La musique de Charlemagne Palestine est hypnotique et exigeante. En concert, minimaliste, cette semaine à Paris.
Charlemagne Palestine : le nom sonne comme un défi, une juxtaposition inattendue, pleine de rebonds, de surprises et d’interrogations. Charlemagne, d’abord, Palestine, ensuite, comme pour former un hiatus, un anachronisme, en pied de nez irrévocable. Ce type-là, pourtant, n’a rien d’un petit rigolo, aux blagues de potache mal assurées, à la postérité de pacotille. Au contraire : né Charles Martin, à New York, en 1947, de parents juifs russes, Palestine a traversé le demi-siècle en passager clandestin, trouble-fête notoire, semant la pagaille à bord, grâce à sa musique et à ses performances, iconoclastes.
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Sommairement, la musique de Charlemagne Palestine pourrait être assimilée à celle des minimalistes primitifs : LaMonte Young et Terry Riley en tête de liste. Les marathons musicaux de Palestine sont en effet assez proches des longues plages minimales et électroniques de ces deux compositeurs, et surtout de certaines études sonores du premier : même sens de l’immobilisme glacé, des évolutions parcimonieuses, de la répétition et de la récurrence brandies en fin ultime. Chez l’un et l’autre, finalement, tout s’organise autour de l’absence : l’absence flagrante d’événements musicaux, de cassures explicites ou de renversements signifiants, mais aussi l’absence de confort. Ici et là, les paysages isolationnistes ainsi dessinés ne sont jamais de vulgaires cocons dans lesquels on se love simplement.
La musique de Charlemagne Palestine, surtout, est d’une exigence rare. Par-delà les motifs simplistes et les ondes sinusoïdales portées en parangons musicaux, se dessinent des champs virtuels, des espaces aux balises insoupçonnées : la musique, ici, naît d’elle-même, de sa propre récurrence, transformée peu à peu en occurrence séminale. D’abord froide et haletante, la musique de Palestine se métamorphose toujours en regain organique, magnifique.
Dans sa jeunesse, Charlemagne Palestine a été le compagnon d’armes de Mark Rothko et John Cage. Il a étudié sous l’égide de Pandit Pran Nath, gourou notoire de l’avant-garde new-yorkaise des années 60 et 70. Les premiers rares enregistrements de Palestine ont été édités à Paris et à New York dans les années 70, notamment par le label français Shandar, maison culte où l’on retrouvait Sun Ra, Albert Ayler, Stockhausen, Cecil Taylor, Dashiell Hedayat et d’autres encore.
Dans les années 80, Palestine a disparu de la circulation, après quelques performances notoires, dont une séance de masturbation à la Sonnabend Gallery de New York. Il y a quelques années, Sonic Youth l’a sorti de l’oubli en l’affichant en couverture de Sonic Death, magazine officiel du groupe. Peu à peu, les disques de Charlemagne ont commencé à proliférer. Rééditions des uvres épuisées et édition de nouveautés, tirées des archives du bonhomme mais aussi d’enregistrements récents, comme les deux CD édités par le label Algha Margen : Golden 1 (Aloy) et Golden 2 (Continuous Sound Forms), regroupent des uvres des années 60, réalisées en compagnie notamment de Tony Conrad. Karenina, double CD sorti récemment, en est un autre exemple : Palestine y entonne un air funèbre et hanté, s’accompagnant à l’harmonium indien. David Tibet, qui a édité ce disque sur son label Durtro, se rappelle de sa première rencontre avec Charlemagne Palestine : « Lors d’un concert, au Louvre je crois, où Charlemagne devait accompagner au piano deux films soviétiques muets… La musique de Charlemagne était phénoménale : l’un des concerts les plus physiques et les plus intenses que j’aie vus. Sa manière de mettre en perspective les scènes du film était fascinante… »
La légende de Charlemagne s’est ainsi construite, grâce à des concerts et des performances à l’exigence poussée : Palestine y invoque des esprits fous, en poussant des cris, en dansant tel un possédé, en courant à travers son audience, déployant sa collection d’ours en peluche. Ses disques aussi sont d’une exigence folle : de longues plages hypnotiques, faites d’orgues ou d’oscillateurs maladifs, jamais feutrés, jamais gras. Il faut se laisser submerger par ses compositions, qui remodèlent l’espace et la durée, arrêtent le temps, comme une horloge à la mécanique asséchée. Loin, finalement, d’être minimaliste, la musique de Charlemagne Palestine déborde d’émotions qui laissent pantois, hagard. Sa musique, toute en bourdonnements, en phrases répétées à l’infini, construit des ruches sonores où butinent des ondes et des notes fragiles, créant une vie insoupçonnée, mélancolique et f tale, ivre et magique.
www.ensba.fr Karenina (Durtro) : www.durtro.com Merci à David Tibet.
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CHARLEMAGNE PALESTINE avec Michael Snow, le 9 mars à 19 h, à l’ENSBA, Paris
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