Depuis que leur premier album, Exit planet dust, a défiguré la techno anglaise et inventé la fusion sans sueur, les Chemical Brothers sont devenus une propriété publique : pillée et vénérée de l’underground au grand public, d’Oasis à U2.
A l’heure du savant et hédoniste Dig your own hole, les faux frères Tom Rowlands et Ed Simons se souviennent comment deux étudiants en histoire médiévale devinrent, par la grâce de Manchester, les médiateurs des accords de paix entre rock et techno.
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A peine entrés dans Dig your own hole, second album des Chemical Brothers, on retrouve déjà intact l’intérieur si atypique des frangins chimiques : la voix de Schooly D pour l’obsession hip-hop, la morgue et les guitares maltraitées pour une étrange fidélité au rock, les sirènes et les boucles hypnotiques par loyauté envers le dance-floor, les bombardements rythmiques par pure jouissance parce qu’on est chez les Chemical Brothers et que ce blitzkrieg de beat-boxes hystériques est le sceau même du duo. Creuse ton propre trou, intime le titre. Ce trou, les Chemical Brothers l’ont déjà largement creusé, à la boîte à rythmes : le Chemical Beat est désormais un monument historique, pour lequel on fait la queue. Et pourtant, ce trou aurait pu être le piège d’un groupe incapable de s’extraire de ses obsessions après le fondamental Exit planet dust. Toute la techno anglaise en attendant les aftershocks que ne manquera pas de générer aux States leur récente invasion américaine a voulu visiter la niche unique des Chemical Brothers. D’où la surprise de la retrouver à ce point intacte. Car, pour avoir vu le mal fait à Portishead par les hordes de visiteurs sans scrupules, par les pilleurs et les vandales, on craignait le même effet d’épuisement, de piétinement du son si personnel de Tom Rowlands et Ed Simons. Un son sans la moindre prétention, totalement casual comme on le dit des vêtements Umbro, choses informes et pourtant confortables.
Quand le groupe avait débarqué avec un premier maxi intitulé Song to the siren, on avait admiré l’érudition du duo : enfin un groupe de ruffians techno osait se souvenir de la merveilleuse chanson de Tim Buckley. On se mettait, bien entendu, le doigt dans l’œil. Song to the siren n’était pas un hommage au paternel Buckley, mais aux sirènes : de police, de pompiers, celles qui apportent depuis leur petite terreur à chaque chanson des Chemical Brothers.
Ne jamais, donc, chercher de second degré chez les Chemical Brothers, groupe fonctionnel et fier de l’être. Car si DJ Cam ou DJ Shadow excellent dans une musique abstraite, les Chemical Brothers, eux, ont donné à la musique concrète un sens nouveau et cocasse. C’est précisément pour cette raison cette spontanéité, ce laisser-aller, cette absence de réflexion qu’on redoutait l’acharnement des Chemical Brothers en studio, où ils passèrent plus d’un an à réaliser ce second album. On les imaginait s’acharnant, les ambitions dans le rouge, à produire un concept-album qui laisserait ses marques dans l’histoire d’une pop-music qu’ils connaissent de trop près pour ne pas avoir, parfois, envie de la prendre au bras de fer. On a connu d’autres instinctifs fascinants se révéler de bien piètres cérébraux. Et l’on craignait de voir les Chemical Brothers rechercher une dérisoire crédibilité, faire des complexes Mo’Wax, des angoisses Tricky.
Qu’on se rassure : les Chemical Brothers sont toujours aussi génialement bêtes. Comme chou, sur un It doesn’t matter qui provoque irrémédiablement le même sourire, béat et nigaud, que le Da funk de Daft Punk auquel il ressemble comme deux gouttes d’E. Mais là où le duo parisien ne jouait, sur son album, que sur un seul tableau récrire Pop corn, mais avec un four à micro-ondes , les Chemical Brothers osent ici un folk complètement détraqué en la charmante compagnie de Beth Orton (Where do I begin’), là d’orgasmiques agressions soniques (le magistral Dig your own hole ou le guerrier Setting sun relecture à peine masquée de deux merveilles du psychédélisme énervé : Tomorrow never knows des Beatles et Baby’s on fire de Brian Eno.
Ce qui rend ce second album si soufflant est cette façon de revisiter, sans s’en rendre compte, trente années de musiques chercheuses et aujourd’hui tombées dans le domaine public (Can, Eno, Parliament, Silver Apples, Mantronix, Luigi Russolo), avec une insolence de cancres qui courent dans les couloirs du vénérable musée et pissent sur ses murs, dessinent des moustaches à Kraftwerk, une bite dans l’oreille de Public Enemy, invitant une chanteuse folk folasse ou les arrangements psychia-déliques de Mercury Rev à leurs sauvageries. Un éclectisme, une fougue, un goût pour l’incongru ces bruitages comiques et cosmiques dans tous les coins , une vigueur, une joie et une liberté de ton que le rock anglais actuel vieux curé de campagne aux idées desséchées ferait bien de prendre comme exemple. Car s’il y a de l’histoire plein Dig your own hole, on n’y sent pas la moindre trace de cette poussière qui rend Mansun, Kula Shaker ou Cast si pénibles pour les asthmatiques des oreilles trop de souffle pour que tout cela se dépose dans les recoins de la cervelle. On plaint ceux qui, au nom d’un monolithisme bien franchouillard qui voudrait qu’on ne puisse décemment pas aimer à la fois le nouveau Nick Cave et les beats ivres des Chemical Brothers, le fromage et le dessert, le cul et la chemise , bouderaient cette orgie étourdissante.
Comment expliquez-vous que les Chemical Brothers aient trouvé un tel écho chez les fans de rock ?
Tom Rowlands On ne peut pas échapper à ses origines. Quand nous sommes dans un club, derrière les platines, nous passons toutes sortes de musiques. Il n’a jamais été question de se cantonner à un style, mais au contraire de réunir des musiques qui ne se fréquentaient jamais.
Ed Simons Notre musique se situe dans une lignée, elle n’est pas surgie de nulle part. Nous utilisons de vraies batteries, des guitares, notre son est beaucoup plus organique que celui des autres groupes techno. Eux se sentent obligés de suivre des diktats, des règles strictes : leur musique est donc rigide et formelle. Notre techno ne s’est pas uniquement nourrie de techno, elle est un collage de vieilles musiques : normal qu’un fan de rock s’y retrouve. Ça finit pourtant par avoir un côté perturbant. Car nous sommes là avant tout pour alimenter le dance-floor ça me dérange de savoir que des gens n’ont écouté nos disques que chez eux.
Vous en faites des complexes ?
Tom Nous voulons nous permettre de remixer aussi bien un groupe de rock célèbre comme les Manic Street Preachers qu’un artiste techno underground comme Dave Clark. Car travailler pour eux nous permet de nourrir notre musique de ces deux extrêmes. Ne jamais oublier le manifeste originel du hip-hop : piller aussi bien le rock que le funk. On porte ce vieux flambeau en restant à jamais fidèles à cette philosophie. Mais à côté de ça, j’admire les puristes, leur obstination à régénérer un type très particulier de musique. Notre chance, c’est d’avoir un pied dans l’underground parce que nous sommes DJ’s dans les clubs et l’autre dans le grand public, parce que nous sortons également de vrais albums.
Comment réagissez-vous quand des artistes installés tels que Bowie ou U2 vous citent en exemple ?
Tom (sourire gêné)… La vraie joie, c’est d’être un des groupes préférés du chanteur de ZZ Top. Ça, c’est vraiment la consécration. Quand nous étions dans notre studio, en train d’enregistrer Exit planet dust, on ne s’imaginait pas une seconde que notre musique allait provoquer une telle réaction. Tout ce qu’on savait, c’était qu’il n’existait pas encore un album de techno digne de ce nom, possédant une cohérence. Tout le monde se concentrait sur les singles, les albums étant les parents pauvres. Alors on a vraiment fait l’effort de penser en termes d’album, d’y développer un état d’esprit, quelque chose de ludique, très bande dessinée.
Ed A l’époque, cette utilisation des breakbeats était neuve, inédite. Avant d’être pillée par tout le monde, cette idée de rythme n’appartenait qu’aux Chemical Brothers. On ne voulait pas rester cloîtrés dans l’underground, comme ces DJ’s qui ne passent que des disques tirés à dix exemplaires le même snobisme que dans le rock indé.
Vous êtes originaires du sud de l’Angleterre mais vous vous êtes rencontrés à Manchester. La musique était-elle ce qui vous a fait déménager dans le Nord ?
Tom La principale motivation, c’était de quitter la maison, quelle que soit la destination. L’été où j’ai décroché mon bac, je suis monté à l’Haçienda de Manchester. Je me suis dit que c’était une bonne ville où étudier. Surtout que j’étais, comme Ed, fasciné par les Smiths et New Order. J’y ai débarqué en 89 et soudain, tout a explosé. Je passais ma vie chez Eastern Bloc, l’une des meilleures boutiques de disques que je connaisse. C’est grâce à elle que j’ai rencontré tous ces gens impliqués dans la musique. A Manchester, nous avons été immédiatement adoptés. C’était comme un petit village, on reconnaissait dans les clubs les fidèles du magasin. Pourtant, au début, j’étais sacrément impressionné : c’était si différent de ma campagne, si excitant. Je débarquais d’Oxford, je ne connaissais personne, je n’avais encore jamais envisagé de faire le DJ. Mais j’achetais tellement de disques que j’ai fini par me dire que ce ne serait peut-être pas une mauvaise idée de les programmer (rires)… Des groupes comme New Order m’ont servi de passerelle pour aller d’une culture strictement rock au hip-hop. Et quand j’ai découvert la techno, je n’étais pas dépaysé, il n’y a pas eu de révélation : je connaissais déjà ces sonorités grâce à Cabaret Voltaire.
Etes-vous nostalgiques de cet apprentissage ?
Ed Ce furent des années exceptionnelles. On passait notre vie en club, notamment à l’Haçienda… Ce qui ne nous a pas empêchés de mener à bien nos études : on a tous les deux décroché nos diplômes en histoire médiévale, avec mention. Et ça n’a jamais été une corvée nous adorions ces études, notamment le fait de passer nos journées à rêvasser sur ces vieux livres à la bibliothèque.
Tom Aucun de nos collègues d’études ne savait où nous passions nos nuits. Ils se demandaient juste pourquoi ils ne nous voyaient jamais au café des étudiants le vendredi soir. A l’époque, je jouais déjà dans un groupe balearic, Ariel. Un ami commun, qui ne portait jamais de chaussettes, m’a présenté Ed. Nous avons immédiatement accroché : nous manquions tous les deux de repères loin de nos familles et nous avions en commun une passion de malades pour la musique. Notre amitié n’a jamais souffert de tout ce qui a pu nous arriver par la suite. Nous continuons de passer notre vie ensemble, sans engueulades majeures.
Comment avez-vous commencé à composer à deux ?
Tom Pas du tout comme un groupe pop traditionnel, qui possède généralement un compositeur et des exécutants. Personne, chez nous, ne s’enferme dans un manoir du pays de Galles avec une guitare sèche pour composer les chansons avant de les apprendre aux autres. La guitare n’a jamais donné corps à notre musique, elle n’en est qu’un composant. Chez nous, tout se passe en studio et en duo. Nous y allons chaque jour et essayons en permanence de nouvelles idées de rythmes, de boucles. Et nous parlons de musique. Tout le temps. A part ça, nous n’avons pas grand-chose à dire. Depuis que nous sommes gosses, nous lisons le NME. Et aujourd’hui, nous connaissons personnellement la plupart des gens dont on parle. Curieusement, nous demeurons aussi fans, aussi fascinés. Je me souviens d’être allé, alors que j’étais étudiant, aux concerts de Primal Scream sur la tournée Screamadelica. Et deux ans après, nous étions des DJ’s lors de leurs concerts.
Avez-vous l’impression d’être parfois freinés, restreints par l’autre ?
Ed Parfois, je ne comprends pas du tout où il veut en venir. Alors je le laisse pousser sa démonstration jusqu’au bout, je le laisse triompher ou se planter sans intervenir. Il faut aller au bout de ses idées ou alors on crève de frustration. Nous devons revendiquer, l’un et l’autre, tout ce qui sort sous le nom Chemical Brothers.
Tom Il y a fatalement des compromis. Si Ed n’est pas d’accord avec une de mes idées, j’ai immédiatement tendance à penser qu’elle est mauvaise et je laisse alors couler. Je ne suis encore jamais rentré à la maison en chialant. C’est comme une équipe de football, nous avons nos automatismes : nous formons une jolie paire de buteurs.
Ed Tous les groupes avec lesquels nous avons collaboré étaient surpris de voir à quel point c’était facile. Noel Gallagher ou Tim Burgess, des Charlatans, se sont vraiment amusés en enregistrant avec nous l’un Setting sun, l’autre Life is sweet. Nous sommes ravis d’avoir des invités, ils nous sortent de notre routine. Et j’ai l’impression qu’à notre façon, nous les extirpons également de leur petit train-train, nous leur offrons des vacances. Ils retrouvent la pureté : arriver en studio, chanter et repartir, sans se soucier du reste, de la promotion, de l’argent. Mais il doit y avoir une règle d’or : être fans des gens avec qui nous collaborons, pour qui nous remixons. Car les offres arrivent chaque jour. Hors de question que quelqu’un se paie une crédibilité sur notre dos. Par exemple, nous devions travailler avec Metallica, mais ça s’est mal passé. Ce que nous adorerions, c’est enregistrer un truc vraiment bien en rap. Le fait d’avoir collaboré avec Method Man, du Wu-Tang Clan, donne envie d’aller plus loin.
Les puristes vous ont beaucoup reproché, dans un premier temps, d’utiliser des voix, puis de collaborer avec le leader d’Oasis.
Tom Il faudrait être malade pour refuser de collaborer avec l’un des meilleurs songwriters de l’époque. Et puis nous avons trop écouté de grandes pop-songs pour, aujourd’hui, snober le chant. Car contrairement à beaucoup de groupes techno, nous n’utilisons pas les voix de nos invités comme des instruments, mais réellement pour chanter.
Ce numéro 1 que vous avez décroché avec Setting sun a-t-il été une chance ou une malédiction ?
Tom Je connais peu de disques aussi extrêmes qui soient arrivés à la première place des charts. Ça signifiait avant tout qu’on pouvait avoir du succès en étant nous-mêmes. Cela aurait été une malédiction si la chanson n’avait représenté qu’une facette commerciale du groupe, si elle avait trompé les gens sur la marchandise.
Underworld, Leftfield, Prodigy, The Chemical Brothers ou Orbital semblent former un bloc, une génération. Vous sentez-vous des affinités ?
Ed Il y a les mêmes parcours, les mêmes évolutions chez nous, Orbital ou Underworld. Nous avons tous les trois commencé par être la propriété privée des DJ’s de clubs, avant d’accéder à un autre monde, celui de la pop-music. Nous nous entendons très bien, un peu comme de vieux compagnons de golf qui s’épient les uns les autres, jalousent leurs bons coups, envient leurs nouveaux fers. Mais à la fin, on se marre en comptant les points. J’ai toujours hâte de les observer live, pour voir où ils en sont. A une époque, nous avions un studio dans le même complexe d’enregistrement qu’Orbital. En passant devant leur pièce, on collait toujours l’oreille contre la porte pour suivre leurs évolutions.
Tom L’émergence de cette scène vient du fait que, soudain, l’industrie du disque s’est mise à prendre cette musique au sérieux. En 89, 808 State avait décroché un tube avec Pacific. Leur maison de disques les a forcés à enregistrer un album en une semaine, pour profiter de l’engouement. Ça n’arriverait plus aujourd’hui : nous bénéficions des mêmes budgets que les groupes de rock, nos interlocuteurs parlent la même langue que nous. Pendant des années, ils ont tous cru que ça ne durerait pas, que ça ne valait pas le coup d’investir, de financer des albums. Même des radios typiquement rock, comme Kroq à Los Angeles, ont été obligées de s’adapter. Les gens ont compris, avec des années de retard, que les gamins voulaient se remuer les fesses et danser.
Après le triomphe inattendu d’Exit planet dust, avez-vous ressenti la pression en enregistrant Dig your own hole ?
Ed Il a été difficile d’écrire des chansons qui nous plaisaient autant que celles du premier album. J’étais certain que nous n’y arriverions jamais, que nous perdions notre temps. J’avais peur de la stagnation, il y a eu de gros moments de doute, de découragement. Mais petit à petit, grâce à des morceaux comme The Private psychadelic reel, j’ai retrouvé l’euphorie.
Tom Nous avons longtemps été enfermés tous les deux en studio, sans aucun avis extérieur. On finit par devenir un peu possédés. Mais j’aime cette quête, avec toute la nervosité, la maniaquerie et la fatigue qu’elle nécessite. C’est une maladie : il n’y a pas une seconde de la journée où je ne pense pas à la musique. Ce qui nous a sauvés, c’est que nous avons réussi à préserver nos week-ends. Nous passions parfois une semaine à réfléchir au bon son de cymbale et puis le samedi soir, nous partions en club avec nos valises de disques, nous nous amusions à faire danser les gens. Ça nous a permis de tout relativiser : on testait en direct les nouvelles chansons et on se rendait compte qu’il ne fallait pas se ronger à ce point les sangs. De toute façon, je n’ai toujours conçu la musique que comme ça : obsessivement. Gamin, déjà, je m’enfermais dans ma chambre avec ma guitare et ma boîte à rythmes.
Qu’est-ce qui a déclenché cette obsession pour la musique ?
Ed J’ai été, très jeune, abonné au NME et au Melody Maker. Ils arrivaient très tôt le mercredi matin et je les dévorais avant d’aller à l’école. A l’époque, j’étais obsédé par les Smiths : en concert, j’ai été retourné par leur énergie, la dévotion dont ils étaient l’objet. Mais je ne suivais pas leurs diktats à la lettre : j’allais aussi dans des clubs hip-hop. J’adorais regarder les gens danser. Beaucoup de nos obsessions tiennent à la lettre B : Beatles, Beach Boys et Beastie Boys.
Tom Je lisais tout. C’est comme ça que je suis tombé sur la chronique du premier single de Renegade Soundwave, Kray twins : une révélation. Pour la première fois, des Anglais osaient faire ce que j’adorais tant chez Public Enemy ou Schooly D : sampler, coller. Mais avec des références à la vie britannique qui me parlaient directement. C’est Andy Weatherall qui, plus tard, nous a fait tomber amoureux du travail de DJ.
Pensez-vous que Portishead a, inconsciemment, fait beaucoup de mal à la musique anglaise ?
Ed Ils n’y sont pour rien, mais Portishead a accouché de centaines de groupes terriblement ennuyeux car ça paraissait facile de faire son petit Portishead. Alors tout le monde s’y est mis. Chacun avec sa chanteuse, ses sons mélancoliques… Je suis incapable de me souvenir des paroles d’une seule de ces chansons, elles ne sont qu’habillage. Portishead avait des chansons captivantes, très pop.
Tom Quand j’ai entendu les premières sorties du label Mo’Wax, des choses comme DJ Shadow, j’étais surexcité. Ce côté abstrait ouvrait de nouvelles perspectives. Mais très vite, c’est devenu une facilité alors que pour moi, l’écriture est fondamentale je viens de la pop-music. Tricky est à part. Il évolue dans son propre univers, prend des risques. Mais il ne faut pas oublier que nous sommes avant tout des DJ’s et que la musique a des obligations : faire danser.
La culture club anglaise, avec son côté « mec en goguette », finit-elle par être lassante ?
Ed Je déteste que notre musique soit considérée comme la bande-son idéale pour que les buveurs de bière sautent dans tous les sens. Les gens refusent de voir tout l’artisanat qu’il y a derrière nos disques, seule la drum’n’bass semble être prise au sérieux… Je ne recherche pas la crédibilité artistique, mais quand même, je voudrais bien ne pas être seulement associé aux hooligans. Un magazine comme Loaded est mon idée de l’horreur. Et pourtant, Dieu sait qu’ils aimeraient nous interviewer.
Comment vivez-vous l’obsession de l’Angleterre pour ses sixties et ses seventies, avec des groupes aussi conservateurs que Mansun ou Kula Shaker ?
Ed Comme Kula Shaker, nous sommes passionnés par ces groupes psychédéliques de la fin des années 60. Mais là où nous n’en gardons que l’esprit, adapté à la technologie moderne, eux se contentent de jouer comme à l’époque. Ils n’ont aucun goût pour l’aventure, pour le risque, ils sont frileux et rétro.
Tom D’un autre côté, le risque pour le risque n’est pas forcément une solution. Si on adore les albums pop de Brian Eno Here come the warm jets ou My life in the bush of ghosts , je ne supporte pas tout ce rock influencé par les disques ambient d’Eno. Je trouve Tortoise, par exemple, très surestimé.
Aujourd’hui, quel est votre attachement à votre légendaire club londonien, The Heavenly Social ?
Ed Je m’en suis un peu détaché, mais j’ai beaucoup de tendresse pour ce que nous avons, tous ensemble, réussi à monter. C’était presque un caprice : monter notre propre petit club, où tous les gens seraient amis, auraient l’impression d’être chez eux. Et la musique était une bouffée d’air frais. Pour la première fois depuis des années, un club londonien osait mélanger les genres… Mais nous avons fini par ressentir une routine à faire la même chose chaque samedi soir. Il n’y avait plus de risque, plus d’aventure. Les gens faisaient la queue pendant des heures, c’était presque devenu un lieu touristique. Pourtant, au début, c’était à chaque fois une fête de famille.
Une nouvelle moralité est en train de sévir dans la musique anglaise avec des groupes qui, pour la première fois, accusent l’ecstasy.
Ed L’hypocrisie n’a que trop duré, tout le monde sait pertinemment ce qui se passe. Comme l’héroïne, comme le LSD, l’ecstasy a joué un rôle important dans la naissance d’une nouvelle musique. Actuellement, c’est la cocaïne qui fait des ravages dans les clubs anglais. Un copain à nous, qui adorait les soirées trance, n’arrête pas de se plaindre. Avant, tout le monde s’aimait, s’embrassait. Aujourd’hui, ils se détestent, passent la nuit à se tabasser. Si Oasis réussit à faire chanter 125 000 personnes en chœur avec une chanson sur la cocaïne, ça doit être un signe.
Chemical Brothers, Dig your own hole (Freestyle Dust/Labels)
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