Les Pale Fountains, compositeurs et arrangeurs de génie, enregistrent entre 84 et 86 deux albums luxuriants : Pacific Street et From across the kitchen table. Mais la poisse est au rendez-vous. Le groupe, lessivé par l’héroïne, reste finalement sur le carreau glacial du Mersey Sound. En convalescence du côté de chez Shack, Michael Head refuse pendant trois longues années d’évoquer son joyau perdu. Aujourd’hui, il raconte enfin la singulière histoire de ses Pale Fountains.
Tu as composé pendant sept ans pour les Pale Fountains et depuis trois ans pour Shack, dont les nouvelles chansons sont principalement influencées par la scène de
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Par la scène de Manchester ? Je m’en doutais (rires)? J’imagine que je vais devoir m’expliquer souvent sur ce point. Bon, réfléchissons. Comment t expliquer Pour commencer, j’aimerais qu’on parle de scène du nord de l’Angleterre plutôt que de scène de Manchester. Il y a 80 kilomètres entre Liverpool et Manchester, on entend la même musique dans les deux villes et dans toute la région. Les influences y sont les mêmes. C’est assez simple. En fait, là-haut, quand tu vas acheter un paquet de céréales dans ton supermarché, tu entends les Stone Roses dans les haut-parleurs. Si tu entres dans un pub et que tu veux choisir une chanson dans le juke-box, tu as le choix entre l’intégrale des Beatles, deux ou trois titres de Kylie Minogue, quelques morceaux de disco, une dizaine de vieux trucs comme Dean Martin. Et tout le reste, ce sont des trucs comme les Mondays, les Charlatans ou la dernière nouveauté indie dont tu n’as sans doute jamais entendu parler. Si tu prends un taxi pour retourner chez toi, les Carpets passent à la radio. Tout compte fait, à la fin de la journée, tu as entendu dix trucs de la nouvelle scène du Nord sans même t en être rendu compte. Alors si tu décides de composer une chanson, il y a une forte chance pour que tes influences inconscientes ressortent au bout de tes doigts. Il n’y a que les La s qui soient capables de lutter contre ça. Je les trouve sublimes. La beauté de leur musique vient de sa simplicité. Des chansons pures, des mélodies très fortes.
Je les adore. Je viens juste d’entendre des bouts de leur album. C’est magnifique. Liverpool : la vengeance !
Votre dernier concert parisien m a beaucoup fait penser aux La s, avec ce petit supplément en guitares qui vous caractérise
Je crois qu’on raisonne de manière similaire, à la différence qu’eux résistent mieux que nous en studio. Je suis toujours tenté d’y retravailler les chansons, d’ajouter un peu de douze cordes ou des violons, alors qu’eux tiennent à protéger leurs créations comme des nouveau-nés. C’est d’ailleurs ce qui leur a posé des problèmes. Ils sont tombés sur des producteurs bourrins qui ont voulu saboter leurs merveilles avec des samplers. Trois fois, les bandes sont parties à la poubelle.
J’admire Lee d’être capable de foutre trois fois 10 000 livres à la poubelle. Ces bons vieux La s’
Les groupes de Liverpool ont toujours semblé très fiers de leur ville. N’est-ce pas un peu contradictoire avec ce que tu viens d’appeler la scène du nord de l’Angleterre ?
Non. Il y a en effet une grande fierté. Et aussi une certaine rivalité avec Manchester. Mais c’est de bonne guerre. C’est juste pour rire. Au fond, les deux villes sont dans la même merde, économiquement parlant. Les gens pensent de la même manière et tombent toujours d’accord sur les principaux débats. Il n’y a que le football et la musique pour nous diviser. En foot comme en pop-music, Manchester a la hargne. Mais nous avons la classe.
A l’époque des Pale Fountains, vous étiez très proches des autres groupes, comme Echo & The Bunnymen, les Wild Swans ou Pink Industry
C’est vrai. Nous étions copains avec tout le monde, même avec Julian Cope. C’est dire si nous étions tolérants (rires)? Mais on s’en fichait un peu d’être de Liverpool ou pas. Disons que c’était juste un endroit génial pour grandir ensemble, plein de ce romantisme dont se nourrissaient nos chansons de l’époque. La ville nous inspirait. C’est d’ailleurs certainement ce qui manque à Manchester, le romantisme. Celui qui nous a tout appris, le bien et le mal, c’est McCulloch. Toutes nos expériences’ bizarres, nous les avons faites sous sa tutelle : Vas-y, petit, n’aie pas peur, fume ça, tu verras, c’est bon’. C’est un vrai taré, ce Ian, mais aussi quelqu’un de vraiment adorable. Je crois aussi que c’est un chanteur sublime. On a tout essayé à cause de lui. On passait parfois trois jours sans dormir, parce qu’il avait décidé qu’on devait boire au lieu de dormir. Il avait élaboré cette théorie selon laquelle l’alcool remplaçait avantageusement le sommeil. Et ça marchait deux ou trois jours ! Après quoi, on dormait une semaine (rires)? Il y a un truc que personne ne sait au sujet de McCulloch, c’est qu’il est complètement myope. Quand il est sur scène à faire le beau, il ne voit strictement rien. Quand il se dandine pour des photos, il ne voit même pas l’objectif. Les seuls moments où il ose mettre ses affreuses lunettes, c’est chez lui ou pour jouer au foot. On joue souvent ensemble et, pour voir le ballon, il accroche ses lunettes avec du scotch autour de la tête. Comme c’est un très bon dribbler, le seul moyen de lui piquer le ballon, c’est de lui ar-racher son scotch. Ainsi ses carreaux tombent par terre et il est paumé sur le terrain (rires)?
As-tu déjà essayé d’habiter ailleurs qu’à Liverpool ?
Oui, en 82 et 83. Avec les autres Pale Fountains, nous avons vécu pendant dix-huit mois à Londres, après la signature avec Virgin. Puis nous sommes revenus ici. Tous les gens du Nord te le diront. On ne peut pas vivre à Londres. On y étouffe. Demande aux La s’ Ici, c’est chez moi. J’ai besoin de rester proche de Liverpool, parce que j’appartiens à la ville. Je me sens très concerné par tout ce qui touche Liverpool, les changements, les rénovations, les destructions. Le premier album de Shack ne parlait presque que d’urbanisme et de problèmes de société. Northern social realism , comme disent les journalistes.
Le morceau Who killed Clayton Square ?, par exemple, parlait d’une petite place magnifique qui a été détruite parce que c’était l’endroit où les homosexuels se retrouvaient. Il ne fait pas bon être gay chez nous. C’est idiot, mais c’est ainsi. Si l’on est gay, ou d’origine indienne ou asiatique, les autorités vous parquent dans des cités minables. D’un autre côté, si tu n’appartiens pas à une ethnie, tu n’obtiens pas d’appartement du tout. Ce n’est pas une telle politique qui pourra vaincre le racisme. Je n’y comprends plus rien. Je crois pourtant qu’il y a de l’argent à Liverpool, mais l’administration est pourrie de l’intérieur. J’ai envie de pleurer quand je vois ce qu’ils ont fait d’un endroit comme Everton.
Moi, j’ai de la chance. Grâce à la musique, j’ai de quoi me louer un appartement à Kensington, dans le centre de Liverpool. L’architecture y est encore protégée. Mais c’est dans les banlieues qu’ont été commises les plus grosses erreurs. Beaucoup d’architectes ont fini en prison. Il y en a un qui avait décidé de construire une piste de ski artificielle à la sortie de la ville. Une fois les travaux terminés, on s’est aperçu que le bas de la piste se situait à 5 mètres de l’autoroute, si bien qu’un skieur en difficulté aurait traversé les barrières pour finir sur le bitume. Cet architecte-là purge une peine de trois ans. L’urbanisme autour de Liverpool est une vaste escroquerie. Cela engendre déprime et suicide.
Il y a au sud de la ville une tour de 30 mètres. Ma copine connaît la femme qui habite le dernier étage. Cette femme a obtenu une récompense d’une organisation, les Samaritains, parce qu’elle a pu dissuader quinze personnes de sauter dans le vide.
Il y a un autre phénomène étrange dans le Nord : la création de musées consacrés à ce qui faisait la richesse de la région, les mines, les usines textiles’
Je sais, c’est stupide. Les hommes d’affaires ne savent plus quoi faire pour attirer quelques touristes. Il y a trois ou quatre musées près de Liverpool et surtout un immense sanctuaire minier à côté de Newcastle. On t y explique ce qui faisait la force de nos régions jusqu’à la crise, en omettant bien sûr de te préciser que les ouvriers qui bossaient là n’ont jamais retrouvé de travail. Imagine ce que peut ressentir un mineur en voyant son lieu de travail transformé en musée. On tue ce qui lui restait d’honneur. Les gens qui veulent attirer les touristes n’ont aucune pudeur. Mon père en a un peu souffert. Il est au chômage et ne retrouvera jamais de boulot. Il est trop vieux. En fait, c’est à cause de lui si nous avons commencé la musique, mon frère et moi. Mon père avait une guitare acoustique. Mais il ne voulait pas nous laisser jouer dessus, ce qui nous énervait au plus haut point. Vers onze ou douze ans, nous avons craqué et nous nous sommes acheté notre propre guitare. Ça représentait deux ans d’économie à nous deux. Et on s’est mis à apprendre, à tour de rôle. Nous collectionnions les disques de Love et des Byrds. On s’amusait à les jouer de la première à la dernière note. Très vite, on a joué mieux que mon père, ce qui le rendait fou de rage.
Existait-il une rivalité musicale entre ton frère et toi ?
Une rivalité ? Non. Mais une émulation, certainement. Ensuite, on a décidé de se partager le boulot. John devait s’exercer pour jouer des parties de lead guitare et moi je m’engageais à travailler le chant. On a bossé comme ça pendant deux ou trois ans. Je n’allais presque jamais en classe, je ne supportais pas la discipline. A l’école, tout le monde m’emmerdait. Alors je jouais au foot ou je restais avec ma mère. Elle aime la compagnie. On chantait ensemble. Ma mère a une voix extraordinaire pour interpréter les vieilles chansons de chez nous. Elle me faisait travailler ma voix. C’est aussi elle qui nous a encouragés à jouer avec des copains. Alors on jouait à trois ou quatre guitares dans le salon, et ma mère nous faisait du thé. On faisait trasher nos six cordes, ça n’avait rien à voir avec Donovan (sourire)? Ensuite, il a fallu que je gagne un peu d’argent. J’ai donc réparé des appareils photo pendant un moment. Mais je me suis fait virer. Puis j’ai servi le thé dans un salon pour vieilles rombières. Je me suis à nouveau fait virer. Alors je suis devenu chanteur pop à plein temps.
Quel âge avais-tu quand tu as décidé de te consacrer uniquement à la musique ?
Lorsque nous avons vraiment commencé à répéter assidûment, j’avais dix-neuf ans. Et John quinze ans. Le déclic est venu lorsque j’ai rencontré Chris. Je l’ai adoré tout de suite parce que c’était un type très drôle. Les Pale Fountains sont nés dans sa cave, en 81, je crois. Ou à la fin de 80, je ne sais plus. En hiver, en tout cas. On jouait tous les soirs. Deux guitares acoustiques, la basse de Chris et une petite batterie. Au départ, Chris voulait chanter. Mais il chantait atrocement faux. Alors je me suis jeté à l’eau. Ma voix n’était pas mauvaise. Je la travaillais tous les jours. Ce qui fait qu’elle était devenue assez bonne pour notre premier single. Pas brillante comme celle de Morrissey, mais bonne tout de même. Mon frère chante bien également. Il devrait prochainement sortir un album sur lequel il chantera.
Vous avez très vite suscité l’intérêt des maisons de disques. Comment l’expliques-tu ?
Je n’ai jamais compris pourquoi. Je crois qu’il se passait un peu la même chose qu’à Manchester ces derniers temps. Les directeurs artistiques étaient à l’affût et faisaient fréquemment le voyage jusqu’à Liverpool. Plusieurs d’entre eux sont venus nous voir dans la cave de Chris. Pourtant, nous ne sonnions comme aucun des groupes de la ville.
A l’époque, tout le monde sonnait comme Teardrop Explodes ou les Bunnymen. Mais pas nous. Nous ne sonnions comme personne. Au départ, on devait signer chez Rough Trade, qui démarrait grâce à Aztec Camera et Scritti Politti. Ils nous proposaient de nous acheter une guitare chacun et de nous payer 30 livres par semaine. Puis Virgin est arrivé. Et là, on ne pouvait vraiment pas refuser leur offre.
J’ai entendu parler de chiffres exorbitants concernant cette signature chez Virgin’
Et j’ai bien peur que ces rumeurs soient fondées (sourire)? Nous avons touché une avance de 500 000 livres, à diviser en quatre. C’est là que nous sommes partis pour Londres. C’était une des conditions du contrat. Virgin payait même notre appartement. Nous avons vécu comme des pachas. Nous pouvions nous acheter ce que nous voulions. La maison de disques a ensuite accepté que nous retournions à Liverpool, et là, nous avons passé cinq années merveilleuses.
Tu as dit récemment que tu n’avais jamais été satisfait de l’orchestration de Pacific Street, votre premier album, que beaucoup considèrent pourtant comme un chef-d’ uvre.
C’est vrai, je trouve l’orchestration très pédante. Même si notre volonté était d’ajouter un peu de lyrisme aux morceaux, je crois que nous en avons fait un peu trop. Mais ce sont surtout les premiers singles des Palies qui ont mal vieilli. L’album est tout de même bon, je crois. Lors de l’enregistrement, je ne savais pas trop où me situer par rapport à la musique. Je ne savais pas comment me comporter. Devais-je être très strict et préserver la pureté des chansons, où devais-je profiter à fond des possibilités offertes par Virgin ? Tu imagines ce que ça pouvait être pour moi de me retrouver à vingt ans face à un orchestre de trente personnes ? Je ne suis pas chef d’orchestre. Même si tout cela était très excitant, j’étais assez mal à l’aise. Il fallait que je parle à Howard Gray, le producteur, qui traduisait sur partitions ce que que je voulais que les musiciens exécutent. Et c’est là que les ennuis ont commencé, car on ne peut pas parler de musique. On la joue, on ne dialogue pas à son sujet. C’était un vrai casse-tête. Je n’ai jamais étudié les harmonies. Je ne suis pas un compositeur et je ne sais pas écrire la musique. Lorsque seuls trois ou quatre violonistes venaient, c’était parfait. Je leur dictais les mélodies sur ma guitare et ils les reproduisaient. Mais Virgin insistait pour que nous enregistrions le plus souvent possible avec tout l’orchestre. Cela coûtait plus de 1 000 livres par jour, mais ils s’en foutaient. Heureusement, Howard est un type bien et il a su tirer parti de cette situation. Finalement, on n’entend presque jamais l’orchestre sur les bandes. Malgré cela, la maison de disques était ravie du disque.
Les ventes n’ont hélas pas suivi.
D’où vient ce son un peu latin qui caractérise Pacific Street ?
Tu veux parler de l’intro de Something on my mind, par exemple ? Les guitares acoustiques en avant et les percussions me viennent de ce qu’on écoutait à la maison. Mon père me passait des trucs comme Astrud Gilberto. J’adorais ça. Je lui ai piqué pas mal d’idées. Le morceau
Southbound excursion sur Pacific Street est inspiré d’un de ces vieux morceaux. Mais notre meilleure chanson sur le disque était Natural, qui est la plus rock, la plus directe, même si la version de l’album est un peu confuse. Nous en avons fait des versions incroyables en concert.
Comment expliques-tu que cet album, tout comme From across the kitchen table deux ans plus tard, n’ait pas eu le succès qu’il méritait ?
Parce que nous sommes arrivés trop tôt. Que pouvions-nous faire avec nos ballades ? A l’époque, Human League était premier dans les charts. Tu réalises ce que ça veut dire ? C’était l’ère des synthétiseurs et des boîtes à rythmes. Nous ne pouvions pas lutter. Les gens n’étaient pas prêts à entendre les Pale Fountains. J’ai pris conscience de ces choses-là très récemment. Lors des premiers concerts de Shack, les gens venaient nous voir pour nous parler de nos chansons. Et pourquoi n’avez-vous pas joué Reach ? C’est un morceau génial. Et Jean’s not happening, ça aurait dû être un tube !? A force de m’entendre dire ce genre de choses, j’ai commencé à me demander vraiment pourquoi ça n’avait jamais marché pour nous. Et je crois avoir trouvé la réponse. Nous n’étions pas identifiables. Et la presse a besoin de repères. Il n’y avait pas de réactions extrêmes, ni j’adore , ni je déteste . Il n’y avait rien sur les Palies dans la presse, tout simplement parce que les journalistes ne savaient pas quoi écrire sur nous. On n’écrit pas une chronique avec un je ne sais pas’. Si, je me souviens d’un article où le type ne parlait que de nos fringues, de nos chemises à carreaux, ce genre de trucs. Il prétendait que nous étions à la pointe de la mode, que notre manière de nous vêtir était bien plus révolutionnaire que notre musique, que nous aurions dû nous lancer dans le prêt-à-porter pour teenagers. C’est ce que j’ai lu de plus stupide. Ensuite, tout le monde a repris l’idée et on a fait de nous le groupe le plus hype du pays. Mais franchement, nous nous fichions de la mode. Ce n’était que des chemises à carreaux, sans autre but que d’être agréables à porter. Alors pour emmerder tout le monde, nous nous sommes acheté des chapeaux (rires)?
Ne crois-tu pas que c’est l’argent qui a tué le groupe ?
Si, bien sûr. Mais c’est un peu plus compliqué que ça. Le fric était a priori une excellente chose pour nous tous. Nous pouvions faire ce que nous voulions et nous pouvions écrire l’esprit en paix. Le problème, c’est que l’argent peut tout acheter, les bonnes comme les mauvaises choses. Et parce que j’ai toujours été un grand curieux, je me suis mis à tout essayer. Je dis bien tout. C’est donc l’argent qui a tué le groupe, parce que l’argent nous permettait de nous acheter toutes les drogues que nous voulions.
Ces expériences avec les drogues étaient-elles partagées par tous les membres du groupe ?
Non, et c’est bien le problème. En fait, nous étions trois à nous shooter fréquemment. Le batteur, Andy Diagram, notre trompettiste du début, qui joue maintenant avec James, et moi. C’était Andy le plus accro. Non, pas vraiment accro, mais disons’ le plus fan de substances. J’en prenais pas mal, moi aussi, car je pensais que ça m aiderait à écrire. Mon frère en prenait juste un peu, de temps en temps, pour s’éclater. Il était encore très jeune et j’essayais de l’en dissuader. Mais le problème, ce n’est pas que nous étions trois ou quatre à prendre de la drogue. Le vrai problème, c’est que Chris n’en a jamais pris. Il a toujours été contre. Il a vu notre état se dégrader progressivement. Et puis nous commencions à avoir des désaccords au sujet de notre musique, à cause de la drogue. Moi, je voulais tenter des trucs. Ainsi, pendant l’enregistrement du deuxième album, je tenais à ce que nous faisions d’énormes efforts au niveau des voix. Je voulais qu’on utilise des choristes, mais Chris disait que c’était un délire de drogué. On s’engueulait souvent. Après From across the kitchen table, je ne faisais même plus attention à ce qu’il me disait. Dix fois, vingt fois, il a dû nous demander d’arrêter la came. Mais nous en prenions trop pour l’écouter. Ça le rongeait d’être impuissant. Mon frère en prenait de plus en plus lui aussi et moi, j’avais beaucoup grossi. On ne répétait plus régulièrement, persuadés que le groupe ne décollerait plus. Je claquais tout mon fric dans des conneries. C’est à ce moment-là que nous aurions dû mettre le paquet, en 86, après la sortie de Jean’s not happening. Nous aurions dû faire des tournées et de la promo, mais nous ne voulions plus quitter Liverpool, car c’est là que nous étions’ bien. Chris le savait. Lui voulait bosser comme un fou. Nous pas. Alors, plutôt que de voir le groupe mourir à petit feu, Chris a préféré l’assassiner. Et je crois qu’il a eu raison.
J’ai tout perdu à cause de la drogue. J’ai perdu ma santé, un million et demi de francs et, surtout, mon meilleur ami. Tout ce qui me reste, ce sont deux albums et une guitare. John a au moins eu l’intelligence de garder sept guitares. Il appelle ça son testament (sourire)? Après la mort du groupe, j’ai un peu décroché. J’ai alors réalisé que Chris avait eu raison, que sans nos conneries le groupe existerait toujours. J’ai voulu lui en parler, m’excuser. Je ne le voyais presque plus, et alors que je me sentais prêt à me confesser auprès de lui, juste après la formation de Shack, Chris est mort d’une hémorragie cérébrale. Je n’ai même pas pu m’excuser.
Mais puisque tu te repentissais, pourquoi n’as-tu pas proposé à Chris d’être bassiste de Shack ?
Parce qu’il est tombé amoureux. De Jayne Casey, la chanteuse de Pink Industry. De toute façon, il aurait probablement refusé ma proposition. Je n’ai jamais pu parler de ces choses-là auparavant car je ne m étais pas encore vraiment sorti de cette saloperie de drogue. Maintenant, je ne touche plus qu’à de la rigolade. Donc, je suis capable d’émettre une opinion critique à mon sujet. J’ai tué les Pale Fountains et je n’en suis pas fier.
N’avez-vous jamais songé à continuer sans Chris ?
Non. Impossible. Et puis, j’avais de gros problèmes avec Virgin. Ils m avaient convoqué à Londres pour me demander de virer le groupe et de tenter quelque chose en solo. J’ai bien sûr refusé. Nous sommes partis en tournée au Japon. C’était comme des vacances, je savais que le groupe était sur une mauvaise pente. Ce furent nos derniers concerts avec Chris. De retour à Liverpool, le téléphone sonnait sans cesse. Virgin me proposait de l’argent, beaucoup d’argent, pour continuer seul. Le reste du groupe n’en a jamais rien su. J’ai été contraint d’instaurer un code. Sonner une fois, raccrocher, sonner une deuxième fois et enfin je répondais. Alors, ils m écrivirent, pour me menacer de déchirer le contrat. Ce qu’ils firent finalement. Mais je m’en foutais. Sans Chris, le groupe ne pouvait plus exister.
Qu’est devenu le batteur ?
Il est chauffeur de taxi. Il a beaucoup souffert du split. Moi aussi, mais j’étais comme anesthésié par certaines substances, comme un malade.
Je ne peux que déconseiller cette merde de drogue.
Zilch est sorti en 1988. Pourquoi avoir attendu autant de temps pour sortir un deuxième album de Shack ?
Je suis devenu papa d’une petite fille. Je voulais la voir dans ses premières années. Elle a maintenant deux ans, donc je peux me remettre un peu à bosser. J’ai écouté beaucoup de musique également : Miles Davis, Gershwin, Stravinski, et aussi De La Soul, les Stone Roses et les La s. Je crois que notre single I know you well va bien marcher. L’album ? Je ne sais pas. J’espère. Ce ne sera jamais plus comme les Pale Fountains.
Es-tu amer ?
Non, pas trop. J’étais jeune, j’avais le droit de me tromper. Mais je suis content de t’avoir raconté notre histoire. Ça me soulage. Je sais que nous avons beaucoup d’amis français et je voulais qu’ils comprennent. Dis-leur que je regrette et que je m’excuse. Pardon, tout le monde.
Archives du numéro 25 (septembre 1990)
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