Pour la première fois, Charlotte Gainsbourg est montée sur scène. Pour la première fois aussi, elle a repris des chansons de son père. Rencontre à New York où elle termine une mini-tournée, prélude à une série de concerts qu’elle donnera dans les festivals cet été.
Vos enfants écoutent les disques de votre père ?
Oui, ils sont très curieux de sa musique. Parfois, ils l’écoutent aussi pour voir si ça va me faire quelque chose. Ils le foutent à fond dans la maison. Mon fils a eu une période comme ça. Il était ému par mimétisme, parce qu’il savait ce que ça provoquait chez moi.
Pour quelqu’un de timide, vous vous mettez dans des situations complexes : à New York, votre mère, votre mari et vos enfants sont dans la salle, vous reprenez votre père…
Quand j’ai commencé seule, à Vancouver, ça allait plutôt bien. Mais quand Yvan, mes deux enfants et ma mère ont débarqué à Montréal, j’ai complètement perdu les pédales. Je n’avais qu’une chose en tête : ma mère. Pendant tout le concert, je ne pensais qu’à elle, à ne pas la décevoir. C’est une des personnes qui comptent le plus pour moi. Elle a beau être bienveillante, ça ne change rien. Pour le concert de New York, je lui avais demandé de ne pas venir, en lui expliquant que sa présence me terrifiait. Elle m’a dit : “OK, j’irai prendre un café avec ma petite-fille.” J’imaginais bien qu’elle n’en ferait qu’à sa tête… Qu’Yvan soit dans la salle est également intimidant. Mais je me rends compte que ce qui me stimule, c’est d’aller vers des choses que je ne connais pas, d’apprendre. Et puis quand même de m’amuser.
Les concerts de votre mère étaient-ils des modèles pour vous ?
Sur scène, elle est dans l’émotion, dans un rapport direct avec le public. Je l’ai suffisamment vue pour comprendre ce qui peut émouvoir les gens : elle instaure une proximité. Je ne peux pas faire cela. J’ai envie de me concentrer sur la musique. J’ai énormément de plaisir à m’oublier, que ce soit sur scène, dans un studio ou sur un plateau ciné. Ce sont des métiers où l’on est sans arrêt en butte au jugement, au regard, à l’analyse. Il faut essayer de mettre ça de côté.
Quels souvenirs de scène gardez-vous de l’époque où vous étiez enfant ?
Très jeune, j’ai vu mon père au Palace. J’en ai un souvenir extrêmement fort, pas tant du concert que des musiciens : je les adorais. C’est un truc d’enfant. Je pense que c’est pareil pour les miens : ils s’en fichent de me voir sur scène, ce qui leur plaît, c’est d’être là. J’ai aussi des souvenirs très forts de mon père au Zénith et de ma mère au Bataclan. C’est en partie pour ça que je suis aussi intimidée. J’ai également des souvenirs plus douloureux de ma mère au Casino de Paris. Mon père venait de mourir. Sinon, enfant, les scènes marquantes c’était Coluche, Zouk et Raymond Devos. On allait souvent voir les comiques. Adulte, j’ai été impressionnée par des artistes tels que Radiohead : ça a stoppé net mon envie de monter sur scène au moment de mon précédent album. Je venais de voir Radiohead à Rock en Seine, j’avais enchaîné avec Fiona Apple et Camille. Je me suis dit : “J’arrête tout de suite.”
Vous avez dit récemment : “J’ai ce besoin de me rabaisser, pour que naisse l’envie d’essayer.”
C’est vrai, je suis souvent négative. C’est usant pour les gens qui m’entourent. Je sors d’une scène, je pense tout de suite à ce que j’ai mal fait, aux mots que j’ai oubliés. Mais je crois que c’est aussi de la pudeur. C’est plus facile de dire ce qui déconne et ce que je n’aime pas chez moi plutôt que de voir les choses positives.
C’est un moteur aussi ?
Oui, l’envie d’essayer était là, secrète. Il y avait tellement de choses qui me barraient la route que je croyais que je n’aurais jamais de plaisir. C’est ça l’important : il ne faut pas le faire si on n’a pas de plaisir. Finalement, j’en ai éprouvé énormément. Et ça commence à me manquer !
Vous avez aimé la vie en tournée ?
C’est très étrange : on est à la fois seul et sans arrêt les uns sur les autres. On tente constamment d’attraper des moments de solitude. J’étais en tour bus, une espèce de cercueil, on tire un rideau. J’ai adoré ça, ça vaut vraiment le coup ! Je suis quelqu’un de très solitaire. Etre tout à coup projetée dans cette vie nomade, sans ma famille, ce n’était pas facile. L’angoisse de la scène était difficile à gérer. Tout se focalisait vers un seul point : le concert du soir. Je me demandais comment j’allais vivre avec cette peur constante. Et puis j’y suis arrivée. Mais j’ai maigri ! J’enchaînais les rituels, les superstitions, le maquillage, les vocalises. On est pris dans un scénario auquel il ne faut pas déroger. Le repos, les heures de sommeil. En fait, on est obsédé par soi-même ! Il faut que ça s’arrête à un moment. Mais c’était une aventure géniale.
Concerts Le 16 juin à Paris (Cigale), le 19 à Bruxelles, le 20 à Lille, le 24 à Lyon (Nuits de Fourvière), le 2 juillet aux Eurockéennes de Belfort, le 4 à Montreux (Jazz Festival), les 8 et 9 à Paris (Cigale), le 10 à Liège (Belgique), le 13 à Carcassonne, le 15 à Benicàssim (Espagne), le 16 à La Rochelle (Francofolies)
Album IRM (Because), sorti en décembre 2009