L’Année du Brésil ne s’est pas achevée qu’un sentiment de saturation nous éloigne des derniers événements qui s’y rapportent. Toute apparition d’une nouvelle chanteuse brésilienne suscite déjà plus de méfiance que de curiosité. L’arrivée de mademoiselle Maria do Céu Whitaker Poças ? patronyme télescopique réduit à sa syllabe la plus musicale, CéU ? mériterait pourtant […]
L’Année du Brésil ne s’est pas achevée qu’un sentiment de saturation nous éloigne des derniers événements qui s’y rapportent. Toute apparition d’une nouvelle chanteuse brésilienne suscite déjà plus de méfiance que de curiosité. L’arrivée de mademoiselle Maria do Céu Whitaker Poças ? patronyme télescopique réduit à sa syllabe la plus musicale, CéU ? mériterait pourtant qu’on ne l’assimile pas sans prudence à l’écume tardive d’une vague sur le repli. Si elle rejoint Bebel Gilberto ou Cibelle dans un exercice équivalent de relecture au scanner electro de la musique afro-brésilienne, elle n’en relève pas moins d’autres défis.
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Bien née artistiquement ? son père est le violoniste Edgar Poças, familier des partitions de Villa-Lobos et du répertoire de Pixinguinha ?, cette beauté portant avec insolence la fleur de ses 20 ans montre un accomplissement musical que couronnent d’habitude les longues carrières bien remplies. Ce premier album lui fait ainsi dévider un vocabulaire aussi vaste que maîtrisé. Ave cruz la suggère en amazone sur une sorte de funk tropical moderniste très prisé à São Paulo, où elle vit et travaille ; tandis que Valsa pra biu roque la fait apparaître sous la prude lumière d’une chanson traditionnelle habillée de guitares classiques. Dans Veu da noite, elle mutine de la voix avec candeur et sensualité sur un registre jazzy aux tonalités souterraines. Et sur Malemolência, la voilà virevoltant tel un colibri entre les branches d’une luxuriante forêt où s’entremêlent cavaquinho (mandoline portugaise), cloche africaine agogo et scratches de DJ. Ailleurs, elle chahutera la samba (Samba na sola) ou mènera à bien un sabbat de dance-floor (Roda). L’univers de CéU ressemble à une jungle intérieure, cet espace de création que tout Brésilien porte en lui, où se perpétue sans fin la scène primitive de la séduction et du cannibalisme. Dans cet habitat instable et toxique, elle se montre aussi à l’aise que le serait un serpent venimeux, une nymphe ou une orchidée sauvage. On ne s’étonne plus que sa reprise de Concrete Jungle soit la meilleure adaptation féminine d’une chanson de Marley depuis Martha Velez dans les années 70.
Coauteur de la plupart des titres avec Antonio Pinto et le producteur Béto Vilares, CéU parcourt ce premier album en robe légère, les cheveux au vent, abandonnant derrière elle un parfum qui enivre d’abord gentiment avant de devenir comme un poison qui paralyse toute volonté de passer à autre chose. En fait, depuis Nara Leao, on n’avait plus entendu de voix féminine brésilienne employant pareille douceur pour accompagner le rythme ; ni qui sache si bien maintenir la séduction en apesanteur (Bobagem) qu’elle ferait oublier jusqu’à la marche invincible du temps.
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