Le rappeur était l’invité de David Letterman dans le show “My Next Guest Needs No Introduction”, diffusé sur Netflix. Apaisé mais toujours dans sa bulle, il s’est livré sur beaucoup de sujets introspectifs, sans pour autant clarifier réellement certaines zones d’ombre.
David Letterman est un habitué des gros coups. La seconde saison de son show, My Next Guest Needs No Introduction, diffusée sur Netflix, commence cette fois par un long entretien avec Kanye West. Le rappeur, qui se fait plus rare dans les médias depuis six mois, se livre ici à un face-à-face bienveillant dans lequel l’animateur star reprend un concept plus proche de celui d’Oprah Winfrey que d’un Jimmy Fallon. Point trop de rigolade : durant une heure, Kanye est en introspection, ce qui ne veut pas dire remise en question.
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Le récit de la paranoïa
La force de Letterman, c’est de savoir désacraliser son invité. D’emblée, KW délaisse son assurance légendaire et son attitude hautaine pour se laisser guider. Il a des choses à se faire pardonner, des éléments à clarifier. C’est pour cela que cette interview était tant attendue, et tant mise en avant par Netflix durant la semaine précédant sa diffusion. Le décès de sa mère, sa bipolarité, ses liens avec Donald Trump, avec Jay Z, les Sunday Services auxquels il se livre depuis sa résidence du Wyoming, sa marque de fringues… Tout y passe.
Mais c’est bien la santé mentale de l’artiste qui fait office de fil rouge. « Si on ne prend pas ses médicaments tous les jours pour se maintenir dans un certain état alors que l’on est bipolaire, on peut se mettre à monter, jusqu’à se retrouver à l’hôpital. On a un comportement incohérent, comme ils disent sur TMZ. […] J’ai vécu ça ces deux dernières années car je n’ai été diagnostiqué qu’il y a deux ans. Quand on est dans cet état, on est super paranoïaque sur tout. C’est mon vécu, certains ont une autre expérience. Mais tout le monde se transforme en acteur, tout devient conspiration. On voit tout, on croit que le gouvernement nous met des puces dans la tête, on se croit enregistré… On ressent vraiment toutes ces choses. Tout le monde veut vous tuer, on ne fait confiance à personne. Puis arrive un moment où on vous met des menottes, on vous drogue, on vous met dans un lit, on vous sépare de vous ceux que vous connaissez. Je suis heureux d’avoir vécu cela car je peux essayer de changer les choses désormais. »
Gros plans sur Kim Kardashian, assise sagement au premier rang.
« Les progressistes harcèlent les gens qui soutiennent Trump »
Plus l’interview avance, plus Kanye West reprend du poil de la bête. Il déplore le manque d’écoute entre les opinions américaines divergentes. Son rapprochement apparent avec Donald Trump, opéré dès la dernière campagne présidentielle, et ses propos sur l’esclavage qui avaient suivi, étaient une ligne rouge allègrement franchie. Il se justifie, il persiste et signe, de façon toujours aussi confuse : « On n’a pas à être d’accord. Mais on a le droit de ressentir ce que l’on ressent, et le droit d’avoir une conversation. Un dialogue, pas une diatribe. Quand je porte la casquette Make America Great Again, par exemple, je ne fais pas de politique. Pas du tout. Une fois de plus, selon moi, il est question de peur. Je travaille avec des Noirs, des femmes, tout type de personnes qui adorent Trump, qui ont voté pour lui, et qui sont terrorisées à l’idée de le dire. Les progressistes harcèlent les gens qui soutiennent Trump. On ne peut pas porter cette fameuse casquette. On vous dit tout de suite ‘Je t’emmerde !’ En Amérique, les gens ont des droits. On a le droit de converser, de débattre« .
L’un des problèmes de Kanye, c’est que son ego lui fait penser qu’il est forcément respectable, et donc toujours respecté. Incapable d’envisager que Donald Trump se foute de lui, qu’il l’utilise. Car oui, malgré le fait qu’il baisse la garde, l’ego est toujours là. « J’utilise l’art comme un super pouvoir afin de me protéger de ce monde capitaliste. Puis j’en fais cadeau aux autres. Je peux aussi m’en servir pour m’enrichir. » Se protéger du monde capitaliste en s’enrichissant, pourquoi pas. Kanye West est fait de contradictions assumées après tout. S’en suivent des propos très maladroits, encore, sur le mouvement #MeToo, dont on se serait bien passé.
https://www.youtube.com/watch?v=QDaw_4Dc8K4
« Mon pouvoir, c’est de ne pas être influencé »
Il n’est finalement qu’assez peu question de musique. Rien sur un hypothétique prochain album (qui était pourtant annoncé pour 2019). Cependant, un passage nous rappelle pourquoi on aime cet homme, malgré tout. Son aisance, son assurance, lorsqu’elle est mise au service de la musique, le rend unique. A propos de sa double casquette de producteur et de rappeur, il explicite : « Avant que l’on provoque notre propre Renaissance, on nous disait : ‘Tu es producteur, ou rappeur-producteur’. On ne pouvait faire que ça. Mes raps n’étaient pas aussi bons que ceux des rappeurs purs et durs, je n’avais jamais été dans un gang comme tous les autres. Je comprenais bien que mes raps, ceux d’un gamin en polo rose, n’étaient pas aussi bien acceptés. En les réécoutant, je me dis : ‘J’étais moins bon que ce que je croyais’. Mais j’étais très confiant, j’avais cette assurance dingue qui me permettait de penser que je pouvais rapper aussi bien que Jay Z. A tel point que je ne lui montrais pas certains morceaux pour me les garder. Les gens me trouvent fou aujourd’hui, mais je l’étais déjà à l’époque. ‘Tu ne vas pas faire écouter Jesus Walks à Jay Z’ ? Je répondais : ‘Non, je me le garde' ».
Il évoque très rapidement Jay Z, mais s’attarde plutôt sur Drake, avec qui il est plus qu’en froid depuis un an et demi : « Il y a un artiste que je ne nommerai pas car je n’en ai pas le droit, ni lui, ni sa famille d’ailleurs… On s’est accrochés l’an dernier. Mais il a une phrase que j’adore : ‘J’ai raconté mon histoire, ai écrit l’histoire’. On a raconté notre histoire, et les gens s’y sont reconnus, ils sont pleins à s’y reconnaître. Les gens s’y attachent, et si l’on change quoi que ce soit à cette histoire, ça nous revient dans la face. Ils disent : ‘Tu es mon avatar, tu ne peux pas dire cela, tu ne peux pas penser comme cela’. Un ami me disait que mon pouvoir, c’était mon influence. Je lui ai répondu que mon pouvoir, c’est de ne pas être influencé ». Il ne tire pas à vue, reste correct. Il n’est d’ailleurs pas là pour ça, si vous espériez assister à de nouveaux épisodes de ses récents clashs, vous n’êtes pas au bon endroit.
« Je suis le malade le plus célèbre »
L’interview revient toujours à sa santé mentale. Il est là pour parler de ce sujet, c’est évident. A tel point que ce thème est presque devenu un cheval de bataille. « Je ressens un lien plus fort avec l’univers. C’est un problème de santé extrêmement stigmatisé. Les gens ont droit d’en dire ce qu’ils veulent et de le discriminer. C’est une entorse au cerveau, comme une entorse à la cheville. Si quelqu’un à une entorse à la cheville, on ne le force pas à marcher. Mais quand vous avez une entorse au cerveau, les gens ne font qu’empirer les choses. » Il avoue aussi ne plus prendre de médicaments. Mais le naturel revient vite au galop, sans que cela ne soit pour nous déplaire : « Je suis le malade le plus célèbre, et je n’ai ça que depuis deux ans. Mais qu’en est-il de ceux qui ont cela depuis qu’ils ont deux ans ? […] Ces idées folles, ces scènes folles, cette musique folle et cette manière de penser folle… Il est très probable que cela vienne d’un fou« .
Finalement, il trouve la lumière lors de ses Sunday Services, sorte de messes musicales et spirituelles où il réunit famille, choristes et musiciens tous les dimanches dans sa résidence du Wyoming. C’est son projet actuel principal, avec sa marque de vêtements, qui a d’ailleurs droit à un beau moment de promo durant l’émission. « Nous voulions ouvrir nos cœurs et faire la musique que nous trouvions aussi pure et positive que possible, faire cela une heure chaque dimanche pour que les gens puissent se retrouver et se sentir bien. Quand j’étais à l’hôpital il y a quelques années, je notais tout un tas d’idées. L’une d’elles était de créer une église. Ça n’est pas rien, ça peut être une idée effrayante. » Toujours dans son idée du culte de la personnalité, détourné cette fois à des fins, peut-être, plus nobles. Car en un an et demi, Kanye West a grandement dégonflé. S’il parvient à aller mieux un jour, à se retrouver totalement, il en sera autrement.
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