A la découverte d’une actrice qui lie dans son travail chorégraphie, arts plastiques et théâtre. Un pari réussi autant que risqué.
On a souvent tendance à considérer un spectacle comme une construction, un assemblage d’actions, d’objets et de temporalités, fussent-ils hétéroclites. Le projet de la comédienne Claire-Ingrid Cottanceau G., associée au plasticien et scénographe Jean-Pierre Girault, au chorégraphe Loïc Touzé et à l’auteur et comédien Mathieu Bébin, prend cette idée à rebrousse-poil.
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Sur le plateau du théâtre, tout ce qui est proposé au regard, à l’écoute et aux sens se défait, se délite, se décompose, se soustrait, se décolle… pour mieux se dévoiler. Un récit (une adaptation de L’Amour de Marguerite Duras), en voix off, accompagne le déplacement de l’actrice juchée sur des patins à glace d’un autre temps, foulant un tas de paille. Ce même tas de paille balayé par Jean-Pierre Girault dessine au sol des parcours dont on finit par ne plus savoir s’ils précèdent les pas de la femme ou en inclinent le cours. Une vitre suspendue s’emplit de pluie ; plus tard, d’un liquide blanc qui se déversera au sol. Des tableaux vivants qui jouent aux natures mortes. Nous sommes côté jardin.
Côté cour, une vaste bâche de plastique cache aux regards un amoncellement de cageots pleins de laitues, un réservoir-alambic, tout un fatras qui disparaît en un clin d’œil. La représentation s’emballe : une vente aux enchères sur scène et sur écran succède au balayage du rectangle de poussière de paille déposé sur le plateau et découvre un marquage au sol de scotch rouge patiemment décollé. La trace plutôt que le tracé, le dessein qui échappe au dessin et se réfugie dans l’esquisse. Et, pour finir, deux monologues au débit opposé, dans l’urgence et la stupeur.
Ce magnifique et stupéfiant travail mené durant trois ans par la Compagnie Des Confessions révèle, d’indélébile façon, une autre facette de l’actrice Claire-Ingrid Cottanceau G., formée à l’école de Chaillot avec Antoine Vitez et que l’on a vu jouer chez Matthias Langhoff, André Engel, Robert Canterella, Christian Colin, Pierre Meunier, Hervé Pierre… Une interprète pour qui des auteurs contemporains ont composé tout exprès des partitions-textes : TDM 3 de Didier-Georges Gabily, un monologue de Françoise Duchaxel, D’autres choses encore ou Terre promise de Roland Fichet. Elle aurait pu s’en nourrir, s’en suffire, se croire au zénith de son art. Mais non, c’est tout le contraire. « Je ne crois plus au « je suis » sur un plateau. Après mon premier trajet d’actrice, j’avais envie de me taire, de balbutier. Dans Les Têtes penchées, c’est un corps qui parle et non pas une parole véhiculée par un corps. » Les apports de la danse, des arts plastiques trouvent ici leur source. « Aujourd’hui, je me sens plus proche de gens inclassables comme Sophie Calle, qui est au centre de son expérience, à la fois auteur et photographe. De même qu’à côté des tentatives d’écriture de la danse contemporaine, je trouve que le théâtre ne travaille que sur la reconnaissance. Le déséquilibre est moteur de mon travail, particulièrement sur ce spectacle, la fragilité aussi, mais pas au sens passionnel ; plutôt pour atteindre un endroit de disponibilité, à savoir le présent du plateau. Alors, oui, je demande à celui qui regarde de travailler, comme nous. »
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