Charlie Rich cachait une noirceur et une sensibilité d’écorché. Il vient de mourir sans dissiper pour autant un cruel malentendu.
Beauf, rockab préhistorique, crooner éc’urant, voilà généralement l’image qu’on a de Charlie Rich sous nos latitudes. C’est un cruel malentendu, mais finalement rien qu’un de plus dans une carrière déjà largement placée sous le signe de l’incompréhension et du gâchis. Quand il rentre chez Sun en 1957, tout le monde s’accorde à dire qu’il est le plus doué. Quarante ans plus tard, confirmation : par leur diversité, leur nette coloration jazz (sa passion et sa vocation initiales), parce qu’elles sont presque toutes des compositions originales, les faces qu’il grava pour le label ont au moins une qualité que d’autres plus célèbres n’ont pas : elles surprennent encore. Le Tim Hardin de Misty roses, c’est là qu’il prend sa source, dans la quinzaine de évanescents que deux ou trois concessions obligées au rockabilly n’arrivent pas à planquer. On a entendu cent fois tous les ingrédients, jazz, gospel, blues, country (un peu), mais rarement agencés avec autant de finesse et de personnalité. Une telle intelligence de l’héritage noir aurait dû le mener loin, mais de ses talents conjugués de pianiste-compositeur-chanteur, il était apparemment le seul à douter. Et il y a quelque chose de pathétique dans la docilité avec laquelle il se résigna à un destin que d’autres se chargèrent de lui tracer. En quête du succès que sa singularité lui interdisait, il dut changer trois fois de label (Groove, Smash, Hi), laissant partout des chefs-d’ uvre épars, No home, Let me go my merry way, avant d’atterrir chez Epie où, pris en charge par le regrettable Billy Sherrill, il décrocha dès 1973 uns série de hits country tous plus vomitifs les uns que les autres, incarnant jusqu’à la caricature tous les excès nashvilliens. Désormais privé de piano (un peu comme si on enlevait sa guitare à Neil Young), interdit de composition (mais autorisé à devenir alcoolique), voilà le plus noir des chanteurs blancs transformé en redneck ultime, triste histoire. Après ce long néant artistique et une sévère traversée du désert dans les années 80, il réémergea en 1992 avec le magnifique et très jazzy Pictures and paintings. Conçu avec l’aide du journaliste et fan Peter Guralnik, adoubé tant par la critique que par frange de l’intelligentsia indie/grunge (décrété disque de l’année par Dinosaur Jr), l’album donnait à entendre le vrai Charlie Rich, artiste moderne et très attachant, un des plus originaux de la musique américaine de l’ère pré-pop, un des plus mélancoliques aussi. Avec une conviction troublante, il y chantait Don’t put no headstone on my grave/Cause all my life I ve been a slave. Discret jusqu’au bout, il vient de mourir dans son sommeil, sans avoir pu poursuivre son tardif travail d’émancipation.
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