Du haut de ses 77 ans, monument du jazz cubain, le pianiste Chucho Valdès revient avec Jazz Batá 2, un disque dense et virtuose, dans lequel il revisite les formules rythmiques des tambours batá.
« Le piano, c’est un instrument percussif. Pour bien jouer ‘cubain’, il faut posséder une connaissance profonde des racines de la musique africaine, une maîtrise parfaite de la sonorité et du langage des tambours, et les transposer au clavier… » Ainsi parle le pianiste Chucho Valdés, créateur du légendaire groupe Irakere. Pour ce géant du jazz cubain, tout se joue dans les rythmes, les asymétries, la puissance terrestre, nourricière et spirituelle des percussions.
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Percussions sacrées
Dans Jazz Batá 2, son dernier disque, il renforce encore davantage cette conception. Il y reprend ainsi, au piano, les formules rythmiques des tambours batá, ces percussions sacrées en forme de sablier, véhicules vers les mondes supérieurs dans la religion Yoruba (Nigeria, Bénin, Togo, etc.) et son dérivé, la Santería cubaine. L’entreprise ne saurait être évidente. A chaque divinité – les « orishas » – correspond un rythme précis… Et il en existe plus de 400 ! Autant de rythmes à se mettre sous les doigts…
Pour les jouer, Chucho a longtemps étudié. Enfant, sans comprendre un traître mot des chants en yoruba, il assiste en cachette à ces cérémonies de santería qui le fascinent. Plus tard, son père, le mythique Bebo Valdès lui apprend les rudiments des tambours batá, que son maître de Santería lui a enseignés, de façon théorique. Pour définir les tambours, le pianiste explique : « En Afrique, c’était les ancêtres d’Internet : des relais d’information entre les villages. La manière de jouer renseignait sur la nature de l’événement – grave, heureux, etc. A Cuba, ils transmettent des messages aux divinités. »
En 1972, dans Jazz Batá, Chucho Valdés intègre, pour la première fois, les tambours dans une musique profane, en remplacement de la batterie. Avec Irakere, il n’aura de cesse d’utiliser ces percussions, créant avec le percussionniste Oscar Valdés, la rythmique « batumbata », fusion moderne de batá et de congas.
Un disque dense, intense et virtuose
Dans son sillage, de nombreux groupes intègrent ces instruments, comme les jeunes héros du hip hop cubain, Gente de Zona. Mais sur ce dernier disque, avec Yelsy Heredia (contrebasse), Dreiser Durruthy Bombalé (batá, voix) et Yaroldy Abreu Robles (percussions), Chucho enfonce le clou et livre, du haut de ses 77 printemps, un disque dense, intense et virtuose, où les polyrythmies vertigineuses des rythmes batá forment une forêt luxuriante, propice à l’éclosion de mélodies magiques. Ici, un titre se pare d’une émotion particulière, 100 Años de Bebo. « C’était mon maître, mon égal, mon ami, le confident de mes plus beaux secrets », confie-t-il, au sujet de son père.
Enfin, le disque s’ouvre sur Obatalá, en hommage à la divinité de Chucho, chef des orishas, garant de la paix et de l’unité. A l’entendre, à le re-écouter 1 000 fois, Jazz Batá 2 donne pourtant l’impression que tous les orishas, conviés à la fête, jouent ici sous les doigts du maître : ceux du feu, de la terre, de la mer… Avec ce dernier disque, Chucho prouve, une fois encore, par son talent prodigieux, sa capacité à entrer en communication avec le monde des esprits. On part avec lui !
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