Le Californien signe une lettre aux accents pop superbement ciselés, à retrouver d’urgence sur scène.
Il y a bientôt cinquante ans, un autre Cohen, l’immense Leonard, concluait l’une de ses plus belles chansons (Famous Blue Raincoat) à la manière d’une lettre : “Sincerely L. Cohen”. C’est aujourd’hui Chris Cohen qui nous fait le cadeau d’une confession, avec ce troisième album simplement siglé de son nom.
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Pourtant, l’homme n’a pas pour habitude d’être seul au centre de l’attention. Et s’il a signé deux excellents disques de pop en chambre, c’est au chevet d’autres singularités (Deerhoof, The Curtains ou Ariel Pink) qu’on a surtout pu le croiser, sans oublier ses talents de producteur (Weyes Blood, Marietta).
Une réponse au “Carrie & Lowell” (2015) de Sufjan Stevens
Sur cette troisième missive, il met en musique son propre pedigree, comme une réponse au Carrie & Lowell (2015) de Sufjan Stevens, nourrissant ses compositions de sentiments ambivalents envers son démissionnaire géniteur – Kip Cohen, qui, pour la petite histoire, fut le signataire de Billy Joel chez Columbia – pour dire subtilement comment un être censé compter parmi nos plus proches peut apparaître comme étranger.
Musicalement, l’art du Californien, sur un superbe Edit Out notamment, a ceci de commun avec la grande chanson mélancolique qu’il s’acoquine avec la rumba et s’enrhume d’un chaud-froid : chanson-grog autant que chanson-Mai Tai, avec ce qu’il faut d’acidité dans le cocktail pour ne pas se laisser alanguir. Ailleurs sont invoquées des racines folk au sens le plus terrien : derrière Joan Baez et Pete Seeger, Chris Cohen reprend à son tour et à son compte un House Carpenter aux mains calleuses.
Rugosité épisodique sans cesse apaisée par son chant discrètement filtré, nimbé de cette délicatesse qu’on trouvait chez The House Of Love dans la voix douce-amère de Guy Chadwick. Souvent, ce baume nous rappelle que le réconfort n’est pas le refoulement de la douleur – ainsi s’invite un souffle inquiet, comme dans le saxophone de The Link. Un psychédélisme homéopathique, diffus, habille des chansons aux textes parfois nourris de plumes amies.
Accueillir les mots des autres dans un album aussi personnel : il faut saluer la beauté du geste, autant que celle des arrangements, d’une rare finesse. Et aussi prêter la plus attentive des oreilles aux variations rythmiques comme au traitement apporté au moindre frémissement des claviers impressionnistes, à l’enveloppe qui entoure ici chaque son. Car cette enveloppe contient le genre de lettre qu’on garde précieusement, qu’on ressort du tiroir en quête d’une qualité particulière de mélancolie.
Album Chris Cohen (Captured Tracks/Differ-Ant)
Concert Le 16 mai à Roubaix, le 17 mai à Paris (Trabendo), le 23 mai à Joué-lès-Tours
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