84, The Loft. 86, The Weather Prophets. Après s’être investi avec maestria dans l’écriture pour deux groupes qui ont traversé l’époque bien trop discrètement, Peter Astor joue solo et se préoccupe enfin de sa destinée. Marqué du sceau de ses maîtres américains mais nanti d’une élégance et d’une retenue toutes britanniques, il tente d’imposer son talent mélodique hors pair. Quelques mois seulement après Submarine, voici Zoo, seconde matrice de son introspection mélancolique.
Si Zoo sort déjà, à peine un an après Submarine, c’est parce que j’ai eu deux pleines années pour écrire après le split des Weather Prophets. Je ne suis pas extraordinairement prolifique, j’ai simplement eu beaucoup de temps libre, ce qui m a permis d’écrire en quantité. Je dois avouer que j’ai ressenti un certain manque pendant les deux années de battement entre le groupe et mon premier disque solo. Tout n’allait pas très bien, ce n’était certainement pas la bonne période pour enregistrer, mais cela n’affectait pas trop mon écriture. Par contre, en ce qui concerne le studio, je voulais prendre mon temps. Je voulais avoir le loisir de nettoyer la pièce laissée vide après le départ des Weather Prophets pour la redécorer à ma manière, calmement, en choisissant chaque meuble avec beaucoup d’attention’ J’ai donc beaucoup écrit, dans l’attente de me sentir prêt pour enregistrer. J’ai également retrouvé quelques vieilles chansons, sur des cassettes démos. En fait, certaines chansons de Zoo datent de 82 ou 83. Déjà sur Submarine, il y avait une chanson de plus de dix ans, un truc qui n’aurait pas sonné avec le groupe et que je conservais, patiemment.
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Certaines chansons de Submarine ont été écrites pendant que tu voyageais en Europe, un peu à la manière d’un écrivain.
C’était une des données de l’album, mais il serait prétentieux de dire que je suis parti en voyage dans le seul but d’écrire, tel un baladin à la recherche de son art (sourire)? Non, j’avais envie de voyager car je n’avais rien à faire de précis en Angleterre, j’avais envie de me changer les idées en prenant des vacances. J’ai écrit beaucoup lorsque j’étais à l’étranger, en Allemagne, en Belgique, mais également lorsque je suis revenu chez moi, en me remémorant des images, des lieux. Je me suis beaucoup baladé, j’ai découvert des villes que je ne connaissais pas, mais le plus important, c’est que j’étais seul. Je n’avais à me soucier que de moi-même. Je n’avais même pas de guitare à porter. Vous ne pensez quand même pas que j’allais me gâcher la vie avec une guitare ? (Rires)? Je ne rencontrais presque personne, je tenais à rester seul. Typically english (sourire)?
Trouves-tu ton inspiration dans tes lectures ?
Pas réellement, non. Disons que la lecture me place dans un certain état d’esprit propice à l’écriture. Je lis quotidiennement, j’avale livre sur livre. Avant de monter sur scène, je lis. C’est drôle, les groupes emmènent toujours de la lecture pendant leurs tournées, pour lire dans le van ou à l’hôtel. Ils lisent cinq pages entre Londres et Birmingham, trois entre Birmingham et Manchester et puis ils s’ouvrent une boîte de bière. Ensuite, le livre passe le reste de la tournée sous la banquette arrière. Crois-tu vraiment que le batteur de Jesus Jones peut lire plus de dix pages pendant une tournée ? (Rires)? Il y a deux choses au monde que je déteste : Jesus Jones et les pigeons.
En studio, ne regrettes-tu pas le soutien du groupe qui jouait derrière toi ?
Je n’en souffre pas trop car je ressens vraiment le feeling d’un groupe quand j’enregistre avec les musiciens actuels. Le son est plus fin, plus travaillé. Il y a un peu de batterie. Par exemple, Dave, qui jouait déjà avec les Prophets, caresse sa batterie avec des balais. C’est beaucoup plus subtil que de cogner avec des baguettes. Le résultat est plus intime, on peut se concentrer sur chaque son et vraiment ressentir la musique. Je préfère de loin l’approche adoptée sur cet album. Elle correspond mieux à mon humeur du moment. Actuellement, je suis au centre de ce que je fais, chaque décision passe par moi alors que l’idée de groupe est synonyme de concessions permanentes. Tu finis par te sentir éloigné de ce que tu fais car chacun apporte sa petite contribution. Tu finis par ne plus savoir où tu voulais en venir au départ. Aujourd’hui, je peux faire exactement ce que je veux. Avant mes concerts acoustiques, si je souhaite passer deux heures dans ma loge à lire de la poésie, je peux le faire. C’était inimaginable du temps de The Loft ou des Weather Prophets. Lorsque tu joues dans un groupe, tu dois boire de la bière avant de monter sur scène, tu dois parler de filles, de nichons, sinon tu es un pédé? J’ai fait une petite tournée acoustique en Allemagne, juste avant Noël. J’adore ça. En solo, tu es à vif. Tu joues sans filet, tu es obligé de chanter avec ton c’ur alors qu’un groupe peut toujours arrondir les angles si tu es mauvais. Le seul truc qui me fait peur avec ces concerts acoustiques, c’est que les gens pourraient m associer à la scène folk. Je ne me sens aucune affinité avec les musiciens folk, je déteste Donovan’ Ce que je reproche également aux groupes de rock classiques, c’est qu’ils se sentent obligés de répéter des heures pour être les meilleurs dans leur catégorie. Les gens qui m accompagnent sur Zoo n’ont presque pas répété avant d’enregistrer. Ils jouent avec leur feeling, avec leur sensibilité, à la manière des types qui accompagnaient Dylan sur Blonde on blonde. Le jeu d’un musicien qui découvre les mélodies d’une chanson est toujours beaucoup plus riche. Cela s’apparente aussi au travail des musiciens de jazz.
Peut-on considérer Zoo comme la continuation de Submarine ?
Disons qu’il y a dès le départ beaucoup de similitudes techniques : l’instrumentation, les musiciens, le studio sont les mêmes. Donc, des couleurs que l’on connaît déjà. Mais sur Submarine, nous utilisions des ordinateurs, des boîtes à rythmes, des choses assez techniques. Alors que cette fois, nous avons opté pour des percussions acoustiques. Et, surtout, nous avons joué live, à trois dans la même pièce. Guitare, basse, congas, et je chantais en direct. C’est un travail plus rapide et plus naturel, mais je chante mieux dans ces conditions. Je ne le savais pas, je n’avais pas prévu de bosser ainsi, mais c’est la meilleure solution que nous ayons trouvée. La texture du disque s’en trouve enrichie car le son est un peu plus dur, un peu plus tendu, bien que ce ne soit pas un album rock. Il est également plus vaste que Submarine. Si on devait le comparer à un livre, ce serait plutôt du Dickens, un truc avec plein de rebondissements, une fresque. Alors que mon premier album pouvait tenir en cent cinquante pages, en édition de poche. Mais le ton, la couleur des deux disques sont assez semblables.
Pour Submarine, l’inspiration venait de tes voyages en Europe. D’où vient-elle pour Zoo ?
Zoo est plus exotique, plus décousu. L’atmosphère est celle d’un zoo avec tous ses animaux, la somme de plusieurs ambiances. Zoo est bien plus sarcastique, plus méchant, plus gaillard. Plus gnomique, dirais-je, c’est un mot qui définit bien Zoo, un album ouvert et terrestre. Le prochain pourrait être plus élevé. Il s’appellera peut-être Asteroïd (rires)? Souvent, un album est une réaction au précédent, Zoo est un disque décontracté et le suivant sera probablement une réaction à celui-là.
Penses-tu retravailler dans le cadre d’un format rock classique ?
Absolument, mais ça ne sonnera pas comme du rock classique. Basse, batterie et guitare sont les couleurs primaires, ce n’est évidemment pas le violoncelle et la flûte à bec, mais tu peux les utiliser de façon un peu personnelle, ça ne fait pas de mal aux chansons (sourire)? En termes purement musicaux, je n’ai pas envie de revenir en arrière. Les choses passées sont passées, je ne pleurnicherai jamais sur les bons vieux jours. Aujourd’hui, je suis content de ce que je fais du point de vue de la création. J’ai fait deux albums en un an et j’en ai un troisième prêt à enregistrer.
Cette satisfaction ne tue-t-elle pas la mélancolie ?
La mélancolie n’est pas dans la création, mais dans la vie. Je peux faire un disque dont je suis content et toujours trouver une certaine mélancolie dans la vie, car faire un disque ne conditionne ni ma joie, ni ma tristesse. Faire un bon disque m’excite, mais pas plus que d’acheter une paire de chaussures. Ce n’est pas la pierre angulaire de mon existence.
As-tu le sentiment que les gens qui découvrent tes disques solo les
comparent à ceux de tes deux anciens groupes ?
Les gens ont besoin de points de repère, c’est tout à fait naturel. Par contre, il est plus étonnant que certaines personnes, en particulier dans la presse, attendent qu’un chanteur entame une carrière solo pour encenser le groupe dans lequel il jouait auparavant. C’est ce qui se passe avec The Loft. A l’époque, on ne parlait pas beaucoup de nous, la presse nous préférait des trucs industriels comme Test Department, que je haïssais. Mais aujourd’hui, nombreux sont les groupes qui se réfèrent à nos disques comme autant d’influences sur les leurs. Quelles traces ont laissé des groupes comme Test Department ou 23 Skidoo ? Quelle musique actuelle a été influencée par ces gens-là ? Leurs bruits métalliques et débiles n’ont marqué personne. Je crois que The Loft était un groupe bien plus important.
La presse présentait The Loft comme un arty pop band’, un peu comme le Monochrome Set
Je me souviens de ça, en effet. On nous présentait comme de jeunes gens intelligents et doués. C’était plutôt flatteur de ne pas être pris pour un groupe de rock classique, un de ces groupes qui ne savent s’exprimer autrement que par cris et onomatopées, mais le fardeau de l’intelligence est un peu lourd à porter à la longue. J’ai toujours beaucoup apprécié l’exercice de l’interview, j’ai toujours su expliquer ce que je voulais faire de mes chansons. La presse spécialisée, lorsqu’elle daignait parler de The Loft, nous reconnaissait volontiers cette clairvoyance.
Gardes-tu un bon souvenir de cette période ?
Non, pas du tout. J’étais relativement heureux à l’époque, mais la séparation du groupe m a énormément affecté. Ce split noircit toujours le souvenir que je garde de The Loft. Je crois que les disques sonnent merveilleusement, le groupe jouait bien, les chansons étaient belles, mais la fin du groupe a tout gâché. Au tout début, Bill et Andy jouaient ensemble dans un groupe. C’était en 81 ou 82. Ils ont voulu que je chante avec eux et on a commencé à répéter, à la coule. Et puis j’ai apporté quelques chansons, comme eux. Régulièrement, j’arrivais avec une musique et un texte que nous jouions ensemble. Ça avait l’air de leur plaire. Seulement, au bout d’un moment, ils ont cessé d’écrire leurs propres chansons, me déléguant cette partie du boulot. Et je suis devenu le leader du groupe, par défaut, parce qu’eux étaient trop paresseux pour bosser hors des répétitions. Je crois que le conflit est né le jour où ils ont cessé d’écrire. Nous étions toujours un groupe, certes, mais ils ne s’investissaient plus autant que moi.
Que recherchais-tu lorsque tu as décidé de chanter pour The Loft ?
Je ne sais pas très bien’ En fait, je crois que j’aurais préféré jouer le style de musique qui figure aujourd’hui sur mes disques solo. C’est d’ailleurs un peu le genre de choses que je jouais avant de devenir chanteur de The Loft, seul dans ma chambre avec un petit magnéto. Je ne savais ni jouer ni chanter, mais je m amusais bien. A l’époque, on pouvait passer ses journées dans sa chambre à bidouiller des trucs tout en touchant l’argent du chômage. C’est une époque révolue, hélas (sourire)? Je venais de quitter le collège, je ne savais pas trop quoi faire, alors je composais des bouts de chansons à longueur de journée dans cette maison que j’habitais au nord de Londres. Mes parents, eux, habitaient en banlieue. Je leur disais que j’étais toujours étudiant pour qu’ils ne s’inquiètent pas trop. Je n’avais aucune confiance en ma musique, ni en quoi que ce soit, d’ailleurs. J’étais plutôt cynique à l’époque.
Très vite, des personnes comme Alan McGee, le patron du label Creation, et John Peel ont compris que The Loft était un excellent groupe. Cela a dû en mettre un sacré coup à ton cynisme, non ?
Je ne crois pas que la reconnaissance de son talent par quelques personnes, quelles qu’elles soient, change grand-chose à la vie d’un artiste. Je me contentais d’avoir mon avis sur le groupe, le reste m importait peu. Je crois que la qualité intrinsèque de la musique est immuable, le succès n’y peut rien changer. C’est vrai pour Queen, comme c’est vrai pour Peter Astor. Il se trouve que Alan McGee est un fan absolu, un fanatique même. Je suis dans une situation où je pourrais continuer à faire ce que je veux pendant quarante ans (silence)? Mais si une maison de disques attendait quelque chose de plus commercial, ma position d’artiste voudrait que je l’ignore. J’ai de la chance de ce point de vue, ça se ressent dans la musique, je n’ai pas à m inquiéter de la valeur commerciale du résultat. Particulièrement pour ce disque, que je n’aurais pas pu faire pour une maison de disques emmerdante. Je pratique trop l’introspection et le résultat est effrayant pour qui voudrait y trouver un hit.
N’étais-tu pas incroyablement excité lorsque John Peel passait votre premier single ?
Pas vraiment. Ce que j’ai appris dans ma vie, c’est que j’obtiens toujours ce que je veux lorsque je n’en ai plus besoin. C’est toujours comme ça. La reconnaissance de la qualité de The Loft me fait plaisir, mais j’aurais préféré l’obtenir du vivant du groupe. Il y avait bien John Peel pour passer nos disques, mais il était le seul. Et j’avais déjà attendu trois ou quatre ans avant de pouvoir sortir un premier disque. C’est assez triste.
The Loft avait refusé d’apparaître sur c86, cette compilation orchestrée par le NME qui se proposait de figer la scène pop de l’époque.
C’était un projet très prétentieux et profondément stupide. Je n’aime pas l’idée de ghetto et c86 ne faisait que renforcer cette idée. De plus, je n’aimais pas la majeure partie des groupes présents sur cette compilation.
c86 est tout de même devenue une sorte de référence.
Je crois que c’est davantage l’abondance de bons groupes pop à l’époque, comme Primal Scream et nous, qui est devenue une sorte de référence.
La mélancolie occupait une place importante dans la musique de The Loft. Je pense en particulier à un morceau comme Winter.
Ça se comprend aisément, je suis mélancolique. Lors d’une tournée en Allemagne, j’ai rencontré un drôle de type, un Russe. Il ne cessait de me demander Quelle est ton esthétique musicale ?? Je lui répondais que je n’en savais rien, que la musique et les paroles me venaient naturellement, sans avoir besoin de réfléchir à une esthétique musicale . Il a fini par m’expliquer qu’il y avait selon lui deux esthétiques musicales’. La première consiste à écrire démagogiquement, pour donner aux gens ce qu’ils attendent. L’aboutissement de cette approche, pour lui, c’est le stadium-rock. La seconde esthétique musicale consiste à ouvrir son c’ur. Je lui ai dit que je me situais sans aucun doute dans la deuxième catégorie. J’aime ouvrir mon c’ur, disséquer mes sentiments pour en faire des chansons. Les artistes que j’aime sont tous comme ça, ce sont des gens qui semblent prisonniers d’une certaine mélancolie.
Cette idée de mélancolie, de cassure, semble être le fil conducteur de tes disques. Mais il y a des gens chez qui cette cassure semble être plus contenue, jusqu’au jour où l’explosion se produit. Je pense à Cathal Coughlan, de Fatima Mansions.
Du temps de The Loft, nous faisions souvent la première partie de Microdisney et je ne ratais jamais une occasion de discuter avec Cathal. Il y avait évidemment quelque chose de lui qui ne passait pas dans la musique de son groupe. Il était à la fois plus rude et plus sincère, cela le bouleversait. Moi aussi, j’ai ressenti un profond changement au cours de la dernière année d’existence des Weather Prophets, un bouleversement dû à la mélancolie. Lui comme moi, nous ressentions une grande frustration. La sienne était plus forte puisqu’il se disputait esthétiquement avec son groupe, en particulier en concert, où je l’ai souvent vu fou furieux. Je n’établirais pas le même parallèle pour les Weather Prophets, mais nous nous dirigions dans une mauvaise direction, je sentais que nous n’allions plus être bons. En fait, le groupe ne m intéressait plus, c’était presque devenu comme jouer un rôle. C’est pour cela que la dernière année, je me contentais de dire aux journalistes Je ne suis qu’un musicien qui fait du rock’n’roll.? Dès le début des Weather Prophets, par réaction à ce qui s’était passé au sein de The Loft, j’avais bien insisté sur le fait que cette nouvelle formation était ma possession, ma chose. Nous fonctionnions certes comme un groupe, mais j’y occupais une position privilégiée, celle du songwriter exclusif. Lors de notre dernière tournée en France, nous étions bons, mais je sentais déjà qu’un fossé se creusait entre notre musique et ce que j’avais envie de jouer. Je n’étais pas à l’aise, pas content. J’ai donc décidé de faire splitter le groupe, ce qui n’était pas facile à dire aux autres : c’est comme une relation amoureuse qui s’éteint Mais je ne me sentais pas vraiment coupable dans la mesure où chacun était libre de monter d’autres projets’ Aujourd’hui, Dave et Greenwood sont dans les Rocking Birds, un groupe que je qualifierais de country. J’aurais tendance à ne pas aimer la country mais eux sont très bons, ils sont country comme Jonathan Richman peut l’être. J’aimerais bien les produire.
Avais-tu dès l’enfance ce désir de constamment attirer l’attention ?
Je me pose souvent la question car ça m inquiète un peu. Je suis tout à fait conscient de l’importance de mon enfance sur mon caractère. Je suis persuadé que si j’avais grandi avec quatre frères, The Loft existerait toujours. Je serais sans doute plus tolérant aujourd’hui Il se trouve que j’ai toujours été fasciné par des choses qui se créent en solo, des romans, des recueils de poésie, certains disques. Après tout, un bouquin ne s’écrit pas à trois. Et Mozart n’avait pas de batteur, que je sache (rires)? J’ai toujours eu envie de ressembler à ceux que j’aimais, à ces artistes égocentriques. Ce sont eux qui m intéressaient, ceux qui contrôlaient tout. Mais je n’ai jamais été asocial. Au foot, par exemple, j’étais un bon joueur d’équipe, un demi, celui qui distribue le jeu.
Es-tu très sensible aux critiques ?
Oui, profondément. J’attache beaucoup d’importance à l’avis de mes proches car ils en savent souvent plus que moi sur mes propres disques. En sortant de studio après l’enregistrement de Judges, juries and horsemen , un vieux pote m a dit Bon, il y a plein de bons trucs là-dedans, mais il y a aussi quelques titres très faibles.? J’étais énormément vexé sur l’instant, car je venais d’achever deux mois de travail intensif, mais aujourd’hui je suis d’accord avec lui. En fait, mes amis qui me parlent de Zoo se réfèrent toujours à Submarine Je trouve ton nouveau disque plus plein que Submarine.? Comment ça, plus plein ? Cela veut dire que tu trouvais Submarine creux ?? (sourire)? J’ai remarqué que la sortie d’un nouvel album est toujours le meilleur moyen de savoir ce que les gens pensaient du précédent. A la sortie d’un disque, personne n’ose rien te dire, on ne veut pas te blesser. Et puis avec le temps, les langues se délient
Personnellement, je trouve Zoo plus sombre
Disons que je tourne la vis un peu plus fort, que je m’enfonce un peu plus loin, ce qui peut donner à l’auditeur cette impression de noirceur. Avec Submarine, j’ai établi un alphabet. Sur Zoo, je manie mieux cette langue que je me contentais de balbutier sur Submarine. J’ai marqué mon territoire et maintenant je m y sens roi. C’est vraiment important d’avoir son propre domaine, de s’y sentir serein, sincère et unique à la fois. Cet alphabet que j’ai créé, les gens qui m accompagnent ont appris à le manier. Ils le connaissent mais évitent d’en utiliser l’argot. Ils parlent ma langue à voix basse, à mots retenus, poliment.
Tu disais que tu aimais apparaître à c’ur ouvert dans ta musique. Plus généralement, est-ce une donnée de ton caractère ?
Hum Ma mère était de nationalité allemande. Ce sont des gens qui n’ont pas l’habitude de masquer leurs sentiments, ils s’expriment ouvertement lorsqu’ils ont un problème. Je dois donc tenir de ma mère Ceci dit, il faut mettre ce trait de ma personnalité en balance avec le fait que j’ai eu à me battre pour m instruire lorsque j’étais gamin. Mes parents étaient des ouvriers, il n’y avait pas de livres chez nous. C’était donc une lutte perpétuelle pour en obtenir et je culpabilisais quelque peu. Je ne voulais pas faire honte à mes parents, ils auraient pu prendre ça pour un reproche s’ils avaient appris que je passais mes après-midi dans la bibliothèque du quartier au lieu d’aller jouer au cricket avec les copains. Cette soif de culture, je ne l’ébruitais pas, car pour moi, ce n’était pas une chose normale. C’était presque une tare J’étais partagé entre l’envie d’être un gosse sympa, ouvert, et le profond désir d’apprendre toujours plus, en cachette. Je n’ai pas eu la chance de Morrissey. Tu sais que sa mère était bibliothécaire ? Il lui doit tout. Mais je ne me suis jamais apitoyé, je jouais au foot comme les autres, j’avais plein de copains et je savais me battre.
N’exprimais-tu pas ta sensibilité à l’époque ?
Si, j’écrivais des trucs. Qui étaient peut-être des chansons, d’ailleurs. J’en ai des carnets pleins, des pages remplies de paroles un peu naïves (sourire)? J’avais l’impression d’attendre quelque chose, d’être sous terre dans l’attente de l’éclosion. Mais bon, je croyais que tout le monde était comme moi, ce qui était une grossière erreur.
A travers tes textes, ne te sens-tu jamais trop exposé ?
C’est parfois un peu embarrassant. Mais je crois que les règles avec le public sont assez bien établies. C’est un peu comme pour un strip-tease. Le public est prévenu, il sait que tu vas te déshabiller, que tu seras nu pendant dix minutes, puis que tu retourneras dans ta loge pour y revêtir un peignoir. Les gens qui me parlent de mes chansons sont semblables à ceux qui iraient voir une strip-teaseuse dans sa loge, ils savent à quoi s’en tenir, ils savent que le show s’arrête lorsque le rideau tombe. En tout cas, je l’espère Ceci dit, il est vrai que j’exprime plus de choses en dix minutes qu’une strip-teaseuse. Je parle de moi, de mes sentiments, de mes angoisses. Certains essayent peut-être d’analyser ces choses, mais je crois que l’immense majorité cesse d’y penser lorsque le disque est fini. L’idée même d’être disséqué est assez malsaine, tous ces trucs autour de Morrissey m’exaspèrent, cela devient complètement débile. Les gens prennent ses paroles trop au sérieux, ils n’y voient aucune dérision et ils ont bien tort. Morrissey est un vieil alchimiste rusé, il n’exprime aucun des sentiments qui le hantent réellement, il se contente de s’amuser autour de l’idée même de son personnage. C’est Morrissey qui joue à Morrissey. Ses paroles me font penser à ces scènes de bord de mer dans les productions bidons américaines des sixties. Tu vois une plage de sable fin à l’écran. En regardant mieux, tu t’aperçois qu’il ne s’agit en fait que de vingt centimètres de sable jeté sur une planche en bois, dans un studio. Et si tu creuses un peu, tu te heurtes au bois. Ma plage à moi est beaucoup plus profonde. Tu peux creuser, c’est du vrai sable.
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