Sous le signe de l’émancipation et de la modernité, les femmes de l’entre-deux-guerres ont activement participé à la Nouvelle Vision photographique.
Photo On le sait, le Paris des années 20 et 30 est un formidable creuset artistique où intellectuels et artistes du monde entier se retrouvent, et se trouvent. A cette époque aussi, grâce au développement des journaux et de la publicité, la photographie devient une profession, et les femmes qui ont également payé leur tribut à la Première Guerre mondiale en remplaçant les hommes au travail découvrent l’émancipation, tout au moins dans les milieux bourgeois et artistiques. C’est dans ce contexte qu’elles prennent d’assaut la photographie en participant activement à sa rénovation artistique. Ce que Christian Bouqueret, spécialiste émérite de l’époque, appelle la Nouvelle Vision photographique. Il ne faudrait pas que la médiatisation écrasante de la rétrospective Man Ray le fasse passer pour un visionnaire solitaire : tout le milieu cosmopolite basé à Paris, et singulièrement les femmes, bouscule les canons en vigueur et explore le médium dans toutes les directions. C’est ce qu’illustrent cette exposition et son superbe catalogue, une diversité tous azimuts, dans la forme comme dans les thèmes. Le portrait se renouvelle complètement, on cadre serré (Annelise Kretschmer), on se met à la couleur (Gisèle Freund et ses célèbres portraits d’écrivains) et on s’interroge beaucoup sur la représentation à travers l’autoportrait : Ergy Landau se met en scène en pleine séance, Claude Cahun bâtit toute son oeuvre autour de l’autotravestissement, Ilse Bing ou Germaine Krull se montrent (se cachent) avec leur appareil photo.
Ces dames explorent aussi le nu, d’autant qu’elles trouvent en Assia un modèle à la liberté et la silhouette conforme aux nouveaux canons en vigueur (ci-dessous, photographiée par Dora Maar) et que le tabou de la nudité tombe petit à petit sous l’impulsion de la modernité. Nora Dumas choisi la contre-plongée en extérieur d’une Assia ruisselante, Ergy Landau sculpte son corps avec la lumière sur un fond noir.
Quant à Laure Albin Guillot, seule dans cette exposition à photographier également le corps masculin, elle dénature profondément l’héritage du picturalisme par ses cadrages et sa technique pointue. C’est certainement la photographe la plus polyvalente, explorant comme une Florence Henri la nature morte dans des travaux publicitaires, mais surtout se concentrant sur des photographies de préparations microscopiques que son mari chercheur observe. Elle en tire une matière graphique à l’incomparable richesse, encore accentuée par la beauté des émulsions et des supports qu’elle expérimente. C’est aussi une des rares à posséder un studio, très bourgeois, pour y réaliser ses nombreux portraits de commande.
La plupart, par choix ou manque de moyens, se débrouillent dans leurs appartements ou travaillent en extérieur et utilisent les nouveaux appareils de petit format synonymes de liberté de mouvement. Elles apprennent en pratiquant, s’entraident. Ainsi, Lisette Model, qui fera une brillante oeuvre de photo-journalisme, sera initiée par Rogi André et n’oubliera jamais son conseil « Ne photographie jamais quelque chose qui ne t’intéresse pas passionnément. » Elle se dirigera vers une photographie à caractère social avec un oeil très critique, tout comme Germaine Krull. Ré Soupault suivra les mouvements du Front populaire, Gerda Taro s’engagera photographiquement avec son fiancé Robert Capa aux côtés des républicains espagnols. Elle laissera sa vie en Espagne, écrasée par un char.
C’est ainsi que toutes ces femmes dans leur diversité citoyenne et artistique à égalité avec les hommes pour la première fois dans l’histoire de l’art participeront à l’élaboration d’un cadre visuel encore en vigueur aujourd’hui.
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Christian Bouqueret, Les Femmes photographes de la Nouvelle Vision en France, 1920-1940 (Editions Marval)
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