est énergisante. Je pense que lorsque l’on fait ce métier, on peut pas se satisfaire de ce que l’on a. Il faut toujours en vouloir plus. J’ai toujours été très intransigeante et ça ne va pas aller en s’arrangeant surtout qu’il est fort possible que désormais les autres le soient aussi pour moi (rires).
Tu as l’impression que le succès est vite arrivé ou qu’au contraire ça a pris pas mal de temps ?
Déjà, je n’ai pas l’impression de vivre un succès parce que ça reste très confidentiel. Mais je ne suis pas du tout en train de me plaindre car je trouve ça cool que ça reste dans proportions très humaines. Je peux encore répondre à tout le monde sur Instagram et sur Facebook et ça me plait. Mon parcours ne s’est pas construit de manière immédiate comme on peut le voir de nos jours lorsque tu postes une chanson sur Youtube et qu’il s’ensuit un gros buzz. Moi ça fait six ans que je fais de la musique à Paris, que je vais de groupe en groupe, de projet en projet. Ca a été hyper compliqué que les gens m’écoutent.
Tu faisais quoi comme petits boulots à côté ?
J’en ai fait mille. J’ai été pizzaïolo, baby sitter, prof d’anglais alors que je parle pas anglais. J’ai fait tout et n’importe quoi. Donc je n’ai pas l’impression que ça a été vite ni quelque chose de fulgurant. Ca a été très progressif.
Dans tes moments de galère, tu as eu envie de renoncer ?
Oui, je me rappelle d’un jour où j’étais à la pizzeria et j’écoutais la radio. Il y avait La femme qui passait. Je les voyais tracer et moi je galérais. C’était super dur. Et je crois que ce qui m’a aidé, ce sont des rencontres. Les encouragements à ne rien lâcher de Raphaël, de Benjamin Biolay et d’Alex Beaupain m’ont sauvé. J’étais encore vendeuse à Zara une semaine avant que Raphaël m’appelle et me dise : « J’ai besoin d’une musicienne sur ma tournée, est-ce que ça t’intéresse ? ». Et c’est comme ça que j’ai commencé à avoir le statut d’intermittente du spectacle. Avant je vivais dans 10m2, pas de thunes pour le chauffage et je mangeais que du maquereau (rires). Mais c’était cool, j’ai aimé cette première période.
Cette période de galère nourrit-elle tes ambitions aujourd’hui ?
Oui, parfois, je suis hyper reconnaissante d’avoir galéré. Je me dis, la vie est bien fichue, je suis contente de provenir d’un milieu social. J’ai l’impression de gravir les échelons petit à petit et j’ai la satisfaction de me dire que je me suis battu pour ça et que ça n’a pas de prix.
Ton année a été jalonnée de concerts. Tu trouves quand même un peu de temps pour écrire?
Là je vais rester trois jours en Corse donc j’ai ramené un clavier midi et mon ordinateur pour essayer de composer. J’ai besoin de quelques jours pour prendre un peu de recul. Je vis mon rêve avec tous ces concerts donc je ne suis pas dans la mesure de me plaindre du tout mais je sens aussi que j’ai besoin de me reposer un peu. Sur la route, c’est dur de trouver l’inspiration.
https://www.youtube.com/watch?v=E9XLDx4-GRg
Ton clip “La Baie” est uniquement composé de souvenirs de ta tournée. Quelle est l’image que tu gardes le plus en tête de cette période ?
Le premier que j’ai en tête, ce sont les garçons qui tournent autour de la table de ping pong. C’est un moment de bonheur de les regarder s’amuser et de faire le métier qu’ils aiment.
Ton titre “La Grenade” est sorti au moment de l’explosion de #Metoo. Tu as eu beaucoup de retours de femmes depuis ?
J’ai eu des retours de femmes qui me disent que c’est génial, je suis une porte-parole féministe. Pourquoi pas mais je ne l’ai pas écrit dans ce sens là mais ça me va. Les retours les plus étonnants et les plus émouvants que j’ai eus, sont provenus de femmes qui avaient le cancer du sein. Elle y voyait une double lecture dans la chanson. Au début, je me disais que c’était tiré par les cheveux et en la relisant les paroles, c’est vrai qu’il y a une double lecture possible. Et j’ai toujours dit que c’était un album de guérison, d’un chagrin d’amour en l’occurence mais il peut l’être aussi pour une maladie. L’idée c’est de retrouver des forces.
Tu as récemment chanté l’hymne du MLF avec Elodie Frégé, et Inna Modja. C’est important cette solidarité entre femmes artistes pour faire bousculer les mentalités de l’industrie ?
La solidarité entre femmes est quelque chose d’hyper important et qui ne va pas toujours de soi. Il y a pas mal de femmes qui sont un peu chipies les unes envers les autres et j’ai l’impression que ça nous décrédibilise. C’est ce que l’on a eu un peu avec #Metoo où chacun tirait la couverture à soi. Entre ceux qui réclamaient le droit d’importuner et ceux qui se regroupaient derrière ce hashtag. Je crois que comme dans chaque combat, il ne faut pas s’éparpiller. Il faut réussir à mettre en place une forme de solidarité.
On pourrait aussi évoquer ton titre “Drôle d’époque” très féministe. Qu’est-ce qui a nourri tes convictions ?
C’est plus mon vécu. Je repense toujours à ce mec dans le public lorsque je jouais avec La Femme et qui m’avait balancé : « Celle-là, ils ne l’ont pas prise pour sa voix ». Tout ça parce que je portais une jupe. J’ai plein d’exemples comme ça. Je crois que ça a toujours été une lutte bien avant de commencer la musique. J’ai toujours voulu montrer aux garçons que j’étais capable de faire aussi bien qu’eux. C’est ce qui a fait que je me suis inscrit dans un club de foot au CP car je ne trouvais pas normal qu’il n’y ait que des garçons dedans. Je jouais très mal mais au moins je jouais, c’était important pour moi (rires).
Dans votre album, le chagrin de la rupture irriguait tes paroles. Est-ce plus difficile d’écrire quand la vie est moins mélancolique ?
En temps normal, sans doute mais il y a plein de chansons que j’ai écrit alors que tout allait très bien. Comme “Les fleurs”. Ce qui a fait que j’ai commencé à écrire, c’était effectivement ce chagrin d’amour. J’ai passé cinq jours dans une pièce chez mes parents, presque sans manger ni dormir. Aujourd’hui, j’ai le sentiment d’être libéré de cette contrainte là.
Quand tu joues en live ces chagrins passés, ça a une vertu cathartique ou ça te replonge un peu dedans ?
Un peu les deux. J’ai l’impression que chanter ces chansons là, c’est un peu comme consulter un album photo. Tu sais que c’est loin dans le temps et plus vraiment toi mais tu te reconnais et tu te rappelles les émotions par lesquelles tu es passée.
Tu as définitivement dominé ta nature timide et pudique grâce à la scène ?
Non, je pense que c’est quelque chose dont je ne me débarrasserai jamais et je pense que c’est lié aussi au fait que j’ai été une enfant très moqué et ostracisé. Je garderai toujours ces séquelles de manque de confiance en moi mais j’ai l’impression d’avoir fait des progrès énormes grâce à la scène, aux gens et à ce que le public me renvoie.
La singularité de ta voix est aujourd’hui célébrée mais au début qu’en était-il ?
Oui c’est comme ma taille. Ce sont les deux trucs qui me rendaient hyper mal à l’aise. Et aujourd’hui, on parle de ma silhouette et de mon allure “de mannequin”, ça me fait marrer car ça a été tellement dur et ça l’est encore. Je trouve ça intéressant de voir que nos complexes peuvent devenir des forces.
Tu as raconté que tu as très tôt commencé à écrire sur un blog quand tu étais ado. On pouvait y lire quoi?
C’était un Skyblog déjà (rires). Si je retombais dessus, j’aurais honte. Le soir, je rentrais du collège et je m’astreignais à écrire dessus. Je m’étais fixé une vraie discipline. Soit ça parlait de moi, soit c’était des mini-nouvelles. J’adorais faire ça, c’était hyper important ce moment où je m’asseyais et j’écrivais. Je n’ai jamais retrouve ça à l’âge adulte, ce coté discipliné, je m’assois et je travaille. Je me rappelle que j’imprimais souvent mes textes dans un petit classeur et je les montrais à mes parents en mode trop fière.
Récemment Françoise Hardy a pris vigoureusement ta défense lorsqu’un journaliste a dit que tu avais été fortement influencée par elle. Est-ce que tu as été touchée par cette prise de parole ?
Déjà je suis toujours extrêmement touché lorsque Françoise Hardy me mentionne. Je suis vraiment fan. Par contre, je ne comprends pas toujours le lien que les gens font entre sa musique et la mienne. On rapprocher nos voix directes et franches mais au niveau musical, c’est différent.
Tes reprises de Metronomy (La baie) ou de Lana Del Rey (Blue jean) pour Konbini ont été très plébiscitées. Ca te plairait de faire un album d’adaptations ?
J’aimerais bien mais c’est compliqué car il faut demander des droits et c’est parfois très compliqué. Par exemple, ma reprise de Lana Del Rey, j’aimerais beaucoup la sortir mais il faudrait que j’obtienne son accord.
Comment tu fais le choix de ces reprises ?
Ce sont souvent des chansons dont j’aime la mélodie. A part “Come as you are” de Nirvana que j’ai choisi parce que comme beaucoup, j’ai commencé à apprendre à jouer de la guitare dessus. Je trouvais ça marrant de la reprendre à l’âge adulte et de l’amener sur un autre terrain qui m’était plus personnel.
https://www.youtube.com/watch?v=MsPNPj50yLM
Et pourquoi avoir choisi de reprendre “Seras-tu là” de Michel Berger sur France Inter ?
J’avais choisi ce titre car j’adore cette chanson, je la trouve très belle et je crois que c’est un sujet, une chanson d’amour, qui oriente plus la question sur l’effet du temps sur le sentiment amoureux.
Tu as fait un très beau titre avec Nekfeu, Christine and The Queens a fait un feat avec Booba. La nouvelle chanson française est-elle plus connectée au rap que par le passé ?
Christine beaucoup plus que moi car elle plus dans cette culture. Moi j’étais hyper heureuse de faire ce titre mais c’était plus par curiosité. Je crois que c’est d’ailleurs le duo préféré que j’ai fait. J’ai adoré bosser avec Nekfeu. Je trouvais ça vraiment original de mêler nos univers ensemble mais je me sens pas du tout rappeuse. Comme le rap marche beaucoup, il y a beaucoup de chanteurs qui essayent d’introduire du rap mais je ne me sentirai pas légitime de faire ça car j’écoute pas beaucoup de rap hormis Nekfeu, Lomepal et PNL.
Tu écoutes quoi en ce moment?
J’ai bien aimé la première chanson du dernier album des Arctic Monkeys.
Est-ce que tu as commencé à poser les bases de ton second album ?
Pas vraiment, j’ai juste quelques débuts de titres. Je ne crois pas que je vais changer d’univers. J’ai trouvé un équilibre entre le clair et l’obscur et j’ai l’impression d’avoir été très honnête. J’ai envie de rester dans cette dynamique.
Un petit conseil pour cet été ?
Hydratez-vous, protégez-vous, aimez-vous et lisez Proust (rires).
Propos recueillis par David Doucet
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