“Loggerhead” est trempé dans l’acide de l’époque, à l’intersection du hardcore et d’ambiances plus intimes.
“On est tous littéralement nés dans un tourbus”, déclare Miles Romans-Hopcraft dans la pénombre d’une loge enfumée quelques heures avant de monter sur scène. La pièce ressemble à un repaire de contrebandiers, et les types qui s’y trouvent évoquent ces jazzmen décrits par le sociologue Howard Becker dans son ouvrage de référence, Outsiders (1963).
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Pour la première fois, une enquête de terrain s’intéressait au mode de vie à la marge des musiciens de jazz, étiquetés “déviants” par les entrepreneurs de morale, notamment à cause de leur tendance à fumer de la marijuana. Doit-on l’écrire ici ?, le pétard qui tourne alors nous a placé en orbite autour de Pluton.
Un gosse flingué au nu metal
Le quatuor qui nous fait face ne vient pas de si loin. C’est à Brixton, quartier du sud de Londres, que Miles, issu d’une famille de musiciens (vous connaissez son frère Ben, croisé chez Childhood, Insecure Men ou Warmduscher), fait ses armes. Le jazz, l’afrobeat, ou Slipknot, découvert à l’aune d’une jeunesse passée au skatepark, font de la tête pensante de Wu-Lu un carrefour d’influences. Sur scène, c’est la formule Bad Brains qui emporte dans une ambiance à la limite de l’insurrection grunge.
Si les errances hip-hop californiennes de Ginga (2015), un premier album désormais enfoui dans la mémoire de Miles, se situent aux antipodes du spectacle cataclysmique qui nous est offert ce soir-là, les dernières saillies de Wu-Lu, aux côtés de la rappeuse britannique Lex Amor sur le single South, avaient de quoi laisser penser que Miles Romans-Hopcraft s’apprêtait à marcher dans les pas de Rage Against the Machine.
Une capacité à capter l’ampleur des formes d’expression d’aujourd’hui
Pas étonnant qu’un gosse flingué au nu metal (Korn, Deftones) s’engouffre dans cette voie, d’autant que l’époque semble propice à ce genre d’embardée, si l’on en croit le succès (tardif) des Américains de Turnstile et l’émergence, outre-Manche, de groupes tels que Bob Vylan, duo fusionnant grime et hardcore dans un geste d’une violence aussi radicale que salvatrice.
Mais là où Wu-Lu se démarque avec ce Loggerhead fait de tensions larvées et d’explosions soudaines, c’est dans sa capacité à capter l’ampleur des formes d’expression d’aujourd’hui : atmosphères déclinantes et rythmes plombés comme chez Space Afrika ; guitares noisy et mélodies sabotées comme chez Mica Levi ; poésie politique stressée, marmonnée avant d’être recrachée. On voudrait peindre un tableau témoignant du bordel et des combats de l’époque qu’on ne s’y prendrait pas autrement.
Loggerhead (Warp/Kuroneko). Sortie le 8 juillet.
{"type":"Banniere-Basse"}