Deux ans après un album qui lui a offert une place de choix dans la pop française, le collectif français livre une enthousiasmante comédie musicale, sur scène et dans un album, en pleine résonance avec nos vies confinées et ultra-connectées.
“On rêvait d’un mariage entre Kendrick Lamar et Jacques Demy, alors on a fait notre propre comédie musicale.” On reconnaît bien là le sens de la formule de Catastrophe, révélé en 2018 avec La nuit est encore jeune, qui était à la fois le titre de son premier album et d’un livre-manifeste paru quelques mois plus tôt. Autoproclamé “groupe artistique” depuis Dernier Soleil (2016), un maxi illuminé par Party in My Pussy – morceau imparable chéri par le parrain de la pop française qui l’inclura dans le jukebox de son exposition Daho l’aime pop à la Cité de la Musique –, Catastrophe est une entité pluridisciplinaire aux ressources multiples, qui a trouvé chez Tricatel le label idéal pour expérimenter sa créativité débordante, sa liberté affolante et son génie renversant.
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Sur la compilation vinyle éditée pour le Disquaire Day 2020 déconfiné (Fizzy), on retrouvait précisément tous ces singles bigarrés (de Party in My Pussy à la déclaration d’amour aux Nuggets, du morceau choral Bruce Lee à l’hymne hédoniste Maintenant ou jamais) qui font la singularité incomparable de Catastrophe. Sonnant le GONG ! de la rentrée, leur comédie musicale sur la forêt, les smartphones et le temps qui passe est une source inépuisable d’enchantement.
Que les six membres désormais fixes et permanents de Catastrophe résument en chœur comme suit : “Jacques Demy pour les couleurs, Starmania pour la noirceur, Talking Heads pour la folie, Fela Kuti pour la sueur et Childish Gambino pour la polyvalence.” On ne saurait mieux dire. Et ces références sont clairement assumées tout au long du disque, comme cette citation à peine détournée de Monopolis, tiré de l’opéra rock Starmania, dans les paroles de Solastalgie : “Sur quoi danseront nos enfants ?/Quand nous serons d’un autre temps.”
Des pièges à contourner, des clichés à éviter
La comédie musicale est un genre chéri par Blandine Rinkel depuis sa prime enfance ; elle l’a beaucoup pratiquée dans des festivals vendéens pendant plusieurs étés et continue de s’en abreuver régulièrement. “Mon rapport à la musique est né par les comédies musicales, avant de découvrir et d’écouter d’autres styles. J’ai carrément une névrose avec les comédies musicales américaines, je suis fan de Sweet Charity, Cabaret, All That Jazz, Le Fantôme de l’Opéra et même de Cats.”
“Dans le groupe, il y a deux cultures qui s’affrontent entre Jacques Demy pour les garçons et Bob Fosse pour moi. On a pensé notre nouvel album physiquement sur scène, que ce soit à travers la danse, la chorégraphie, l’improvisation. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons enregistré notre disque en étant réunis tous les six dans le même studio, perdu en pleine forêt des Landes et recommandé par notre réalisateur David Sztanke (ex-Tahiti Boy – ndlr). La comédie musicale nous permet d’être à la fois poétiques et délurés.”
Parfaitement consciente des pièges à contourner, des clichés à éviter, la joyeuse bande cherche une troisième voie, “fuyant à tout prix le kitsch et le trop conceptuel, le mélange de Peau d’Ane et d’Einstein on the Beach”. Avec ce nouveau terrain de jeu, Catastrophe expérimente et explore à sa manière le music-hall, n’oubliant jamais l’essentiel : composer des chansons pop(ulaires) au sens noble du terme, qui pourront s’écouter sans nécessairement voir le spectacle.
Le choc David Byrne
Revendiquant leur honnêteté en même temps que leur naïveté, les musicien·nes et interprètes cherchent le moyen idoine d’exprimer leurs désirs, leurs peurs, leurs interrogations à travers un genre musical qui, loin d’être un paravent artistique, offre une palette infinie de couleurs, à l’image des costumes des six membres de Catastrophe arborés sur la pochette et représentant autant d’humeurs : rose/rire (Arthur Navellou), rouge/colère (Bastien Bonnefont), bleu/inquiétude (Blandine Rinkel), jaune/foi (Pierre Jouan), mauve/regard (Carol Teillard d’Eyry) et vert/ennui (Pablo Brunaud).
L’ahurissant spectacle American Utopia de David Byrne, donné en représentation successive à la Philharmonie de Paris et au Zénith en 2018, finit de convaincre la troupe de creuser ce sillon-là. “La liberté de mouvements et de gestes de David Byrne avec ses musiciens nous a unanimement bluffés.”
“C’est rare de voir un artiste d’une telle notoriété nous parler droit dans les yeux, tout en se démultipliant sur scène. Sa performance d’une extrême générosité relevait autant du concert que de l’exercice théâtral.” Rompu à la pratique du live depuis trois ans, Catastrophe conjugue idéalement le fond et la forme sur scène, comme peu d’autres groupes French pop de leur génération.
Au contraire de l’album inaugural, où Catastrophe hésitait encore entre sa langue maternelle et celle de David Byrne, la formation a écrit GONG ! entièrement en français, toujours à plusieurs mains, mais avec certains textes précédant pour la première fois les accords (Les Méridiens, Solastalgie, le morceau conclusif, sans doute le plus touchant et tristement visionnaire).
“Succédant à un livre qui contenait déjà une masse d’informations, notre premier lp était assurément plus crypté et nocturne. Notre propos est aujourd’hui plus limpide et lumineux. Nous n’essayons plus de louvoyer. A force de passer du temps ensemble, chacun met davantage d’intimité dans le groupe”, explique Arthur Navellou.
Huit semaines assignées à domicile
Avec acuité, ils posent des mots sur leur époque, le monde qui s’écroule, le dérèglement climatique, la cyberdépendance, le recommencement, l’amour et la mort, paradoxalement le sujet qui les inquiète le plus largement, malgré la moyenne d’âge trentenaire de ces jeunes gens pop modernes. Danse tes morts était même le premier single pressenti avant l’épidémie de Covid-19. Si le mixage du disque a été achevé pendant le début du confinement, son écoute a pris des allures de “magie noire”, pour reprendre l’expression de Blandine Rinkel.
“Une chanson comme Le Grand Vide a soudain pris une autre interprétation, en évoquant l’ennui et la contemplation. Idem pour Les Méridiens, dont le refrain dit ‘Demain n’existe pas, demain n’existe plus’. Autant d’échos involontaires à notre inimaginable printemps confiné. D’ailleurs, le pitch de notre comédie musicale, c’était six personnes enfermées dans une pièce qui se demandent comment arrêter le temps.” En pleine pandémie mondiale, le nom de Catastrophe n’a jamais résonné avec autant d’à-propos.
Les six acolytes n’ont pas vécu le même confinement à Paris, mais tous pointent l’absence d’abandon pendant ces huit semaines assignées à domicile. “Il fallait tenir de manière austère et protestante, sans oublier de bien s’habiller, lâche Pierre Jouan en souriant. C’était important pour ne pas se perdre soi-même. On a aussi pris conscience du rôle social des cafés dans nos vies.”
Un titre qui sonne comme une libération
Ironie du confinement, les réseaux sociaux ont beaucoup aidé, notamment les gens seuls ou isolés, à tenir sur la durée. “Un jour, ma mère m’a appelée en larmes parce qu’elle n’avait plus accès à internet. C’est la première fois que je l’entendais dans un tel désarroi”, raconte Blandine Rinkel.
Dans leur agenda respectif, ils avaient en commun de pouvoir se raccrocher à GONG !, un titre qui sonne comme une libération. Et les répétitions estivales du spectacle au Théâtre national de Bretagne (TNB) à Rennes ont eu un effet “cathartistique” selon leur néologisme inventé dans un éclat de rire communicatif.
“Depuis nos débuts plus discursifs, nous avons atteint une forme de légèreté et de poésie. L’avantage de la pop, c’est d’offrir des bonbons acidulés et rempli de surprises. On a même renoué avec le morceau caché en fin de disque. Cela correspond à l’identité même de Catastrophe”, déclare Blandine Rinkel. Dans une rentrée toujours anxiogène, ne cherchez pas meilleur remède à la sinistrose.
Album GONG ! (Tricatel), sortie le 11 septembre
Concert Les 10 et 11 septembre à Paris (Centquatre)
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