En raison, notamment, de son premier couplet sur la fluidité.
C’est le morceau qui nous a accompagnés tout le week-end. En soirée, en matinée, en déjeuner. Partout, tout le temps. Déjà, parce qu’on avait épuisé Blonde, le dernier album de Frank Ocean, écouté et réécouté jusqu’à l’os en 2016. Ensuite, parce que Chanel, lâché lors de « Blonded », la seconde carte blanche offerte au Californien sur la radio d’Apple Beats1 vendredi 10 mars, est une belle réussite, à tous les niveaux.
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Un morceau liquide dans lequel on se laisse couler d’une traite, sans variation de température, d’une sensualité folle, comme la plupart des productions de Frank Ocean, petit prince d’un r’n’b smooth et embrumé renfermant des images de caresses nocturnes et de clubs moites.
« Je vois les deux côtés comme Chanel »
Mais si le rythme et la mélodie ont de quoi retourner, c’est le premier couplet de Chanel qui a particulièrement retenu l’attention des internautes, se retrouvant largement commenté sur ce bel internet :
« My guy pretty like a girl/And he got fight stories to tell/ I see both sides like Chanel. »
« Mon mec est beau comme une fille/Et il a des histoires de bagarre à raconter/Je vois les deux côtés comme Chanel. »
A première vue complètement cryptique, ce premier couplet exprime la dualité dont Frank Ocean a fait son mantra. Une dualité ouverte et non fermée, trahissant une fluidité aussi mélodique que politique. Ici, l’auteur de Channel Orange évoque les traits féminins et la virilité de son ami pour faire éclater les stéréotypes de genres, marteler la pluralité des individus. A l’image du logo de la marque Chanel, donc, composé de deux C entrelacés mais se tournant le dos, comme s’ils regardaient dans des directions opposés tout en étant étroitement liés.
Une référence aussi à Janus, Dieu de la mythologie romaine représenté sous la forme de deux visages reliés par la tête mais regardant dans des directions opposées, l’un vers le passé, l’autre vers le futur, et dès lors considéré comme le Dieu des recommencements, des transitions, du Temps.
Une ode à la bisexualité ?
Pour d’autres, Chanel est aussi et surtout une ode à la bisexualité, « les deux côtés », renvoyant à l’hétérosexualité et l’homosexualité. C’est ce qu’affirme une journaliste, elle-même bisexuelle, dans une tribune publiée sur le site de Teen Vogue :
« Chanel est affirmatif, fonctionne comme un rappel, sinon une leçon : je ne choisis pas de bord, aussi simplement que ça. C’est un Frank Ocean naturel, libéré des labels, gravant à l’aide d’un couteau à double tranchant un hymne bi, et le diffusant tranquillement encore et encore dans son émission de radio. Sans que cela soit compliqué, comme j’aurais espéré que cela l’ait toujours été; comme ça devrait toujours l’être. »
Sans s’être jamais défini comme bisexuel, Frank Ocean a toujours joué avec la dualité. L’été dernier, son album studio Blonde s’accompagnait d’un double 100% visuel : Endless. Cette fois-ci, il assortit Chanel d’une image représentant les paroles du single éclatées sur une page blanche, surmontée d’une photo de lui aussi coupée que dédoublée :
La fluidité pour horizon
En 2012, l’artiste révélait son homosexualité dans un texte publié sur son Tumblr. Il y racontait sa première romance à l’âge de 19 ans avec un ami masculin :
« Quand nous étions ensemble, le temps filait. Je passais la plupart de ces journées à le regarder, lui et son sourire. Nous partagions souvent notre sommeil. Au moment où j’ai réalisé que j’étais tombé amoureux, ce fut terrible. Sans espoir. Il n’y avait pas d’issue, pas de négociation possible avec les femmes avec lesquelles j’avais été, celles que j’aimais, et celles dont je pensais avoir été amoureux. »
Au lendemain de la tuerie qui avait fait 49 morts dans un club gay d’Orlando en juin 2016, Ocean signait là encore un beau texte qu’il adressait à ses « frères« :
« Beaucoup nous détestent et souhaiteraient que nous n’existions pas. Beaucoup sont gênés par le fait que nous voulions nous marier comme tout le monde, ou utiliser les toilettes appropriées, comme tout le monde. Beaucoup ne voient rien de mal à transmettre ces vieilles valeurs qui conduisent des milliers de jeunes à la dépression suicidaire chaque année. Nous exprimons donc la fierté et l’amour pour ce que nous sommes. Car qui le fera sinon pour être honnête? »
Dans une autre publication, cette fois-ci du magazine Boys Don’t Cry qui accompagnait Blonde à sa sortie, Frank Ocean revenait sur sa fascination pour les voitures, traditionnellement associées à une masculinité stéréotypée, et pourtant très présentes dans ses clips :
« Un jour, Raf Simons m’a dit que c’était un cliché, toute mon obsession des voitures. Peut-être que c’est lié à un fantasme profondément inconscient du garçon hétéro. Même si consciemment, je ne souhaite pas être hétéro – un petit penchant est bon. »
Et en effet, sur Blonde, Ocean parle de « bitch » sans préciser s’il s’agit de filles ou de mecs, refusant d’imposer une sexualité à son album, le laissant naviguer loin du manifeste politique et de la catégorisation facile, dans la plus grande flexibilité, insaisissable, tout en détails et subtilités.
De la même façon, Chanel restera comme l’un des grands singles de 2017, tant pour son sens de la mélodie fluide que pour sa capacité à refléter à l’aide de métaphores mystérieuses et d’images poétiques un zeitgeist aussi politique qu’artistique. Et comme pour bien nous le signifier, Ocean ne s’est pas privé pour diffuser 18 fois son single au cours de ses deux heures d’émission, entre du Thundercat, J Dilla, DJ Shadow, Whitney Houston, Todd Rundgren… et un remix de Chanel par A$AP Rocky.
New Music: Frank Ocean – Chanel (Remix) ft. @asvpxrocky https://t.co/eHGbDeBVep pic.twitter.com/TW7jw6gSCo
— A$AP MOB (@ASAPMOB) 12 mars 2017
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