Dimanche 29 mai, l’Américaine Cat Power faisait enfin escale à la salle Pleyel, à Paris, pour un concert attendu de longue date.
Je n’avais pas du tout prévu d’écrire sur ce concert de Cat Power à la salle Pleyel. J’y allais en spectatrice, curieuse de “voir Cat Power sur scène”, elle que je n’avais vue qu’au théâtre du Châtelet pour un court set dans le cadre du dernier festival Fnac Live. Je n’ai toujours pas réellement prévu d’écrire dessus, car je ne suis pas certaine de trouver les mots justes qui transcriraient précisément, intensément, judicieusement la beauté de son concert du dimanche 29 mai.
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Avec Cat Power, on ne sait jamais vraiment à quoi s’attendre. Du moins est-ce sa réputation. Elle serait “border”. Elle détesterait la scène, elle en aurait peur, à mourir presque. Ça, oui, c’est peut-être vrai. Lors d’un court entretien téléphonique jeudi dernier sur lequel nous reviendrons très prochainement, elle nous confie son désir profond de “devenir invisible”, que les spectateur.trices ferment les yeux, que l’on disparaisse toutes et tous dans le son, le chant, les seuls dignes d’intérêt ici et maintenant.
Délicate maladresse, maîtrise totale
C’est exactement ce qu’il se passe dimanche soir à Pleyel. La scénographie est sublime, dessinant une forêt hantée sur laquelle l’ombre d’une femme vêtue de noir, le front barré d’une frange devenue mythique, les cheveux balayant ses épaules, se découpe, micro en main, prêtresse des bois, sorcière de toutes les sorcières. Cat Power est visible et ne l’est pas, disparaissant dans le décor, dans sa robe, sous sa frange mais surtout dans sa propre voix, qui bouffe tout. Terrible sa voix, tant elle pourrait faire mourir de douleur et de plaisir, maniant un tendre fouet, rouvrant des blessures qu’on pensait guéries, versant du white spirit dessus avant d’y déposer de doux baisers maternels. Ou peut-être enfantins, on ne sait plus bien. On y sent tout dans cette voix sublime qui semble dire la brisure des âges comme les rues new-yorkaises fouettées par le vent comme les grands paysages escarpés américains comme le trou que l’on peine à remplir comme le vin que l’on boit pour le remplir comme la rupture amoureuse qui déchire la chair comme la caresse que l’on dépose sur la chevelure aimée comme une branche d’arbre toquant à la fenêtre d’une chambre comme la glace que l’on verse dans un verre comme un chat que l’on caresse comme une lame qu’on enfonce comme un chez-soi douillet comme un complet denim dans un saloon comme un piano-bar avec des cocktails feutrés comme sa façon gauche et touchante d’être sur scène, heureuse et incapable de savoir quoi faire de son propre corps. Délicate maladresse, maîtrise totale. Paradoxe.
On pourrait s’appesantir sur la setlist, mais à quoi bon quand tout s’entremêle, tissant un écheveau caverneux, bouleversant. Étonnamment, mis à part lorsqu’elle chante, Cat Power est plutôt loufoque sinon, apparaissant sur scène comme si elle surgissait en soirée, s’exclamant soudain “merde, j’ai oublié de mettre Lou Doillon sur la gueslist !”, adressant des “coucou” aux gens de sa maison de disque, Domino, et, surtout, dansant de cette danse qui n’est qu’à elle, comme un étrange balancier des bras, celui d’une personne mal à l’aise avec son enveloppe, ou qui chercherait à se donner son propre équilibre, pour ne pas chavirer elle-même dans cette voix qui risquerait de l’emporter, et nous avec. Mais quelle beauté.
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