Hole libère ses démons pop et efface toutes les sombres taches du passé. Mais même en rose, Courtney Love broie du noir. Avant d’entendre ce nouvel album de Hole, on a surtout beaucoup entendu parler de lui. Attendu depuis le Live through this de 94, il alimenta les rumeurs les plus épidémiques, qui en firent […]
Hole libère ses démons pop et efface toutes les sombres taches du passé. Mais même en rose, Courtney Love broie du noir.
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Avant d’entendre ce nouvel album de Hole, on a surtout beaucoup entendu parler de lui. Attendu depuis le Live through this de 94, il alimenta les rumeurs les plus épidémiques, qui en firent un monstre à plusieurs têtes. On entendit parler d’un album violent, d’un album pop, d’un album sombre, d’un album prêt à pactiser avec tous les charts de la terre. La rumeur, visiblement, était bien informée : Celebrity skin est tout ça à la fois. La rumeur insistait aussi sur la naissance au forceps de ce disque, sur la sueur, les larmes et le sang (pas forcément très net, le sang) versés sur ces quelques chansons. On racontait l’intervention de Billy Corgan au secours de cet enregistrement en déroute comme s’il s’agissait d’un raid du GIGN, une opération d’ultime chance de sauver quelques vies humaines. Ça sentait tellement le laborieux, l’inspiration en débandade que, fatalement, on attendait un disque mal fichu, résigné, un patchwork plein de rustines et de raccrocs. L’Oncle Fester des Smashing Pumpkins, avant d’être poliment remercié, a bel et bien débloqué Hole, en moins de deux semaines de thérapie de groupe. Mais l’entendre aujourd’hui revendiquer, à longueur d’interviews, la paternité des chansons de Celebrity skin relève de la galéjade : ces chansons sont trop mal élevées pour être celles d’un songwriter aussi tatillon, trop effrontées et directes pour lui.
Car et c’est la surprise de Celebrity skin cet album passé par toutes les étapes, tous les studios, tous les découragements se tient, fait corps, sans trace visible de couture avec pas mal de fil blanc et un fil rouge : Los Angeles. Et il ressemble trop à Courtney Love, à ses contradictions braillardes, pour ne pas être à elle. D’ailleurs, l’affaire est entendue en seulement quelques secondes : « I’m all I wanna be » (« Je suis tout ce que je veux être »). C’est-à-dire : à la fois une pop-star revendiquée et une furie punk, le mannequin Versace et la plume acerbe de Teenage whore. Fini donc les jeux de rôles fatalement réducteurs, engonçants ; oublié les serments d’allégeance mortels au grunge, ce punk-rock diesel. L’intervention de Billy Corgan n’aura sans doute servi qu’à ça : aider Courtney Love à gravir les quelques marches qui séparaient l’underground des projecteurs, couper le lien absurde qui la retenait encore à une mythologie gourmande de sang noir. « Je suis tout ce que je veux être », dit la chanson, qui rajoute plus loin « Tu veux un morceau de moi/Eh bien, ce n’est pas bon marché. » Car ne surtout pas croire que Hole, en acceptant enfin le dialogue avec ses tendances les plus pop, ait vendu son QI, soit devenu une bimbo. Même si parfois les ficelles sont un peu trop flagrantes quand Hole joue aux marionnettes avec les Bangles ou les Go-Go’s, ces antiquités eighties californiennes (Boys on the radio, le vilain Hit so hard ou Heaven tonight), il reste toujours un mot de travers pour faire avaler les couleuvres. De cette acceptation de sa face la plus radieuse plutôt périlleuse, pour un groupe dont le public guettait la chute, se goinfrait du soufre , Courtney Love commente assez brillamment ce qu’elle a impliqué de tempêtes : « When the fire goes out you better learn to fake/It’s better to rise than fade away » (« Quand le feu s’éteint, mieux vaut apprendre à faire semblant/Mieux vaut se relever que partir à petit feu »), réponse à la note de suicide de son mari Cobain, où Neil Young fournissait une épitaphe « Mieux vaut se cramer que partir à petit feu. » Car les mélodies ont beau se faire douces et hospitalières, les mots, eux, charrient encore et toujours les mêmes caillots. C’est la grande force de ce monstre d’efficacité pop, qui relègue jusqu’à Garbage au rang d’outil préhistorique de séduction des masses : feindre cette bonne santé qui ouvre toutes les portes, quitte à distiller le poison à retardement. Car, malgré les apparences d’un disque serein et apaisé, de chansons javellisées, cet équilibre rare entre la violence et la joliesse, la noirceur et la clarté celui-là même qui rendait aussi excitants les Rockstar ou Miss World d’hier est maintenu : seul le centre de gravité s’est déplacé. Presque un miracle, quand on connaît la sombre palette avec laquelle a été dépeinte la genèse de cet album. Une peinture noire totalement effacée par les mélodies insolentes du grandiose Malibu, d’Awful ou du pattismithien Northern stars. S’il ne reste qu’une odeur, ce n’est pas celle de la Javel mais celle du white spirit, qui a effacé toutes les marques d’un passé pesant sans pourtant en tuer les microbes, qui a lavé toutes les taches de pénible labeur, tous les gros pâtés noirs qui bloquaient la vue sur les albums précédents. Comme aurait chanté son mari : Smells like white spirit.
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