Lâché par ses Strokes, l’icône absolue du néo-rock Julian Casablancas a fini par se résoudre à se lancer en solo. Nous l’avons rencontré pour un long entretien, fin octobre à L.A. : ses ressentiments, la crise de son groupe, ses évolutions intimes, son Phrazes for the Young, il raconte tout. (photos : David Balicki)
[attachment id=298]Ton mariage, l’enfant qui va venir : est-ce le changement le plus radical que quelqu’un puisse connaître ?
Sans doute oui. Mais je ne peux pas encore te répondre : je ne suis pas encore père. Le changement n’a pas encore eu lieu, la chose n’existe pas encore. Impossible de dire « rien n’a autant bouleversé ma vie que cet enfant » puisque pour l’instant il n’a rien bouleversé du tout.
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Même le concept, l’idée que tu vas être père ?
Oui… Un peu, sans doute. Je n’ai jamais compris à quel point l’annonce d’un enfant pouvait, chez certains, devenir quelque chose d’aussi primordial. C’est bien entendu important, et génial, nous en avons parlé et continuons à en parler avec ma femme, mais c’est sans doute moins bouleversant pour nous que pour d’autres couples qui, dès qu’ils apprennent la nouvelle, remettent tout en cause, décident de déménager dans la minute, achètent une plus grosse voiture, alors que rien ne s’est encore passé. « On ne va pas pouvoir sortir autant » : oui, certes, c’est évident, mais on verra…
Mais as-tu essayé d’imaginer quel type de père tu voulais être ?
Je crois que ma femme est moi avons à peu près la même idée sur la chose : on doit attendre que les choses se fassent pour pouvoir les faire. On verra quand l’enfant sera là. On a bien entendu parlé de choses très générales : on veut être des parents aimants, on veut surtout éviter de ne pas le gâter, être strict mais l’encourager. Pour le reste, on verra…
Tu as connu beaucoup d’excès, tu as notamment eu des problèmes assez sérieux avec l’alcool. Tu t’es arrêté de boire : que te manquait-il pour retrouver un mode de vie sain ?
(il réfléchit) Au milieu de tout le reste, ma relation à l’alcool a aussi fini par déteindre sur ma relation à la musique. J’étais vraiment dans un sale état, physiquement comme moralement. J’aimerais pouvoir revenir en arrière : j’ai gâché beaucoup de temps, beaucoup de chose. J’avais physiquement mal quand je ne buvais pas. Et ça a beaucoup joué sur mes relations aux autres membres des Strokes. Quand tu es dans l’état dans lequel j’étais, c’est impossible de bien communiquer –et tu finis par noyer un peu plus dans l’alcool les choses qui ne te vont pas, et que tu es de plus en plus incapable de régler. Tu es sur la défensive. Tu ne peux pas dire les choses naturellement. On ne peut pas résoudre les problèmes. Et les conflits naissent.
Ca explique le temps dont vous avez besoin entre deux albums, avec les Strokes ?
Oui et non : on a nos problèmes, ça joue évidemment un peu, mais je me suis arrêté de boire. Le groupe a d’ailleurs été une bonne motivation. Notre vrai souci, c’est surtout de pouvoir mettre tout le monde dans la même ville et dans la même pièce en même temps.
Te sens-tu plus heureux aujourd’hui que tu ne l’étais il y a quelques années ? Un mariage, un enfant, un album solo, ça fait beaucoup de choix et de changements…
Je pense, oui. Une des grandes différences est que je maîtrise mieux ma manière de célébrer les choses… Avant, c’était pour tout et n’importe quoi ; « Ok, on a passé une journée en studio, génial, fêtons ça ! » Mais à force de procéder de la sorte, tu finis par ne plus vraiment savoir ce qui est vraiment positif et ce qui est juste un bon moment… Il m’en faut aujourd’hui plus pour sentir le besoin de fêter les choses ; mais je le sens plus intensément.
Il y a toujours une certaine tristesse, une certaine mélancolie chez toi…
(il chante le refrain d’Everybody Hurts de REM, qui passe au même moment à la radio) J’aime les choses qui montrent ce que je suis, à savoir quelqu’un de plutôt positif, en général, mais qui a aussi des côtés sombres. Je ne peux de toute façon pas ne pas montrer les deux faces. Ma « tristesse » vient souvent d’une frustration artistique, de ne pas pouvoir toujours travailler quand je le voudrais ou comme je le voudrais ; c’est quelque chose qui me plombe vraiment. Mais le paradoxe est là : se sentir blessé te pousse aussi à travailler dix fois plus fort, plus positivement, c’est une manière de sortir du cercle, et c’est sans doute ce qui explique qu’on peut sentir les deux côtés chez moi, comme chez beaucoup d’autres. De toute façon, la tristesse est quand même un truc d’assez universel… On écoute tous de la musique triste. Elle est celle qui est la plus puissante. Et paradoxalement, j’y pensais l’autre jour, écouter de la musique triste est ce qui me rend plus heureux.
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